Selon un récent sondage réalisé par l'institut britannique ICM Research dans trois pays, la France, l'Allemagne et l'Angleterre, la majorité de la population pense que ce sont les Etats-Unis qui avaient gagné la guerre. Pour être plus exacte, 61% des Français et 52% des Allemands interrogés. Seuls 13% le reconnaissent à l'Armée Rouge.
«Ce sondage est assez logique et je pense en avoir vu d'autres qui allaient dans le même sens, nous a confié Christophe Bouillaud, expert à Sciences Po Grenoble. La mémoire de la participation soviétique à la Seconde guerre mondiale s'est progressivement estompée. En France, au moment de la guerre elle-même, on savait très bien que le front de l'Est était extrêmement important et la victoire de Stalingrad a été perçue à l'époque comme le tournant décisif. Par contre, il est vrai qu'aujourd'hui, cet aspect a largement été oublié dans l'opinion publique occidentale, parce qu'entre temps, il y a eu la guerre froide durant laquelle seuls les communistes insistèrent beaucoup sur le rôle de l'Union Soviétique dans la victoire, alors que du côté occidental, on insistait surtout sur le rôle des Américains et des Britanniques. C'est la rémanence de la guerre froide qui a fait oublier ce rôle de l'Union Soviétique dans la victoire.»
Rappelons que les Etats-Unis ne sont intervenus sur le front européen qu'en 1944 lorsque l'Armée Rouge reprenait le contrôle. Pourquoi ne l'ont-ils pas fait en décembre 1941, au moment où ils sont entrés en guerre dans le Pacifique? Il semble que les Américains ne pourraient, à aucun prix, laisser l'Union soviétique libérer l'Europe seule: cela signifierait de perdre les gains financiers et politiques. Marc Rousset, auteur du livre «La nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou», pousse cette idée plus loin: «Les Etats-Unis ont fait la guerre pour que l'Europe ne soit ni soviétique ni allemande et non pas pour défendre la liberté des Européens». Toutes les batailles décisives contre le nazisme, les premiers tournants dans la Seconde guerre mondiale furent la résistance héroïque des Russes: victoire de Moscou en décembre 1941, bataille de Stalingrad le 2 février 1943, la gigantesque bataille de chars à Koursk en été 1943, opération «Bagration» en été 1944 et la prise de Berlin en mai 19645, rappelle l'historien espagnol Daniel Trujillo Sanz. Ce sont les événements militaires les plus importants de la Grande Guerre Patriotique, comme on l'appelle en Russie, car tout le peuple s'est levé contre l'agresseur nazi. Selon l'expert, il ne faut pas surestimer le débarquement des alliés en Normandie qui a, certes, accéléré la capitulation allemande mais qui n'est pas comparable avec les batailles susmentionnées.
Le nouvel ordre mondial est né de cette capacité des états à se coaliser. On a bénéficié de ce système de régulation, de gouvernance, composé de coalitions. Des traités internationaux ont été signés: traité de Bretton Woods, traité de l'Atlantique de Washington, — et ont, au moins durant les 50 années qui ont suivi, structuré les relations internationales selon un système d'équivalence, de puissance, entre, d'un côté, le bloc occidental et, de l'autre, le bloc soviétique.»
C'est un moyen d'officialiser la réécriture de l'histoire. Se rendre à Moscou pour la célébration du 9 mai signifie de reconnaître le rôle décisif de l'Union soviétique.
En ce qui concerne la participation française et surtout le niveau de participation, Emmanuel Dupuy y voit une composante politique dangereuse liée à la crise ukrainienne: «Pour l'instant, je ne sais pas justement la position française, mais si tant est que la France ne participait pas, ce serait un très mauvais signal. Premièrement, parce que le président Poutine était présent à Ouistreham le 6 juin 2014, tout comme l'ensemble des participants à la Victoire, que ce soient les Polonais, les Néo-Zélandais, les Australiens.
Ce serait d'autant plus un mauvais signal, car je crois qu'il ne faut pas mélanger l'histoire avec la géopolitique ou, du moins, une histoire avec la réalité du rapport, certes, conflictuel et conjoncturel avec la Russie.
Je n'ai pas la certitude que la France ne s'y rende pas. Mais au moment où l'on essaie de dialoguer avec la Russie pour trouver une issue au conflit ukrainien, où l'on se félicite du fait que le président Poutine, la chancelière Merkel et le président Hollande aient pu obtenir un accord de cessez-le-feu il y a de cela 2 mois à Minsk, je trouverais cela comme une sorte de rupture dans l'esprit de conciliation, de réconciliation qu'est celui que la France, comme d'autres pays européens, devrait engager.»
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