Scénario de base: la mise en œuvre des accords de Minsk
L'armée ukrainienne mène depuis un an une opération spéciale dans le Donbass mais ces activités militaires intensives n'ont toujours pas permis à Kiev de reprendre le contrôle de l'est du pays. Le conflit a fait de nombreux morts et provoqué une situation humanitaire catastrophique dans la région. Selon les dernières informations de l'Onu, il a fait plus de 6 000 victimes.
La réunion du groupe de contact du 12 février dernier s'est soldée par l'adoption des accords de Minsk impliquant, notamment, le cessez-le-feu dans le Donbass à partir du 15 février, le retrait des armements lourds et la création d'une zone de sécurité. Conformément à ce texte, Kiev devait lever le blocus économique pesant sur le Donbass, procéder à une réforme constitutionnelle prévoyant la décentralisation et convenir avec les DNR et LNR d'une loi sur le statut particulier de la région.
Cependant, comme les parties interprètent différemment les accords de Minsk, le processus de paix dans le Donbass est loin d'être terminé et risque constamment d'échouer.
Les experts ukrainiens de l'institut Nouvelle Ukraine ont élaboré plusieurs scénarios d'évolution de la situation dans le Donbass. Selon eux, le scénario de base prévoit la mise en œuvre des accords de Minsk — le retrait des armements lourds et le traçage d'une ligne de démarcation avec un régime de franchissement spécial.
"En fait, cette ligne pourrait se transformer en nouvelle frontière", explique le rapport. Les experts notent que sur les territoires qui se sont détachés, "l'industrie et l'infrastructure sont détruites, la population d'environ 4 millions de personnes n'a pas de moyens de subsistance".
"Les habitants sont politiquement désorientés, ce qui est dû au non-professionnalisme des DNR et LNR. Dans le même temps, une grande partie des habitants de ce territoire ne sont pas loyaux envers le pouvoir ukrainien et ne soutiennent pas le projet de développement national axé vers l'intégration européenne", pensent les spécialistes.
Comme les autorités russes l'ont déclaré à maintes reprises (et l'état-major ukrainien l'a reconnu), les forces armées russes régulières ne participent pas aux opérations dans le Donbass. Sachant que les insurgés ont reconnu que des volontaires, y compris russes, combattaient au sein de leurs rangs.
Au regard de la situation humanitaire catastrophique dans le Donbass, la Russie y a envoyé des convois d'aide humanitaire, ce qui a suscité une réaction négative de Kiev.
La victoire militaire et le rétablissement du statu quo
La trêve établie après les accords de Minsk de février, selon l'OSCE et la communauté internationale, est globalement respectée. Cependant, chaque camp rapporte presque quotidiennement des infractions au cessez-le-feu et une préparation à la reprise des activités militaires.
Les experts pensent que les autorités ukrainiennes pourraient décider de faire la guerre jusqu'au bout en cas de soutien militaire et financier significatif des USA et de l'UE, notamment si ces derniers fournissaient à Kiev des armes létales.
Toutefois, les auteurs du rapport indiquent que le scénario militaire est risqué. "La Russie pourrait réagir à l'aide occidentale sous forme d'armes létales en accroissant sa puissance militaire dans le théâtre des opérations. L'aviation pourrait également être utilisée, ce qui rendrait l'issue du conflit encore plus sanglante et imprévisible. Ces risques ne conviendront certainement pas à l'Occident", explique le rapport.
Moscou a annoncé à plusieurs reprises que les éventuelles fournitures d'armes américaines en Ukraine risqueraient de rompre la trêve fragile dans le Donbass et menacerait la sécurité de la Russie.
Un conflit gelé
"Ce territoire, incapable d'exister de manière économiquement indépendante et reconnu par personne, dépendra essentiellement de la Russie", prévoit l'étude. La situation de conflit gelé aura notamment de dures répercussions pour la population civile: les analystes prédisent notamment l'augmentation de l'émigration à partir de cette région.
Le président ukrainien Piotr Porochenko a déclaré plusieurs fois qu'il empêcherait le gel du conflit dans le Donbass. Selon lui, l'unité de l'État sera conservée. Dans le même temps la paix sera sauvegardée et l'Ukraine réintégrera le Donbass par la voie politique, en organisant les élections à Donetsk et à Lougansk. Kiev a promis également plus d'une fois de rétablir intégralement le financement budgétaire du Donbass immédiatement après le rétablissement du contrôle du pouvoir ukrainien dans cette région ainsi que la remise en vigueur de la législation et de la Constitution ukrainienne".
Le scénario de "rejet"
Selon les spécialistes de l'institut Nouvelle Ukraine, le scénario impliquant un "rejet" du Donbass est également possible. Les analystes notent qu'une telle évolution est envisageable voire nécessaire si la majeure partie des habitants de ces territoires rejetait le "projet ukrainien" et ne voyait pas leur avenir au sein de l'Ukraine.
"Avec le temps, une grande partie des Ukrainiens est de plus en plus réticente à l'idée de faire la guerre et de payer en vies humaines pour une région déloyale au projet d'État ukrainien, déficitaire et mentalement hostile. Les pertes humaines conséquentes des deux côtés renforcent d'autant plus ce rejet", écrivent les auteurs de l'étude.
D'après eux, ce scénario de "rejet" serait possible en cas de décision politique des autorités de Kiev sur la sortie du conflit pour préserver la souveraineté nationale et mettre en place les conditions pour un développement pacifique de l'Ukraine. La probabilité de ce scénario est relativement élevée (40%), car il serait acceptable pour toutes les parties voulant mettre un terme au conflit. Les experts estiment que ce scénario pourrait accélérer la création d'un nouveau cadre de sécurité en Europe, mais qu'il risque de relancer la division du pays en blocs et même relancer une nouvelle Guerre froide.
Le "redémarrage"
Les spécialistes envisagent également le scénario du "redémarrage" du Donbass. Il consisterait à maintenir le territoire au sein de l'Ukraine, à réintégrer les régions de Donetsk et de Lougansk dans les frontières administratives mais avec un statut d'autonomie.
Ce scénario implique: la reconnaissance des DNR et LNR comme une partie dans les négociations; la disposition au dialogue politique; la coopération économique avec la reconnaissance de ce territoire comme une zone économique particulière; les concessions concernant le statut de la langue russe; la reconnaissance du droit de l'autonomie de mener une politique séparée (pour la propriété, les impôts, les finances, le terrain), hormis dans les domaines de la justice, en politique étrangère et sur les questions militaires.
De facto, les territoires autoproclamés peuvent s'attribuer de larges pouvoirs en adoptant des amendements à la Constitution ukrainienne en matière de décentralisation du pouvoir. Kiev compte terminer ce processus d'ici la fin de l'année.
Le scénario "Grand Donbass"
Le projet "Grand Donbass" est le scénario le plus improbable selon les experts. Ils pensent que le "Grand Donbass" pourrait devenir une puissante région industrielle en mettant en œuvre une politique visant à remettre en ordre le territoire, relancer son potentiel industriel et faire revenir les réfugiés. Sachant que la région pourrait avoir un statut économique particulier et à terme dépasser les limites actuelles du territoire des régions de Donetsk et de Lougansk.
Les conditions d'un tel scénario sont la paix ainsi que la disposition de l'Ukraine, de la Russie et de l'UE à participer à ce projet. Cependant, sa probabilité n'est que de 10%.
"Le conflit militaire qui perdure, la destruction de la région et l'hostilité de la population envers le projet national ukrainien éloignent ce projet dans le temps et le rendent plus conditionnel et moins réaliste", indique l'étude.
Les recommandations des experts
Sur la base des scénarios élaborés pour le Donbass, les experts préconisent avant tout de créer un nouveau format de négociations "post-Minsk". Avec la participation aussi bien des représentants des autorités de Kiev et des régions du pays que des délégués des DNR et LNR autoproclamées, des représentants diplomatiques de la Russie et de l'UE, ainsi que d'un représentant spécial de l'Onu. Le nouveau groupe devrait élaborer un plan par étapes pour régler le conflit dans le Donbass. Les analystes suggèrent de mener une enquête internationale minutieuse sur tous les crimes de guerre commis contre les civils du Donbass et créer un grand Conseil sur le Donbass, qui élaborera un programme de développement de cette région à long terme.
"La levée des sanctions, la normalisation des relations économiques et la formation d'une nouvelle base contractuelle des relations demande un nouveau format de négociations actif en permanence Ukraine-UE-Russie. Ce format doit être créé comme une commission trilatérale constamment active avec le soutien d'un groupe d'experts trilatéral", indique l'étude de l'institut.