Non seulement chacun reconnaît que la Russie a joué un rôle crucial pour amener Téhéran à faire des concessions, mais Vladimir Poutine a aussitôt profité de ce succès pour s'engouffrer dans la brèche, sans attendre la signature d'un accord définitif avec l'Iran, prévue fin juin si les discussions se poursuivent sur de bonnes bases. En débloquant le contrat suspendu par Dmitri Medvedev en 2010 sous la pression des « Occidentaux », le Président russe signifie que le temps des concessions à ces derniers est passé. C'était relativement prévisible. Compte tenu des sanctions américaines et européennes visant la Russie, c'est une réponse du berger à la bergère. Une manière de démontrer que si la Russie reçoit des coups sur le terrain économique, elle est en mesure de riposter en perturbant les orientations politico-stratégiques américaines.
Enfin la Russie rappelle que les systèmes de défense sol-air élargie et de défenses antimissiles balistiques, dont elle est via le groupe Almaz-Antey le leader mondial, constituent autant d'obstacles à la tentation d'hégémonie américaine, obstacles qu'elle peut choisir de dresser en fonction du contexte international.
Ainsi quasi simultanément à l'annonce de la livraison des S-300 à l'Iran, des articles ont fait état de la possible vente de missiles S-400, encore plus sophistiqués à la Chine. C'est Anatoli Issaïkine, le patron de Rosoboronexport, l'agence fédérale russe qui a divulgué cette information.
Mais Il est certain que s'il est conclu cette fois, il « boostera » sensiblement les capacités de défense sol-air et antimissiles chinoises, lesquelles visent à se prémunir, en premier lieu, d'une éventuelle agression américaine.
La Russie entend par ailleurs signifier qu'elle ne compte pas se laisser distancer sur le marché commercial iranien. Si toutes les mesures de sanction sont levées, nous allons en effet assister à une ruée des sociétés internationales vers ce pays de près de 80 millions de consommateurs, à la population à la fois jeune, bien formée, avide d'ouverture et de consommation.
Les Américains, si prompts à faire condamner BNP-Paribas pour avoir commercé en dollars avec l'Iran, sont déjà sur place via leurs multinationales qui n'aspirent qu'à une chose: prendre un temps d'avance pour s'emparer des marchés les plus juteux, retrouver la place qui était la leur avant la révolution islamique de 1979.
Ce qui peut aussi être une manière de s'assurer que si le régime des Mollahs venait à trop « s'adoucir » vis-à-vis de l'Amérique, voire était tenté à moyen terme de redevenir le meilleur allié des Etats-Unis dans la région, comme l'Iran l'était sous le règne du dernier Shah, elle ne puisse pas basculer dans l'obédience américaine sans prendre en considération ce que lui coûterait une rupture avec son partenaire russe.
D'énormes enjeux dépendent de la pérennité des bonnes relations Moscou-Téhéran. L'assurance que les hydrocarbures d'Asie centrale ne disposeront pas d'un débouché direct sur le Golfe persique en premier lieu, qui priverait la Russie de leviers d'action dans son étranger proche.
La constitution d'une route commerciale Russie-Iran-Inde ensuite, qui serait de nature à resserrer davantage encore l'alliance russo-indienne, éventuellement en y intégrant une Iran qui, compte tenu de son gigantesque potentiel économique, a vocation à très rapidement rejoindre le club des BRICS si les sanctions économiques sont levées.
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