Si l'on sort des lieux communs, on s'aperçoit que la Russie joue une partie d'échecs genre real politik sup qui ne sera pas sans déplaire au Big Brother américain. D'une part, il faut relever des tensions assez marquées entre la Chine et le Vietnam cette dernière ayant tendance à regarder côté USA. Mais la Chine est l'un des principaux alliés de la Russie. Il faut donc faire en sorte que Pékin ne voit pas d'un mauvais oeil le rapprochement entre la Russie et le Vietnam et que, d'autre part, la Russie fasse efficacement office de médiatrice entre le PCV et le PCC de manière à détourner Hanoï de Washington dans les intérêts de l'Union eurasiatique. C'est une tâche de longue haleine mais qui, si elle porte ses fruits, élargira une zone de libre-échange en formation continue.
Radio Sputnik. Le Premier ministre russe, Dmitri Medvedev, vient d'effectuer une visite au Vietnam. Quelle est votre appréciation de cette visite dans le cadre du renforcement progressif des relations entre le Vietnam et la Russie? Est-ce que cette visite a été productive?
Fabrice Béaur. La visite de Medvedev au Vietnam est la conclusion logique d'une série de rapprochements qui rementent à plusieurs années, 4-5 ans environ. Il y a d'abord eu la visite de Poutine en 2013. Après il y a eu des échanges avec le Secrétaire général du parti communiste vietnamien qui est l'un des quatre personnages les plus importants au Vietnam sur un plan étatique. Il y a eu par la suite d'autres échanges à un niveau législatif. La visite de Medvedev visait donc à sceller les accords conclus auparavant et envisager la mise en application prochaine d'une zone de libre-échange entre l'Union économique eurasienne et le Vietnam.
Fabrice Béaur. C'est une vieille histoire que cette base. Elle remonte à la guerre du Vietnam et était au départ une base américaine. Suite à la victoire des Vietnamiens sur l'armée américaine, la base a été offerte à l'armée sovétique. A la chute de l'URSS, la Russie de Eltsine n'avait pas grand intérêt à y maintenir ses troupes. En 98, le Vietnam a demandé un loyer qui s'élevait à plusieurs centaines de milliers de dollars. Comme en cette période la crise financière qui sévissait dans le pays excluait la prolongation du bail, il n'y a pas eu de suite. Dès 2001, les derniers soldats russes s'en étaient retirés. Ce détail est important puisque leur retour actuel s'articule autour de plusieurs axes. La Russie qui commence à livrer des sous-marins au Vietnam (six sous-marins) aura comme port d'attache cette base navale. D'ailleurs, la base navale des sous-marins vietnamiens sera construite par des entreprises russes, le tout jumelé avec la base de ravitaillement pour l'armée de l'air russe. Ces initiatives font partie intégrante d'un champ géostratégique de première importance puisqu'elles dénotent le retour de la Russie dans la zone du Pacifique qui va de pair avec le confrontation depuis des années qu'elle développe avec l'OTAN. Comme l'avait dit Poutine, il s'agit de redonner une dimension internationale à la Russie. Certains commentateurs parlent de son retour agressif, sauf qu'avec le conflit un peu larvé entre la Chine et le Vietnam concernant certaines villes où il y a certainement des zones d'hydrocarbure, la présence de la Russie va peut-être apaiser ces tensions susceptibles de déraper. La présence russe dans certaines régions a même finalement été saluée dans plusieurs pays d'Asie du Sud-Est comme un facteur de stabilité (…) ».
Le rapprochement des deux pays, en dehors des aspects stratégiques précédemment énumérés, s'inscrit dans une optique également conceptuelle sous-tendant une vision des relations internationales similaire.
Romain Bessonnet. Tout d'abord, il s'agit du primat de la souveraineté des Etats sur une vision morale de la communauté internationale qu'essayent d'imposer les puissances occidentales. Cette vision fait pendant à une vision du monde multipolaire dans lequel l'Asie jouera à plein son rôle. La diplomatie russe et vietnamienne sont parfaitement en accord là-dessus! Après, quelques divergences sont à relever. Les Vietnamiens souhaiteraient que le partenariat russo-chinois ne soit pas exclusif, que d'autres pays asiatiques dont le Vietnam mais aussi la Corée du Sud puissent avoir pleine place dans le jeu diplomatique de la Russie et que l'on n'ait pas un condominium russo-chinois en Asie du Sud-Est ».
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