Les Russes, eux, observent ce qui se passe en Europe et se posent la question sur le pourquoi du devenir en gestation. Une chose est sure: il y a 20 ans, la Russie croyait à l'Occident et voyait en lui une sorte de libérateur, détenteur des vérités démocratiques et un bel exemple de réussite sociale. A l'heure qu'il est, les citoyens russes ont tendance à considérer l'expérience européenne comme un beau gâchis dont les fruits néfastes sont à éviter à tout prix. Philippe Migault, ancien grand reporter du Figaro, l'un des meilleurs analystes de l'IRIS, nous fait part de sa perplexité concernant le complexe de méfiance des simples citoyens de Russie à l'égard de l'OTAN.
Question. Une étude menée tambour battant par le pendant russe de l'IFOP français, un organisme des statistiques, a découvert que les citoyens russes vivent la politique de l'OTAN à l'égard de la Russie comme quelque chose de belliciste ou d'agressif! Pour eux, l'OTAN est synonyme d'agression un peu comme si toute la politique de l'OTAN était axée sur l'endiguement antirusse.
Philippe Migault. Il me semble évident que pour un citoyen russe ordinaire, qui n'est pas forcément au courant de tous les détails des programmes militaires et qui ne connaît pas nécessairement toutes les questions stratégiques il est bien évident que l'attitude de l'OTAN a de quoi inquiéter. Depuis le début de la crise en Ukraine, on a vu successivement M. Rasmussen et puis son successeur M. Stoltenberg multiplier les déclarations d'hostilité ou de défiance vis-à-vis de la Russie. On a vu aussi le général Breedlove qui commande les forces de l'OTAN multiplier les accusations vis-à-vis de la Russie en Ukraine en avançant des chiffres quelquefois extrêmement fantaisistes parce que le renseignement français les a toujours considérés comme tels. On a une multiplicité des déclarations agressives depuis quelques années de l'OTAN à l'égard de la Russie ce qui s'inscrit dans la lignée des déclarations des autorités américaines: je pense notamment à Hillary Clinton qui avait mis en garde la Russie avant de quitter son poste de secrétaire d'Etat aux affaires étrangères en disant que les Etats-Unis feraient tout pour empêcher la reconstruction de l'Union Soviétique avec un ton extrêmement agressif! Alors bien entendu, si je me mets à la place d'un citoyen russe, j'ai une bonne raison d'être inquiet.
Philippe Migault. Cette politique de la France est traditionnelle pour notre pays et date encore du Général De Gaulle! On a toujours eu un rôle de médiateur entre les faucons de l'OTAN et la Russie ou l'Union Soviétique avant. Donc je pense que la France joue un rôle à part. Je pense aussi que si la France n'avait pas la crainte d'être sanctionnée par l'UE, c'est déjà longtemps que les Mistrals auraient été livrés. Je pense que, contrairement à certains Etats de l'OTAN, la France ne croit pas une seule seconde à la possibilité d'agression russe vis-à-vis des pays Baltes ou de la Pologne. La France fait mine de s'agiter au sein de l'OTAN par solidarité vis-à-vis de son partenaire qu'est l'OTAN. En même temps nous ne sommes pas dupes: je faisais référence à la déclaration du Général Breedlove, mais en France nous avons nos propres sources de renseignement et nous savons à quoi nous en tenir sur la crise ukrainienne. Donc, oui! La France va jouer un rôle particulier parce qu'elle entretient une relation particulière avec la Russie et parce que concrètement elle n'a pas du tout l'intention d'épouser la cause des faucons de l'OTAN!
Philippe Migault. Tout cela relève comme d'habitude d'une extraordinaire hypocrisie. On n'est pas dans la drôle de guerre parce que la drôle de guerre est un épisode historique qui fait référence à une guerre qui même si elle était déclarée, n'était pas encore entrée dans sa phase d'opération militaire. Je dirais plutôt qu'on est dans une… drôle de paix! Que les choses sont assez étranges. Effectivement on a un Congrès américain qui ne cesse de réclamer sa soif inassouvie des sanctions vis-à-vis de la Russie. Et de l'autre côté nous avons des programmes sur des équipements à caractère dual qui continuent et se poursuivent entre les Etats-Unis et la Russie. Donc d'un côté, vous avez des idéologues et des dogmatiques qui considèrent que la Russie est l'axe du Mal. Et puis de l'autre vous avez des pragmatiques qui considèrent que la Russie ne pose pas réellement de menace et qu'on a tout intérêt à coopérer avec elle. Et les Américains d'a illeurs sont très-très forts pour ça! On peut le voir dans le cadre de la levée des sanctions à l'égard de l'Iran. Vous verrez qu'ils ont pris une longueur d'avance pour se faire restituer des marchés sur place par rapport à d'autres concurrents occidentaux. Pourquoi? Mais parce qu'ils ont toujours deux fers au feu dont l'un sur les forces armées et la menace et puis un autre qui dans l'ombre mène des tractations pour être en position lorsque les choses se calment.
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