La Russie accouche dans la douleur d’une nouvelle idée nationale

© Sputnik . Vladimir Trefilov / Accéder à la base multimédiaВладимир Лепехин
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Réflexion de Vladimir Lepekhine sur les sources de la naissance progressive d'une nouvelle idée nationale en Russie.
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A l'heure où l'on entend de plus en plus certains politiciens russes crier qu'il faut faire renaître l'Empire russe, il faut rappeler que la nouvelle idéologie nationale s'emparant de la raison des élites russes n'a rien à voir avec les ambitions impériales de certains personnages de la chronique mondaine, mais concerne l'idée de la Russie en tant que pays-civilisation.

Par conséquent ces appels, par exemple lancés par le leader du Parti libéral-démocrate russe (LDPR) Vladimir Jirinovski, qui a suggéré de remplacer le drapeau tricolore russe actuel par la bannière impériale, méritent la réaction suivante: "Monsieur Jirinovski met le feu, mais son avis personnel ne coïncide pas toujours avec la position officielle de la Fédération de Russie" (récente déclaration de Vladimir Poutine à Yalta).

Bien sûr, beaucoup s'interrogent depuis longtemps: "Pourquoi le président n'énonce-t-il pas les bases d'une nouvelle idée nationale?". Certains cèdent très facilement à la panique en proposant d'idéologiser immédiatement la Constitution de la Fédération de Russie. La réponse est simple: chaque chose en son temps. Après tout, il est évident qu'une idée authentiquement nationale ne peut pas être imposée au peuple, qui s'est déjà "brûlé" à deux reprises au XXe siècle en acceptant de suivre des guides-populistes: en 1917 et durant les années de "réformes libérales". Vladimir Poutine n'est manifestement pas populiste et comprend bien qu'une telle idée doit mûrir au sein de la population — et que seulement après cela, le gouvernement est en droit d'annoncer son existence.

Aujourd'hui, une idée authentiquement nationale naît en Novorossia (Nouvelle Russie). Pas dans les cabinets de divers "concepteurs", mais dans les souffrances, le sang et l'affrontement des Slaves contre une nouvelle meute nazie lâchée de sa laisse par les grands de ce monde, et une fois encore contre la Russie.

Selon les commandements d'Hitler (Drang nach Osten — "Marche vers l'Est"), cette meute se rapproche à nouveau des frontières russes depuis deux décennies et n'a certainement pas pour but de former avec la Russie une "grande Europe de Lisbonne à Vladivostok". Quel est son véritable objectif? On le voit clairement sur l'exemple de l'Ukraine, où l'Occident "civilisé" en la personne de l'Otan, de l'UE et du département d'État américain est enclin à soutenir tout ce qui est orienté contre la Russie, le Monde russe et l'eurasisme.

Au début des événements sanglants dans le Sud-Est de l'Ukraine, sentant la menace croissante pour leur monde habituel et cher à leur cœur — la langue russe, une culture postsoviétique internationale et des valeurs chrétiennes — les habitants des régions de Donetsk et de Lougansk ne parvenaient pas alors à expliquer les causes de ces menaces survenues "soudainement", qui plus est à revêtir les explications de ces événements d'un texte ou d'une idée. Cependant, il est impossible de combattre les réflexes nazis sans une idéologie forte, surtout quand en face se trouve toute la puissance militaire d'un État et des armées privées d'oligarques soutenues par la plus grande puissance du monde.

Bien évidemment, l'idée libérale n'aurait été d'aucune aide, comme elle n'avait pas pu soutenir l'Europe "politiquement correcte" dans la lutte contre les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Malheureusement, personne n'a proposé une idée claire ou nouvelle à la Résistance du Sud-Est. Et les habitants de Novorossia ont eux-mêmes commencé à chercher un appui idéologique. Ils se sont raccrochés à tout ce qui semblait leur permettre de contrer l'idée d'une "Ukraine unie sans les Russes": ils ont cherché une alternative dans les idéologies soviétique et impériale, la foi orthodoxe et la solidarité antifasciste, la pseudo-analyse du Concept de sécurité collective (KOB) et de la Théorie assez générale de gestion (DOTU) et dans les vidéos comiques de présentateurs radio moscovites moquant les leaders du LDPR et du PC russe… Mais progressivement, pas à pas, la compréhension de l'essence des perturbations se produisant dans le monde a commencé à apparaître au sein de la Résistance. Ses partisans ont commencé à éliminer les couches pseudo-idéologiques et aujourd'hui, nous assistons à la formation dans le Sud-Est de l'Ukraine de l'idée de souveraineté du Monde russe, une fois de plus contraint de s'opposer à l'Occident, marché global et "monde d'argent, de technologies et de divertissements", se transformant en "monde de chaos, de violence et de perversions".

Toutefois, il serait plus correct de dire "renaît" au lieu de "naît", comme surgissant des profondeurs de la mémoire populaire, du subconscient national — des archives, des bibliothèques et d'autres commodes fermées aujourd'hui à double tour comme une sorte de puissant patrimoine intellectuel de valeurs qui doit être rouvert et dont il faut reprendre conscience.

Le patrimoine dont il est question est celui des dizaines de penseurs russes et soviétiques de niveau international. Il concerne des milliers de travaux tombés dans l'oubli au XXe siècle, mais qui reviennent aujourd'hui au public.

Il ne faut certainement pas se plonger dans l'histoire russe très lointaine pour rappeler au lecteur le sage Philothée, Serge de Radonège ou encore le premier Métropolite Alexis de Moscou. Commençons le décompte des noms connus depuis le XIXe siècle, un siècle d'or pour la pensée russe.

Parmi les premiers travaux des penseurs russes qui ont posé les bases de l'idéologie civilisationnelle — le fameux historien Nikolaï Danilevski, qui avait tout expliqué au sujet de l'Occident, des Slaves et de l'idée russe il y a un siècle et demi. Plus encore, l'œuvre de Danilevski La Russie et l'Europe, qui doit être le livre de chevet de chaque Slave, selon Fedor Dostoïevski, se trouve de facto à l'origine des concepts civilisationnels des "poids lourds" de la sociologie mondiale comme Oswald Spengler, Pitirim Sorokin et Arnold Toynbee.

Concernant les racines du civilisationnisme russe, il convient forcément de rappeler le livre Byzantinisme et Slavisme du célèbre philosophe russe Konstantin Leontiev, ainsi que les œuvres des penseurs comme Pavel Florenski, Vladimir Soloviev et Nikolaï Berdiaev, qui ont posé les bases de l'axiologie civilisationnelle. Dans le même rang se trouvent les recherches des eurasiens russes Nikolaï Troubetski, Piotr Savitski, Gueorgui Florovski, Lev Karsavine, Vladimir et Gueorgui Vernadski, Nikolaï Alexeev et d'autres représentants de cette pensée sociopolitique russe. D'autant que Nikolaï Troubetski, par exemple, a formulé l'idée du "défi-réponse civilisationnel" bien avant le classique du civilisationnisme mondial Arnold Toynbee, et Vladimir Vernadski a été le premier à utiliser dans ses recherches sur les questions de civilisation mondiale une approche noosphérique, c'est-à-dire systémique et supra-paradigmale.

Il convient de noter l'extrême importance, pour le développement de l'idéologie et de la théorie civilisationnelle, des travaux des penseurs russes et soviétiques comme Lev Metchnikov, Lev Goumilev, Boris Rybakov et Nikita Moïsseev. Lev Metchnikov a étudié le civilisationnisme russe du point de vue de la géographie physique et de l'anthropologie sociale, comblant ainsi les blancs dans la science civilisationnelle mondiale qui s'orientait alors, durant la période de travail de cet auteur, essentiellement sur les facteurs de croisement culturel et politico-économique. Les travaux de Lev Goumilev, quant à eux, n'étaient pas directement liés aux "théories des civilisations" et représentent en réalité une analyse inégalable des processus historiques qui se sont déroulés durant des millénaires dans le cadre des identités russe et eurasienne.

Les travaux civilisationnels de l'académicien russe Nikita Moïsseev sont toujours d'actualité. L'auteur y a devancé les opinions du sociologue américain Samuel Huntington. Enfin, un autre grand penseur russe, qui avait une réflexion civilisationnelle et non impériale, Alexandre Zinoviev, dont les travaux pénètrent dans la vie contemporaine comme un "Cahier des charges", voire comme les fondations d'une nouvelle idée nationale.
Bien sûr, on ne trouve plus aujourd'hui des textes sur le thème civilisationnel dans la plupart de médias russes indépendants et publics: les médias russes en principe ne sont pas taillés pour une telle problématique. Par conséquent, la nouvelle idéologie se fraie un chemin vers la raison et le cœur des Russes par une autre voie.

Premièrement, elle arrive en Russie par la maîtrise du patrimoine mentionné ci-dessus, à travers l'eurasisme du président kazakh Noursoultan Nazarbaev, qui inculque instamment depuis deux décennies à l'Eurasie une vision du monde civilisationnelle, ainsi que grâce aux textes de plus en plus nombreux des chercheurs civilisationnistes russes comme Alexandre Panarine, Iouri Iakovets, Alexandre Kostiaev, Nadejda Maximova et bien d'autres.

Deuxièmement, elle se forme par les jugements des dirigeants russes qui — vu leur responsabilité — ne peuvent pas se permettre d'être des fonctionnaires banals et doivent songer à l'avenir du pays. (Il est avant tout question du président russe, du patriarche Cyrille et du président de la Cour constitutionnelle russe Valeri Zorkine, qui a récemment publié un excellent article intitulé La civilisation du droit).

Enfin, l'idée civilisationnelle nous parvient à travers des textes et images marquants, qui naissent aujourd'hui en Novorossia et à propos de Novorossia.

En un mot, le peuple de Russie-Novorossia multinational devient l'auteur de l'idée d'une Russie en tant que pays-civilisation. Nous expliquerons dans nos prochaines publications ce qu'est en soi la nouvelle idée nationale.

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