D'ailleurs le quotidien gratuit « 20 minutes », plus rigoureux que ses prestigieux confrères, l'indique clairement: « Crimée: Il y a un an, Poutine réfléchissait à mettre en alerte les forces nucléaires. » Le Président russe, loin de brandir ses missiles intercontinentaux tel Krouchtchev, s'est donc contenté, toujours selon 20 minutes, d'envisager l'adoption d'une posture dissuasive s'il avait été confronté « à la tournure la plus défavorable qu'auraient pu prendre les événements », c'est-à-dire à une attaque des forces occidentales. Ce qui revient à dire qu'il était prêt à faire ce que ferait logiquement tout chef d'Etat, Français, Américain ou autre, disposant du feu nucléaire, en cas de menace majeure contre son pays. Pas de quoi se ruer aux abris.
Mais peu importe qu'il ne se soit rien passé, qu'il n'y ait jamais eu le moindre risque. Dans le climat de paranoïa politico-médiatique actuel, vous accolez « Poutine » et « nucléaire » dans une phrase, vous avez votre petite crise de Cuba à peu de frais, un ersatz de frisson thermonucléaire à destination de ceux qui n'ont pas eu la chance de connaître la vraie guerre froide. Le procédé, grossier, prête d'autant plus à sourire que les journalistes qui en usent ne semblent pas comprendre qu'il profite précisément à celui qu'ils haïssent: Vladimir Poutine. Celui-ci gagne en popularité au sein du peuple russe à chaque attaque des « occidentaux ». Les propos qu'il a tenus dans le documentaire évoqué supra ont à ce titre pleinement fonctionné.
Car la côte de popularité du Président russe, un an après l'annexion de la Crimée, reste solidement ancrée au-dessus des 80%. En dépit des sanctions, des difficultés économiques, il est plébiscité. Et Vladimir Poutine qui, aussi incroyable que cela puisse sembler en France, où l'on s'imagine que son pouvoir relève quasiment de la monarchie absolue, a besoin de ce soutien populaire pour conforter son pouvoir, sait parfaitement jouer du registre du dirigeant inflexible, qu'aucune pression n'atteint, pour entretenir cet état de grâce.
Les Russes, nous en sommes souvent inconscients en France et en « Occident », redoutent profondément une agression étrangère, crainte trouvant sa source dans les traumatismes du passé. Nous fêtons cette année le 70ème anniversaire de la victoire sur l'Allemagne nazie. Les pertes cumulées du Royaume-Uni, de la France et des Etats-Unis au cours du second conflit mondial sont de l'ordre du million. S'il n'est pas question de minorer le rôle des alliés, de se montrer ingrats envers les Américains, d'oublier l'admirable résistance des Britanniques, le sacrifice des résistants Français, celui, héroïque, de la Pologne, il faut se souvenir que ce sont les Soviétiques, et notamment les Russes, qui ont brisé les reins de la Wehrmacht. Mais ils ont payé cette victoire de 27 millions de morts. Chaque famille a payé le prix du sang et s'en souvient encore. Chaque habitant de Leningrad, la ville de Poutine, se rappelle que le siège de la ville a provoqué la mort d'un million de ses habitants. Que les gens ont dû quelquefois se nourrir de chair humaine pour survivre. Que les enfants ont les premiers subi la famine.
Peu importe, pour les Russes, que ces fanatiques ne représentent qu'une infime minorité de leurs frères ukrainiens.
Peu importe que ces SS de pacotille n'aient aucune capacité de nuisance réelle contre la Russie.
Peu importe que l'OTAN, aujourd'hui à 130 kilomètres de Saint-Pétersbourg, de Leningrad, n'ait aucunement l'intention de rejouer Barbarossa.
Les Russes, compte tenu de leurs souffrances passées, n'évoluent pas dans le rationnel. Eux aussi sont humains. Eux aussi obéissent, réagissent, à des symboles. Eux aussi, comme les Français, sont capables de ne pas discerner la réalité de la menace et de sur-réagir.
Mais ils sont à l'image de leur animal fétiche, l'ours, qui n'attaque l'homme que s'il se sent agressé. A son image ils grognent. Ils organisent des défilés géants sur la Place rouge. Ils exaltent leurs anciens, bardés de médailles.
S'enorgueillissent des nouvelles armes que leurs médias leur présentent, blindés, missiles, avions, navires…Sont à fond derrière leur Président parce qu'ils se disent qu'avec un homme de cette trempe à leur tête, nul n'osera les agresser. Parce qu'ils ne rêvent, dans leur immense majorité, que d'une chose. Ce n'est pas de l'Empire des Tsars à reconstituer, de la puissance soviétique à rebâtir. C'est qu'on les laisse tranquilles et que l'économie redémarre.
Et la comparaison n'est pas innocente.
Nous étions prêts à lancer des frappes nucléaires tactiques pendant la guerre froide parce que nous savions que nos seules forces conventionnelles n'étaient pas en mesure de nous protéger. La Russie, aujourd'hui, est dans le même état d'esprit. Le Kremlin est sans illusions sur les capacités de ses armées, malgré les efforts de modernisation en cours, en cas d'agression d'une puissance majeure contre son territoire. Afin de mieux dissuader un tel scénario il prévient qu'il est décidé à défendre ses intérêts vitaux jusqu'au bout. Rien de plus. Si vis pacem para bellum.
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