Alors que depuis quatre ans, la Russie a fait l'objet des critiques les plus virulentes pour avoir prôné une sortie de crise politique en Syrie, processus impliquant l'ensemble des acteurs dont Bachar el-Assad, elle voit aujourd'hui sa vision confortée par les Etats-Unis.
Bien entendu John Kerry a tenté de sauver les apparences en assurant que Washington avait toujours considéré qu'il fallait discuter avec le régime syrien. "Nous avons toujours été pour les négociations dans le cadre du processus (de paix) de Genève", a-t-il assuré, rejetant l'échec des pourparlers sur le chef d'Etat syrien. "Assad ne voulait pas négocier. Nous l'encourageons à le faire", a-t-il expliqué. Avec un bel aplomb. Car il faut se rappeler du ton employé par les Américains lors des négociations réunissant représentants de l'ONU, membres de l'opposition et du gouvernement syriens, diplomates Russes et Américains, fin 2013-début 2014. Quelques mois après les accusations d'usage d'armes chimiques lancées contre les forces loyalistes et les menaces de frappes aériennes occidentales, les négociateurs américains s'exprimèrent davantage sur le ton de l'ultimatum que sur celui de la conciliation. Washington, par ailleurs, a longtemps fait du départ de Bachar el-Assad un élément incontournable du règlement politique de la crise.
Car en dehors des quelques plénipotentiaires qui se sont rendus à Moscou, l'opposition syrienne "modérée" existe-t-elle encore sur le terrain, en Syrie? Pour Georges Malbrunot, spécialiste du Moyen-Orient, le doute n'est pas permis: "les rebelles modérés n'existent plus". Ce constat fait, avec qui va-t-on négocier la mise en place d'un processus de paix? Les fous furieux de l'Etat Islamique (EI)? Al-Nosra, émanation d'Al-Qaïda? Qui?
Celui-ci, sans doute, acceptera de faire aux opposants modérés en exil les quelques concessions qu'il peut consentir sans mettre en péril son pouvoir. Il ne souhaite qu'une chose: que les fractions wahhabites soient éliminées, la paix rétablie et que, en ce qui concerne son propre destin politique, on considère les comptes soldés.
Cette perspective, n'en doutons pas, aura un goût de cendres pour tous ceux qui considèrent Bachar el-Assad comme un dictateur sanglant. Sa présence sur les Champs-Elysées lors du 14 juillet 2008, aux côtés de Nicolas Sarkozy, avait déjà ce goût pour ceux qui se rappelaient de l'assassinat, par les services syriens, de l'Ambassadeur de France au Liban, Louis Delamare, en 1981. L'Elysée, jugeant que les intérêts français imposaient la réconciliation avec un régime éminemment critiquable, avait alors rejeté les critiques. A juste titre: l'intérêt de l'Etat doit marcher le premier.
François Hollande a vivement critiqué la récente visite de quatre parlementaires français à Bachar, que Manuel Valls, a traité de "boucher". Nicolas Sarkozy, redevenu simple patron d'un parti d'opposition en campagne électorale, a pour sa part qualifié de "gugus" les quatre députés, oubliant de toute évidence qu'un chef d'Etat doit quelquefois accepter de se salir les mains en négociant avec certains de ses homologues. Il sera amusant de voir, dans les mois qui viennent, les circonvolutions auxquelles toutes ces personnalités devront se livrer afin de réussir le rétropédalage qui leur permettra sans perdre la face de s'aligner sur la position américaine. Et sur la position russe…
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