Aujourd'hui, le Caire cherche une certaine indépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Après 40 ans de partenariat, lorsque l'Egypte bénéficiait d'une aide militaire américaine, les relations se sont dégradées en raison du coup d'Etat contre le premier président élu démocratiquement Mohamed Morsi en juillet 2013. Depuis, l'Egypte cherche d'autres fournisseurs d'armes.
Tourner le dos aux F-16 américains au profit d'autres appareils pourrait provoquer des mesures de rétorsion plus ou moins cachées de la part de Washington. Acheter russe quand on est aujourd'hui l'Egypte, dans le cadre d'une espèce de nouvelle guerre froide signifieraient quelque chose de beaucoup plus virulent vis-à-vis des Américains. Sur le plan politique, acheter quelques canons, quelques chars — ce n'est pas acheter des escadrilles de chasseurs-bombardiers. L'acquisition des Rafales serait, évidemment, moins lourde de conséquences.
Que l'Egypte achète russe, américain, français, qu'elle achète quinze avions ou qu'elle en achète 150, le rapport des forces global entre l'Egypte et Israël ne sera pas considérablement modifié, continue Frédéric Encel. Aujourd'hui, on n'est plus du tout dans le contexte de 1973, par exemple: l'Egypte ne veut et ne peut en aucun cas menacer l'existence d'Israël même avec de nombreux chasseurs-bombardiers.
De l'autre côté, face aux Etats qui sont aujourd'hui soit très pauvres, soit effondrés, soit les deux, je pense au Soudan et à la Libye, on ne voit vraiment pas pourquoi et en quoi l'acquisition de nouveaux bombardiers neufs par l'Egypte change quoi que ce soit. Puisqu'aujourd'hui, l'armée égyptienne est de toute façon beaucoup plus puissante sur le terrain et sur le papier que ce qui reste de l'armée libyenne ou de la pauvre armée soudanaise.
En réalité, vu les problèmes économiques majeurs, il n'est pas certain que l'Egypte, qui avait ouvert la voie aux exportations des Mirages en 1981, soit aujourd'hui l'arche de salut pour les Rafales. Ainsi, la France a beau suspendre les négociations avec l'Inde et le Qatar. L'Inde ne met pas ses œufs dans le même panier. Même lorsque l'Inde était allée à Moscou pendant la guerre froide, elle achetait des matériels militaires qui n'étaient pas exclusivement russes. C'est très intéressant: l'Inde ne veut pas être inféodée à l'une ou à deux grandes puissances et cherche autre chose — ça peut être la France ou d'autres pays. L'Inde, disposant depuis quelques années de fonds plus importants qu'autrefois, est capable d'acheter une centaine de Rafales, donc, une flotte aérienne de combat quasiment totale. Le Qatar n'en est pas capable. De toute façon, ses voisins, notamment, l'Arabie Saoudite, ne le toléreraient pas parce qu'il y a une vraie concurrence. De plus, le Qatar ne dispose même pas d'une centaine de pilotes pour pouvoir piloter tous ces avions. Donc, je ne pense pas que le Qatar soit le client primordial, conclut Frédéric Encel.
L'ironie du sort: le président russe Vladimir Poutine vient d'effectuer une visite au Caire pour renforcer la coopération militaire entre les deux pays. La rencontre présidentielle s'est ouverte par un geste emblématique: Poutine a offert un kalachnikov à son homologue égyptien Abdel Fatah al-Sissi.
D'après les informations dont nous disposons, les contrats conclus dans le domaine militaire ne prévoient pas la livraison de chasseurs russes à la partie égyptienne. Cependant, les fameux Sukhoï russes, les Su-35, auraient bien pu être évoqués comme alternative aussi bien aux F-16 américains qu'aux Rafales français.
Pour le moment, la Russie tient entre ses mains une grande partie de la réussite des chasseurs français à l'étranger. Il n'est pas exclu que les Sukhoï mettront des bâtons dans les châssis des Rafales.
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