Mardi 13 janvier, une semaine après la double attaque terroriste qui a emporté 17 vies, les députés ont presque unanimement voté pour la prolongation de l’intervention militaire en Irak. Des paroles aux actes : la France double sa capacité d’intervention dans la coalition contre l’Etat islamique. En 2014, elle était à neuf Rafales aux Emirats arabes unis plus quatre en Jordanie, aujourd’hui, elle arrive avec un porte-avions « Charles-de-Gaulle » qui permet d’envoyer 12 Rafales supplémentaires.
Pourquoi la communauté internationale s’acharne-t-elle autant à combattre les positions irakiennes de l’Etat islamique, surtout lorsqu’Al-Qaïda au Yémen a revendiqué l’attentat contre Charlie Hebdo? Quelles sont les perspectives de cette énième intervention ? Le député Thierry Mariani, vice-président de l’UMP, ancien ministre des Transports, co-président de l’association Dialogue franco-russe, répond à ces questions inquiétantes.
Sputnik. Mardi, les députés français ont massivement donné leur feu vert à la prolongation de l'intervention des forces françaises en Irak. François Hollande a déjà annoncé l’envoi du porte-avions « Charles-de-Gaulle » qui transporterait 12 Rafales supplémentaires. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Thierry Mariani. J’ai voté cette intervention parce que c’est un mal nécessaire. D’abord, pourquoi on a cette situation aujourd’hui au Moyen Orient ? Parce qu’il y a un peu plus de dix ans, les Etats-Unis ont envahi l’Irak avec un faux prétexte en expliquant qu’il y avait des armes de destruction massive, alors qu’en réalité, c’étaient uniquement des calculs politiques et financiers. En faisant cette invasion, ils ont complètement déstabilisé la région. Si aujourd’hui, on a cet Etat islamique qui occupe une grande partie de ces territoires, c’est d’abord parce qu’il y a plus de dix ans, l’Occident et notamment les Etats-Unis ont joué avec le feu. A cette époque-là, la France, grâce à Jacques Chirac, a refusé d’intervenir, et je pense que c’était certainement l’une de ses meilleures décisions. Simplement, aujourd’hui, on voit que le péril et l’instabilité sont portés jusqu’à nos territoires. Les attentats que la France a vécus quelques jours à peine étaient le fait des personnes ayant combattu sur ces territoires. Je pense que, malheureusement, nous sommes tenus d’intervenir pour éviter que cette situation d’instabilité continue en Irak et pour éviter que cette instabilité soit transposée sur notre territoire.
Sputnik. Cependant, c’est Al-Qaïda au Yémen qui a revendiqué l’attentat contre Charlie Hebdo…
Thierry Mariani. Vous avez raison. Mais les milliers de jeunes Français qui sont aujourd’hui en train de combattre en Syrie ou en Irak peuvent être des terroristes potentiels. Comme à une époque il a fallu intervenir parce qu’on avait un péril taliban en Afghanistan, aujourd’hui, nous sommes obligés d’être présent en Irak pour combattre les islamistes.
Sputnik. Quelles leçons a-t-on tiré de ce fiasco généralisé qui est l’opération antiterroriste en Afghanistan, en Libye et déjà en Irak en 2003 ?
Thierry Mariani. Je crois que les gouvernements occidentaux n’en n’ont pas tiré. Je me souviens qu’à la dernière réunion Valdaï à Sotchi, Vladimir Poutine disait avec humour : « les Occidentaux passent leur temps aujourd’hui à combattre ce qu’ils ont créé ». En réalité, à chaque fois que l’Occident a voulu intervenir, de l’Afghanistan à l’Irak en passant par la Libye, cela s’est soldé par des déstabilisations, le chaos et des gens qui se retournent contre nous. Quelle leçon pourrait-on envisager à l’avenir ? J’espère que l’intervention qu’on a eue en Libye est vraiment la dernière. A vouloir à chaque fois mettre un régime idéal, on s’aperçoit qu’en Irak, en Afghanistan ou en Libye, l’Occident a créé le chaos, une situation impossible à gérer.
Sputnik. Pensez-vous que le bombardement actuel sera à même de résoudre le problème ?
Thierry Mariani. Très sincèrement, non. Je pense qu’entre deux maux, il faut choisir le moindre. Il n’y a pas de solution idéale. Qu’est-ce qu’on fait ? Ne pas intervenir signifierait de laisser les terroristes islamiques continuer à progresser, à occuper des territoires. Je pense que ces frappes, menées aujourd’hui par un certain nombre de pays dont la France, ne résolvent pas le problème, mais au moins évitent la contagion. Je crois aussi qu’il faut réviser notre diplomatie, c’est-à-dire réintégrer la Syrie dans le jeu, collaborer avec la Russie qui depuis des années, lutte contre le terrorisme. Mais en aucun cas, ces frappes ne peuvent être la seule politique.
Commentaire. La minorité chrétienne est persécutée en Irak ? Bombardez les musulmans radicaux ! Des Kurdes meurent de faim dans les montagnes irakiennes ? Bombardez les extrémistes ! Des terroristes yéménites ont attaqué Charlie Hebdo ? Bombardez les terroristes en Irak ! Bombardez-les encore et encore !
Telle est la mode meurtrière imposée par Etats-Unis après l’attentat du 11 septembre 2001. En poursuivant des objectifs douteux, ils semblent avoir tué plus de civils qu’ils auraient dû neutraliser de terroristes. Huit ans de l’occupation américaine en Irak ont emporté la vie de 162.000 civils. Combien d’Irakiens seront victimes de la vendetta à la française aujourd’hui ?
Les attiseurs du feu de la guerre « antiterroriste » sont d’une sélectivité remarquable. Pourquoi les Américains n’ont-ils pas bombardé la grande mosquée de Mossoul, en Irak, au moment où le leader de l’Etat islamique Bakr al Baghdadi s’y exprimait pendant une heure et demie ? D’autres grands terroristes ont été liquidés, comme Oussama Ben Laden ou le général Doudaev, mais Bakr al Baghdadi a été étrangement épargné. C’est à se demander quel intérêt l’Etat islamique présente pour les pays prétendant de le combattre ?
L’ironie du sort : tous les pays condamnés « foyers du terrorisme », Afghanistan, Libye et Irak, possèdent d’importantes ressources de pétrole. La cible actuelle détient plus de 11 % des réserves mondiales, avec une capacité de production de 12 millions de barils par jour. Consciente ou non, la France, très américanisée et otanisée qu’elle l’est aujourd’hui, prend part à une guerre qui la dépasse. La force et la pression sur le Proche-Orient se retourneront de nouveau contre l’Occident. Il est dommage que le fiasco de guerres antiterroristes de ces 14 dernières années ne lui aient rien appris.