Néanmoins le rédacteur occasionnel de Charlie Hebdo et chercheur associé à l’IRIS Jean-Yves Camus est persuadé que les journalistes français n’ont pas peur et ne vont pas s’autocensurer suite à cette attaque odieuse :
Par rapport à ce drame du Charlie Hebdo, vous même avez eu l’occasion d’y travailler, quelles sont vos émotions, avez-vous peur ? Comment vous réagissez ?
Je suis un collaborateur extérieur, je ne suis pas journaliste de métier, je vois des articles du Charlie Hebdo depuis longtemps et je continuerai à y travailler. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’écrit Charlie Hebdo à la fois en matière de politique intérieure et de politique étrangère. Je ne suis pas pour la légalisation des drogues, je ne suis pas pour le fait que l’on méprise les religions, mais j’ai trouvé à Charlie Hebdo des gens qui étaient aussi courageux dans la mesure où ils ont dit qu’il y a un principe de liberté d’expression, de la caricature et de la satire en France et donc on va publier ces dessins. Moi je n’étais pas d’accord avec le contenu de ces dessins et notamment un qui me paraissait particulièrement offensant. Mais leur courage ça a été de dire – on a le droit de publier tout et ce n’est pas à des fanatiques religieux de décider au terme d’une censure de décider ce qui peut être publié dans un pays. C’est ça Charlie Hebdo et ça va le rester. Aucun journaliste et aucun caricaturiste même si il commet à un moment un excès ne mérite de mourir comme ces gens sont morts et ne mérite de mourir tout court. On ne peut pas condamner les journalistes à mort parce qu’ils font leur métier.
Vous ne pensez pas qu’après cette histoire il y aura une forme d’autocensure chez les journalistes Français ? N’y aura-t-il pas une sorte de peur dans les rédactions après ça ?
Je ne crois pas, il y a en France des journaux d’opinions politiques extrêmement diverses. Je parlais avec un journaliste d’un journal catholique, traditionnel, très proche du Front National, on a des journaux de l’ultra droite extrêmement hostile à la fois aux musulmans et aux juifs. On a évidemment Valeurs actuels qui publie un grand dossier « la France a peur de l’Islam ». On a les livres d’Eric Zemmour et Michel Houellebecq qui se vendent beaucoup en ce qui concerne Zemmour, pour Houellebecq il est trop tôt pour le dire. Eric Zemmour fait des conférences dans toute la France. Est-ce qu’il y aura une forme de censure ? Je pense que non. Quand on regarde dans le passé dans un pays tels que les Pays Bas, il y a eu l’assassinat de Théo Van Ghog, ça n’a pas muselé la presse. Au Danemark il y a eu les attentats contre le Jyllands-Posten qui avait publié des caricatures de Mahomet et ça n’a pas muselé la presse. Je suis persuadé compte tenu des mobilisations de ces derniers jours notamment à Paris, ce n’est pas ce que veulent les Français, ce sont les Français qui achètent les journaux, les journaux ne fonctionnent que parce qu’ils ont des lecteurs. La demande des lecteurs ce sont des articles qui racontent sans complaisance ce qui se passe et non pas une autocensure permanente, un journal qui s’autocensure c’est un journal qui finit par ne plus avoir de lecteurs.
Cette question des terroristes et djihadistes en France, est-ce que vous pensez que c’est un système bien géré ? On a apprit que ce sont des gens qui étaient suivis par les services secret français, qui ont été surpris lors d’incitations au terrorisme etc. N’y a-t-il pas une lacune dans le suivi de ces personnes ?
A ce stade de l’enquête on sait que les deux frères qui ont commis l’attaque appartenaient à une filière qui a envoyé en 2003-2004 des combattants en Irak. Mais le complice qui s’est rendu à la police le soir même dans l’Est de la France, lui n’était jamais parti faire le djihad. On n’est pas certain que les deux frères soient effectivement partis en Syrie et en Irak, ils faisaient partie du réseau qui recrutait les gens qui sont partis. Pour ceux qui ont attaqué le magasin Casher on n’a pas de certitude qu’ils aient séjourné à l’étranger et qu’ils aient combattu au moyen orient. Le problème c’est qu’il y a des filières, mais à l’intérieur des filières il y a ceux qui partent et ceux qui ne partent pas. Les deux frères n’ont pas été suivis à un certain stade par les services de renseignement c’est par ce qu’ils ont été considéré comme des numéro 2 ou numéro 3 dans cette filière des Buttes de Chaumont. A un moment nos services ont considéré qu’ils ne représentaient pas un danger réel. Et ce qu’il y a d’extraordinaire c’est qu’ils sont restés en cellule dormante pendant 10 ans, il s’est passé 10 ans entre la filière et l’attaque de Charlie Hebdo. C’est fabuleusement dangereux pour l’avenir.
Vous pensez qu’il y a des législations qui vont changer ? L’approche des services de l’ordre et des renseignements va changer ?
Qu’est ce que l’on peut faire en matière de législation – je crois que l’on va voir ressurgir la question de la présence sur le sol français d’imams qui ne sont pas formés, qui n’ont pas les valeurs de la république, qui ne connaissent pas le Français, qui ne sont pas choisis par le gouvernement français. En France pour être rabbin par exemple il faut avoir été élève d’un séminaire spécial et avoir suivi des études universitaires pour répondre à un certain nombre de critères qui sont définis par l’état Français. Ces critères là n’existent pas pour les imams, on a laissé un certain nombre de pays – l’Algérie, la Turquie, le Maroc d’avoir le processus de décision sur la nomination des imams qui sont des envoyés de ces pays là. C’est quelque chose de parfaitement anormal.