Nous avons parlé avec l’homme politique et géopolitologue français Aymeric Chauprade bien avant que les images de la marche républicaine du 11 janvier inondent les écrans. Cette marche qui a réuni la quasi-totalité des dirigeants politiques, syndicaux, religieux et des chefs d'Etat ou de gouvernement a été également traitée par certains blogueurs de la « défilé de l’Otan ». A Paris, aux côtés du président français François Hollande, on a vu la chancelière Angela Merkel, le Premier ministre britannique David Cameron, ou encore Premiers ministres italien et espagnol Matteo Renzi et Mariano Rajoy. A leurs côtés, les représentants des institutions européennes comme Donald Tusk, le président du Conseil ou encore Jean-Claude Juncker, le président de la commission européenne et Martin Schulz, le président du Parlement européen. Sans oublier le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, et les dirigeants de la Ligue arabe, de la Francophonie et d'autres institutions internationales.
Face à ce soutien à la France quasi-unanime on a presque oublie le conflit ukrainien. Pourtant, Piotr Porochenko a également fait le déplacement. Alors, on décortique sa conférence de presse donnée à la fin 2014 avec géopolitologue Aymeric Chauprade.
La Voix de la Russie. La question principale est celle de Piotr Porochenko qui lors de la conférence de presse annuelle a annoncé la signature de la loi qui abroge le statut non-aligné de l’Ukraine. Est-ce que cela va changer quoi que ça soit dans la relation entre l’Ukraine et l’Europe?
Aymeric Chauprade. Malheureusement, il n’y a aucune surprise dans le discours de Porochenko. On s’attendait à ce revirement, à l’abandon du statut de non-aligné de l’Ukraine. C’était exactement le plan américain, ainsi que des européens qui suivent les États-Unis: de faire sortir l’Ukraine de la sphère d’influence, d’amitié et de coopération avec la Russie pour pouvoir l’accrocher à la sphère d’influence américaine. Quand je parle du « plan américain », j’aimerai citer quelqu’un qui est mieux place que moi pour affirme cela – Georges Friedman, le patron du site de la communauté des renseignements STRATFOR et qui a fait un voyage mi-décembre (2015) a Moscou. Ila donne quelques interviews, dont une – à « Kommersant » Il a clairement parlé dans cet interview – lui qui est quasiment un officiel américain – d’un « coup américain » à propos de l’Ukraine. Il a utilisé ce terme de « coup » comme d’une opération militaire, il a clairement dit que toute l’affaire de l’Ukraine était orchestrée par les États-Unis, notamment de fait de la volonté de certains aux États-Unis de « sanctionner » la Russie. Il y a également d’autres intérêts, pétroliers et gaziers, qui vont contre les certains russes.
On sait depuis longtemps, cela remonte à la première « révolution de couleur » en 2004, cette idée dans le conflit entre Ianoukovitch et Iouchtchenko existait comme une idée de Iouchtchenko de sortir l’Ukraine du projet de communauté eurasiatique qui devait rassembler l’Ukraine, la Russie, le Kazakhstan et quelques autres pour la faire basculer dans l’orbite américaine.
LVdlR. En même temps Piotr Porochenko annonce que le 15 janvier il est prêt de rencontrer Poutine, Hollande, Merkel pour parler des possibilités de la sortie de la crise ukrainienne. Est-ce que ce n’est pas contradictoire?
Aymeric Chauprade. Le choix de Porochenko, et il doit s’en apercevoir, qu’il y a l’incompatibilité totale entre l’orientation politique qu’il est en train de donner à l’Ukraine et ses réalités économique et historique. Aujourd’hui, l’Ukraine n’en peut pas vivre économiquement sans la Russie. L’Union Européenne pèse beaucoup moins pour l’Ukraine que la Russie et il n’a pas de moyens de tenir aujourd’hui le développement ou la reconstruction de l’économie sinistrée de l’Ukraine. Il est évident que le projet stratégique de la Communauté Eurasiatique a beaucoup plus de sens pour l’Ukraine que de devenir une périphérie de l’Union Européenne « atlantisée ».
Je crois que dans les mois qui viennent Porochenko va s’apercevoir qu’il ne peut pas gouverner sérieusement l’Ukraine avec cette orientation, en sortant l’Ukraine du statut de non-alignée, essayant de l’arracher des liens avec la Russie.
LVdlR. Il sait se comporter avec son propre peuple, il sait louvoyer dans l’opinion publique: il parle du referendum national pour faire passer le statut de non-aligné. Il annonce également le statut sans visa pour les Ukrainiens à débattre lors du Sommet de Riga en mai 2015. Il essaye de tenir en suspend les attentes de la population…
Aymeric Chauprade. Bien sûr, il fait le miroir aux alouettes. Il fait miroiter l’Union Européenne aux Ukrainiens. Pour beaucoup cela doit marcher, surtout pour les populations d’ouest. La Galicie, la Volhynie sont beaucoup moins développés que l’Est de l’Ukraine. Il peut toujours arriver à obtenir la majorité sur le statu non-aligné et sur l’orientation vers UE. Cela ne remettra pas pour autant l’Ukraine sur le rail du redressement économique.
Tout le monde sait aujourd’hui que si l’Ukraine veut bien fonctionner et se développer, il lui faut deux choses: une fédéralisation du pays pour tenir compte des différents tropismes, différentes orientations, de sa population – celle de l’Ouest qui est tournée traditionnellement vers la Pologne et l’UE, celle de l’Est, Donbass en particulier, qui historiquement, économiquement, stratégiquement lie à la Russie.
La fédéralisation est sur le plan stratégique international, une Ukraine non-aligné. Cela veut dire un compromis stratégique entre la Russie et l’OTAN. Je l’ai toujours dit: vouloir faire basculer l’Ukraine dans l’OTAN est une folie qui gâche l’équilibre régional et qui brouille la relation entre l’UE et la Russie.
LVdlR. Dans les commentaires qui ont suivi l’annonce de Porochenko on parle de « colère de Moscou » qui considèrerait que « cela menace la sécurité de la Russie » Cela peut affecter plutôt l’économie de la Russie. Si on prenait les accords de Minsk, la Russie est dans l’embarras: elle serait obligée de payer la note de la crise ukrainienne.
Aymeric Chauprade. C’est sûr, cela engendre les problèmes économiques pour la Russie. Mais la Russie, à plus long terme, a d’autres débouchés que l’UE. J’ai été en Chine il n’y a pas longtemps, elle s’intéresse de plus en plus au développement des relations énergétiques et d’autres sphères plus globales avec la Russie. On sait que les gisements de croissance se trouvent en Asie. Même si le retournement ne peut pas se faire immédiatement. Etant européen, je préfère que la Russie continue regarder vers l’Europe, mais si l’Europe continue à suivre les Etats-Unis qui mène une politique de fracture avec la Russie, une politique d’opposition, la Russie va finir par se détourner de l’Union Européenne et regarder vers l’Est pour chercher d’autres clients: Corée du Sud, Japon, Chine.
Aujourd’hui, les dommages sont pour tout le monde: pour les populations ukrainiennes et russes, pour les Européens aussi. La politique des sanctions créé des dommages politiques importants dans un certain nombre de secteurs agricoles. Je ne pense pas seulement au secteur de la Défense et aux Mistrals pour la France.
Toutes ces politiques sont contre-productives, contraires aux intérêts de la Russie et aux intérêts du peuple ukrainien qui ne va pas trouver la prospérité économique avec l’orientation stratégique voulu par le gouvernement actuel.
Commentaire LVdlR. Entre-temps, les Etats-Unis annoncent de vouloir mettre à disposition de l’Ukraine les garanties de crédit pour 2 millions de dollars. Biens sur, ce n’est pas une donation innocente, on exige de respecter les conditions bien précises: il va falloir rester dans les clous et suivre le plan de réformes adoptés par le Fonds monétaire international.
Rien à redire: le gouvernement ukrainien est en train de choisir son patron.