Cette année, les autorités polonaises ont régulièrement fait état de nouvelles mesures visant à accélérer la militarisation du pays: finalisation de la consolidation de l'industrie de défense, appels d'offres pour l'achat d'armes, accords de coopération avec des entreprises américaines et présence de personnel militaire et technique américain sur le territoire du pays. Lors de sa visite à Varsovie, Barack Obama a promis d'octroyer à la Pologne un milliard de dollars supplémentaire pour les armements. En échange, le président polonais Bronislaw Komorowski s'est engagé à fixer dans la loi une augmentation annuelle des dépenses militaires à hauteur de 2% du PIB. Varsovie prévoit ainsi d'assigner 43 milliards de dollars à la Défense ces dix prochaines années.
Ces décisions sont prises en dépit de la situation précaire de l'économie, de son rétablissement lent après la crise et des coupes budgétaires considérables dans les domaines de l'éducation et de la santé publique. Bronislaw Komorowski a échangé le portefeuille de ministre de la Défense pour le siège de président du parlement et le bureau du chef de l’État, mais reste toujours un lobbyiste du complexe militaro-industriel américain.
A court terme, la Pologne envisage d'acheter des missiles Naval Missile Strike, capables d'atteindre des cibles navales et côtières — y compris à proximité du port de Kaliningrad —, des obusiers Krab pour les stationner le long de la frontière avec la région de Kaliningrad, et des missiles AGM-158 JASSM pour les chasseurs F-16. D'ici 2017, le pays envisage de créer son propre système de défense antimissile basé sur l'équipement américain produit par le groupe Raytheon. En 2015, les autorités prévoient de lancer des appels d'offre pour des hélicoptères de combat (le favori est pour le moment le Black Hawk de Sikorsky), des sous-marins (DCNS, Navantia, ThyssenKrupp Marine Systems GmbH ou Kockums), des drones (les Orbiter israéliens et les Scan Eagle américains) et des missiles antichars Spike (de l'entreprise israélienne Rafael). La mise en œuvre de ces programmes s'accompagne de nombreux scandales de corruption et d'abus de pouvoir.
La militarisation de la Pologne permet de remplir le carnet de commandes de l'industrie de l'armement américaine, affectée par la fin des guerres en Irak et en Afghanistan, et fait partie de la stratégie des États-Unis. Elle vise à transformer l'Europe de l'Est en bastion de l'influence américaine sur continent. Concernant la Pologne, la politique américaine poursuit les objectifs suivants:
— Dans le domaine militaire: utilisation du territoire polonais comme outil de projection de la présence militaire et de renseignement. La Pologne serait donc non seulement un site de stationnement pour les troupes et les armes américaines mais aussi une base arrière fiable pour des opérations dans les pays baltes, en Biélorussie, en Ukraine et dans la région de Kaliningrad. Le programme d'encouragement du séparatisme dans cette région fera partie de la stratégie générale d'endiguement, c'est-à-dire de torpillage de l'intégrité territoriale de la Russie.
— Dans le domaine économique: une soumission complète du potentiel restant de l'industrie polonaise de l'armement aux entreprises américaines. Ce processus étant déjà en marche, l'usine d'hélicoptères de Mielec appartient désormais à Sikorski Aircraft.
— Dans le domaine psychologique: la création au sein de la société et des élites polonaises de l'identité de "petit allié", c'est-à-dire de client politique des États-Unis, de la certitude d'une existence de la menace russe et de la foi en Amérique, seule force capable de conjurer cette menace à l'aide de sa présence militaire.
— Dans le domaine stratégique: transformation des pays situés entre les mers Baltique et Noire en front d'une nouvelle "guerre froide". Pour les USA, encourager l'affrontement avec la Russie permettra de conserver leur présence militaire et politique dans la région et de rendre impossible l'élaboration de rapports constructifs entre l'Europe de l'Est et de l'Ouest. La Russie sera donc un adversaire "éternel" de l'Europe, sans pouvoir établir avec elle de relations de partenariat et encore moins d'alliances qui pourraient réduire à néant l'hégémonie américaine sur le continent. Les intérêts des États-Unis ne prévoient pas la libéralisation du régime de visas entre l'Europe et la Russie, mais la transformation des frontières en ligne de front.
Les États-Unis ont besoin de prétextes pour rester sur le continent mais aussi garder leur contrôle stratégique de l'Europe. Une alliance entre l'Europe et la Russie – stratégie la plus naturelle pour les deux parties – signerait l'arrêt de mort de la Pax Americana au niveau continental, voire global. En réalité, toute cette "aide amicale" des États-Unis se résume à la défense de régimes politiques corrompus et peu efficaces. Pour ces derniers le seul moyen de sauver leur peau est la recherche d'ennemis extérieurs, puis d'appeler Big Brother pour qu'il les "protège" des "plans agressifs des envahisseurs".
La politique actuelle des États-Unis rappelle la mise en œuvre de la doctrine de Nixon, selon laquelle l'Amérique a délégué l'endiguement de l'URSS aux régimes locaux le long de ses frontières en échange d'une aide militaire et de programmes importants d'armements.