Zone de libre-échange : l’Europe doit choisir entre la Russie et les USA

Zone de libre-échange : l’Europe doit choisir entre la Russie et les USA
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Les chiens aboient, la caravane passe. Tant que les peuples européens protestent et que le Président russe Vladimir Poutine prononce deux grands discours annuels, le Sénat français adopte des résolutions en faveur de la création d’une zone de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis.

Ce dernier a pour objectif de supprimer les barrières douanières afin de favoriser et d'accroître les échanges commerciaux de part et d'autre de l'Atlantique Nord.

Chacune des parties concernées privilégiant ses propres intérêts, les négociations entamées en 2013 sont actuellement gelées. Les différences au niveau de la législation et des normes écologiques et alimentaires créent une certaine défiance, voire une certaine incompréhension. Idem pour les façons de faire du bisness, notamment la question des investissements internationaux et le contrôle des non-résidents.

Le sénateur Michel Billout, vice-Président de la Commission des affaires européennes, membre de la Commission des affaires étrangères, de la Défense et des forces armées, a aimablement consenti à nous décortiquer la situation.

Sputnik. Les Etats-Unis prônent la création d’une zone de libre-échange euro-atlantique : NAFTA (Etats-Unis, Canada, Mexique) plus l’Union européenne. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Michel Billout. Je vais commencer par la position du Sénat français. Il est déjà intervenu à travers plusieurs résolutions qui souhaitaient, d’abord, qu’un certain nombre d’activités humaines soient exclues de la négociation, comme l’agriculture, la santé, la problématique de l’énergie. Actuellement, la Commission des affaires européennes et la Commission de l’économie du Sénat français viennent d’adopter une résolution qui demande que le travail des négociations entre l’Union européenne et les Etats-Unis soit d’une plus grande transparence et que l’ensemble des 28 Parlements nationaux de l’Union européenne soient clairement informés du mandat des négociateurs et des questions mises sur la table. Le Sénat français s’inquiète beaucoup de ce qui est déjà prévu dans l’accord UE-Canada et qui pourrait l’être dans l’accord UE-Etats-Unis concernant les tribunaux que seraient chargés d’étudier les recours possibles entre des entreprises et des Etats. Le Sénat français considère que ce ne doit pas être des justices privées, comme c’est prévu dans l’accord, mais plutôt des tribunaux publics.

Sputnik. Quelle est votre position ?

Michel Billout. Je m’interroge personnellement sur la nécessité d’avoir de nouveaux accords transatlantiques, puisqu’en termes du commerce, même en termes d’échanges de capitaux, les choses vont plutôt assez bien. Quant à la France, les Etats-Unis sont le premier investisseur étranger dans le pays. Avoir de nouveaux accords concernant les investissements – je ne suis pas sûr que ce soit la priorité pour l’économie française ou l’économie européenne ni pour l’économie des Etats-Unis. Bien entendu, je suis très attentif aux contreparties qui pourraient être exigées. L’Union européenne, en termes de normes concernant la santé des habitants, est beaucoup plus exigeante que la société américaine. Je ne souhaiterais pas que ces normes de protection soient simplifiées.

Sputnik. Outre ces contreparties redoutables, y a-t-il d’autres choses qui pourraient empêcher la prise de décision ?

Michel Billout. Pour le moment, on n’en est pas à la ratification. Je pense que nous avons quelques années devant nous pour conduire des négociations. Et puis, il y a un point sur lequel, d’ailleurs, la Cour de justice européenne s’interroge. Cela peut paraître curieux mais ce n’est pas encore tranché, nous ne savons pas s’il s’agit d’un accord purement européen, des compétences du Parlement européen, ou s’il s’agit d’un accord mixte qui concerne les compétences de l’Union européenne et les compétences des Etats, qui nécessiterait donc la ratification par les 28 Parlements nationaux voire, pour certains Etats, par voie de référendum et, un seul Etat refusant la ratification, on rejetterait tout l’édifice. Effectivement, au-delà de ça, il y a beaucoup de problématiques qui peuvent constituer des obstacles. En France, par exemple, nous sommes très attachés à la qualité de la production agricole, nous avons tendance à préserver la qualité plutôt que la quantité, ce n’est pas le choix d’Outre-Atlantique. Et cela constituer une menace très importante.

Sputnik. En ce moment, les fermiers protestent à Bruxelles contre la création d’une zone de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Est-ce que vous en avez entendu parler ?

Michel Billout. Oui, bien sûr. Il y a beaucoup d’inquiétudes. D’une part, nous sommes déjà dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune au sein de l’Union européenne. Des agriculteurs de certains pays vont y perdre beaucoup. Donc, il y a de très fortes inquiétudes sur les contreparties qu’il faudrait accepter des Etats-Unis pour créer cette zone de libre-échange. L’agriculture qui tient, quand-même, une place extrêmement importante au sein de l’Union européenne est particulièrement visée. Il faut savoir que lorsqu’il y a 10 exploitations agricoles en Union européenne, il n’y en a qu’une seule aux Etats-Unis. Nous ne sommes pas du tout dans les mêmes tailles d’exploitation. L’agriculture familiale n’existe pratiquement plus aux Etats-Unis, tandis qu’elle est très forte en Union européenne. C’est un danger très important.

Sputnik. Est-ce que cela aura un impact sur les relations franco-russes ?

Michel Billout. Je pense que la problématique des relations franco-russes aujourd’hui est plutôt celle de la situation en Ukraine. Je ne pense pas que ce soit directement lié. Après, la constitution d’un grand marché transatlantique pose la question des débouchés. J’ai un peu le sentiment que ce serait tout à fait regrettable de privilégier uniquement nos échanges avec les Etats-Unis. Il y a des échanges qui restent très importants et ne cessent pas de se développer avec la Russie comme avec d’autres grands pays du monde : la Chine, le Brésil. Par ailleurs, je crois que l’Union européenne n’a pas de volonté de s’enfermer complètement dans ce type de territoires d’échange.

Sputnik. Certains experts prônent la création d’une zone de libre-échange entre l’Union européenne et la Russie. Est-ce cette initiative pourrait concurrencer un grand marché transatlantique ?

Michel Billout. Non, cela me paraît complémentaire. Il y a des échanges avec l’Ouest, il faut aussi des échanges avec l’Est. Je souhaite que la situation aux frontières de l’Union européenne et de la Russie puisse se stabiliser, que la situation normale puisse être rétablie. Je ne crois pas du tout que ce soit un secteur concurrentiel.

Sputnik. Vous savez sans aucun doute que le Président russe Vladimir Poutine vient de prononcer un grand discours annuel sur la problématique actuelle. Pensez-vous que ce discours pourrait influencer la décision européenne ?

Michel Billout. Je n’en suis pas totalement certain. Je pense que les dirigeants de l’Union européenne attendent aujourd’hui des actes plutôt que des discours. Il y a des choses intéressantes dans les paroles de Monsieur Poutine, mais ce sont des actes concrets pour contribuer à stabiliser la situation en Ukraine qui permettront, sans doute, de résoudre les problèmes extrêmement préjudiciables à la Russie comme à l’Union européenne.

Commentaire. Selon les rapports de la NSA américaine, des changements sérieux se seraient produits dans le système économique et financier du monde avant 2025. En six ans, le dollar aura perdu son statut de monnaie dominante et sera remplacé par plusieurs monnaies à la fois. Résultat : la stabilité financière des Etats-Unis va dépendre des facteurs externes et leur possibilité de manœuvre sera limitée. En d’autres termes, les Etats-Unis craignent dès aujourd’hui l’apparition de facteurs capables de nuire à leur leadership géopolitique. Voilà pourquoi ils essayent d’obtenir une intégration économique et financière dans la zone euro-atlantique basée, évidemment, sur un scénario américain.

De ce fait, la création d’une zone de libre-échange euro-atlantique pose autant la problématique commerciale que nationale, économique géopolitique et souveraine. Si ces tendances géopolitiques persistent, elles rendront minimes les chances de stabiliser la situation globale, prônée entre-autres par le Président russe Vladimir Poutine.

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