De la schizophrénie ukrainienne de l’UE. Anamnesis morbi

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Comment est-ce que M. Juncker arrive à parler de désescalade en Ukraine avec la participation de la Russie alors que M. Obama vient de signer l’Acte « de soutien de la liberté en Ukraine » autorisant les USA à livrer des armes létales à Kiev ?

Je connais un blogueur qui aurait parlé de delirium tremens. Cet état si sévère soit-il étant passager, j’opterais plutôt pour une schizophrénie aiguë. En effet, comment est-ce que M. Juncker arrive à parler de désescalade en Ukraine avec la participation de la Russie alors que M. Obama vient de signer l’Acte « de soutien de la liberté en Ukraine » autorisant les USA à livrer des armes létales à Kiev ? Comment est-ce que Mme Mogherini entend inciter la Russie à « un changement radical envers le reste du monde » quand le reste de ce monde – manifestement limité à l’Occident dans son esprit – entend renforcer des sanctions qui pèsent déjà assez lourd sur l’économie russe ?

En réalité, la réunion bruxelloise du 18 décembre n’est pas sans rappeler une immense mascarade que certains apprécieraient à sa juste valeur théâtrale si ses conséquences n’étaient pas ce qu’elles sont à ce jour et ce qu’elles risqueraient fort d’être demain. Alors donc que M. Tusk répondant au prénom très polonais de Donald plaide une position noblement empreinte de fermeté et de responsabilité, le président de la Commission de Bruxelles s’empresse d’exprimer une non moins ferme condamnation de l’attitude de la Russie en Ukraine. Magnanime – ou en tout cas voulant l’être – il reconnaît cependant qu’un dialogue entre les parties concernées serait souhaitable.

De deux choses l’une. Soit les responsables européens sont pathologiquement déconnectés des réalités du terrain – ce qui rejoint la thèse de la schizo – soit ils préparent en toute conscience et mauvaise foi une nouvelle opération punitive cette fois à très grande échelle contre les « séparatistes » et surtout les civils. Rappelons qu’entre mars et décembre il y a eu bien plus de morts parmi les civils que dans les rangs des forces d’auto-défense. Comme il est plus facile d’assurer cette énième préparation en isolant au maximum un pays qui à n’importe quel moment pourrait reconnaître la Novorossia et par conséquent lui prêter main forte, l’UE n’hésite pas à faire fi des récentes déclarations du général Breedlove ainsi que de celles, côté ukranien pour ne citer que deux exemples, de M. Vladimir Rouban, chef du « Corps d’officiers » et de M. Oleksandre Taran, haut gradé et expert militaire : il n’y a pas d’unités militaires russes régulières dans le Donbass.

D’ailleurs, selon M. Taran qui se prononce bien entendu pour la conservation de l’intégrité territoriale, aucune des deux forces armées – pas plus l’armée ukrainienne que la Résistance donbassienne – ne veulent de cette guerre orchestrée et entretenue à petit feu de l’extérieur à des fins de chaotisation puis de pillage à tout niveau du pays. Ceci dit, ce qu’il a pu voir dans les Républiques autoproclamées laisse penser, à son plus grand regret, que ce sont bel et bien les services gouvernementaux et les services de sécurité ukrainiens qui se conduisent en « terroristes » plutôt que les terroristes présumés de l’Est qui certainement sans être pour beaucoup des enfants de choeur ne pilonnent pas Kiev et n’envisagent aucune avancée.

M. Junker et ceux qui partagent ses réflexions se placent sans doute dans la logique de ceux qui voyaient en Jean Moulin un terroriste que l’on pouvait torturer à mort comme tel. Mais dans quelle logique surréaliste se placent-ils donc en avançant d’un côté que Moscou devrait s’engager à respecter les accords de Minsk – qui curieusement furent signés par Koutchma et non pas par Porochenko – alors que l’implication de Moscou tient toujours à des accusations arbitraires sans fondement tangible mais cela sans remettre en question le non-respect de Kiev et du protocole de septembre et du récent cessez-le-feu signé le 9.12 ? Reprocherait-on aux forces des RPD et RPL de se défendre ?

Une autre énormité est à mettre en relief : celle de M. François Hollande qui fait en outre pendant à celle de son homologue ukrainien. Tous deux évoquent l’amorce d’un « processus de réforme ». De quelle réforme, serait-on tenté de demander ? Une économie détruite ? Ce ne sont pas les fantasmes du Kremlin mais un constat sèchement formulé le 11.12 par le grand ami de Washington, M. Iatseniouk. 5,2 millions de personnes vivent en zone de combat redoutant plus que jamais l’emploi des armes létales prochainement livrées avec l’aval du grand prix Nobel de la paix ? 4634 morts et 10 342 blessés ? On voit que la transition démocratique de l’Ukraine va en effet très bon train et on nous promet de redoubler d’efforts, de quoi se réjouir. C’est sans oublier la dénationalisation autant du gouvernement (trois ministres étrangers dont l’un ne parle pas un mot d’ukrainien) que des secteurs energétique et agroalimentaire (comme par hasard) par des oligarques épaulés dès le début par la Maison-Blanche. A moins que Messieurs Hollande et Porochenko n’aient quelques affinités particulières avec les éléments ouvertement fascisants de Svoboda ou des « svidomites » ultra-nationalistes des bataillons punitifs ... ce que – restons réalistes – je ne crois pas. Enfin, avant d’entamer un processus de réforme, peut-être faudrait-il mener à bien la fameuse enquête sur le crash du MH17 ainsi que sur l’usage des armes à sous-munitions confirmé par l’OSCE.

Le fait que l’Europe soit donc partagée sur l’attitude à adopter face à la Russie – reprenons le titre du Monde – correspond à la logique tout aussi contradictoire de Mme Merkel et de M. Tusk. L’une envisage de coopérer « avec la Russie, pas contre la Russie », l’autre appelle à l’élaboration d’une véritable stratégie européenne face à Moscou. Alors s’arrêterait-on préférentiellement sur « avec » ou sur « face » ? Enfin, une question qui personnellement me plonge dans la tourmente : et l’Ukraine dans tout cela ? A force de vouloir juger la Russie à travers un prisme parfaitement décrit dans le fameux Marteau des sorcières, on en vient à oublier la pomme de discorde. Faut-il s’en étonner ? Plus vraiment. Après tout, c’est en plein chaos que l’Afghanistan et l’Irak furent abandonnés par l’Occident. Pourquoi en serait-il autrement pour l’Ukraine le but poursuivi n’ayant pas été atteint à terme et s’annonçant de toute façon fort difficile à atteindre ?

En attendant, Vladimir Poutine a clairement exprimé lors de la conférence de presse du 18 décembre son intention d’endosser un rôle d’intermédiaire entre Kiev et le Donbass et à contribuer de facto à la restauration de l’intégrité politique du pays. Prêcherait-il derechef dans le désert ? Quoi qu’il en soit, il a fallu environ six mois pour diviser un grand pays en plein centre de l’Europe et mettre à feu et à sang une immense région industrielle. Qu’en serait-il si la Russie, pour donner une illustration plus éloquente et à la fois plus terre à terre de sa position, envoyait ses ministres distribuer des petits fours aux protestataires Afro-Américains de Ferguson ? Cette analogie défie le sens commun pourtant c’est exactement la logique qui anime l’UE. Je ne vois pas en quoi elle diffère de celle d’Al-Nosra libérant un peuple qui est soi-disant le sien d’un Président qui est soi-disant un dictateur mais un dictateur dont la légitimité a été confirmée par les urnes et cela en pleine guerre. Cherchez l’erreur.

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