Certains y virent une fausse accalmie rappelant celle de Minsk qui a permis un réarmement partiel de l’armée ukrainienne, d’autres replacent cette nouvelle signature dans le contexte d’une série d’entrevues et de déclarations pouvant laisser supposer que les USA abandonnaient le chemin de la guerre en privilégiant la solution diplomatique. Un certain nombre de faits cruciaux entrent en conflit en vertu de quoi les pronostics les plus osés deviennent validables.
L’Ecclésiate avait raison de constater qu’il n’y avait strictement rien de nouveau sous le soleil. Slobodan Despot l’avait rappelé le 25 février sur les pages du Figaro Vox en évoquant les «yougo-analogies » saillantes qui se superposent au processus de démantèlement de l’Ukraine post-maïdanesque. Même travestissement de la réalité caractéristique des opérations subrepticement et/ou ouvertement menées par le camp des néo-conservateurs, même idéalisation des radicaux de tout poil tant qu’ils font les idiots utiles du système importé, même violation des normes les plus élémentaires du droit international, même mutisme complice, quand il le faut, des « journalistes-anesthésistes » pourtant parfaits, également quand besoin est, pour diaboliser un chef d’Etat « dictateur ». La tournure est cynique mais on commence à se lasser des copier-collers qu’on nous fait ingurgiter, l’air malin, depuis les années 90. Le pire, c’est l’irrésistible tentation d’aller jusqu’au bout de ces analogies en constatant que les gouvernements fantoches installés par nos amis d’Outre-Atlantique commettent tous le même péché : ils confondent les intérêts de la nation avec ceux de Washinghton. Pourrait-on le leur pardonner ? L’Ukraine, serait-elle condamnée à tolérer les pirouettes des Porochenko et des Iatseniouk jusqu’à ce que collapse et éclatement s’en suivent ?
Le scénario mis en oeuvre par les USA leur a coûté assez cher. Vont-ils lâcher prise sachant que le bilan provisoire est plutôt satisfaisant ? Ainsi :
- Les relations commerciales entre la Russie et l’UE sont en grande partie bloquées ce qui rend plus probable la signature du traité Transatlantique.
- Poutine est tiraillé entre une certaine partie des oligarques politiques présents dans son entourage et hostiles à la République de la Novorossia, la dévaluation (sans fondement objectif) du rouble et l’inflation, deux facteurs qui secouent la population, enfin, l’impossibilité de « lâcher » le Donbass en épousant le point de vue atlantiste. Khodorkovski, bien au chaud en Suisse, s’est de nouveau fait remarquer en se disant prêt à diriger un gouvernement provisoire. En clair, l’ancien PDG de Ioukos s’imagine un Maïdan moscovite. Du délire total ? Non, juste une nouvelle attaque psychologique.
- Pour compléter le tableau, n’oublions pas les hydrocarbures ukrainiens avec Chevron et l’agroalimentaire avec notamment Cargill. Le nouveau ministre de l’Economie lituanien et le nouveau ministre des Finances américain n’ont tout de même pas été nommé pour rien ! En plus, comment procéder à la fracturation hydraulique du gaz de chiste américain si ce n’est sur le territoire ukrainien ? Aucun pays de l’UE ne voudrait d’un tel gâchis écologique sur son sol.
Ces considérations ne sont que des constats de faits. Il n’est bien sûr pas dit qu’ils détermineront le sens dans lequel évolueront les évènements en Ukraine et la guerre pour le Donbass d’ici 2015. Je soumets à votre attention l’analyse de M. John Laughland, philosophe et historien, directeur des études de l’Institut de la démocratie et de la coopération.
La Voix de la Russie. « Une trêve a été conclue entre Kiev et les autorités de la Novorossia mardi 9 décembre. Dimanche a eu lieu à Rome une rencontre entre Kerry et Lavrov lors de laquelle le ministre des Affaires étrangères russe a signifié qu'il était inutile de faire pression sur la Russie qui en aucun cas ne fléchira sur le dossier ukrainien. Quelle est votre appréciation de cette trêve? Croyez-vous qu'elle ait été mise en place pour "détourner" l'attention du Kremlin et lui faire accepter un certain nombre de concessions désavantageuses au nom de la paix (une paix provisoire?)
John Laughland. Je pense que la paix est peut-être provisoire mais je ne vois pas pourquoi elle serait une simple manipulation contre le Kremlin. J’entends par là que les rebelles n’auraient pas signé s’ils avaient cru qu’il s’agissait d’une astuce. Qui plus est, je pense aussi que le Kremlin est beaucoup trop intelligent pour se faire piéger par ce genre de manoeuvre.
Voici maintenant ce que je dirais à propos de cette trêve et à propos de cette rencontre entre le ministre des Affaires étrangères américain et son homologue russe à Rome : ces deux faits rendent assez difficilement lisible la politique occidentale. Deux interprétations sont à mon sens possibles.
- L’une consisterait à constater que malgré la rhétorique atlantiste et les sanctions, il y aurait en fait une volonté d’apaisement avec la Russie. On pourrait l’affirmer en se référant notamment au fait qu’un accord sur le gaz ait été conclu il y a plusieurs mois sous le parrainage de l’UE entre Moscou et Kiev, un accord qui est toujours de vigueur et au fait que le Président de la République française, François Hollande, ait fait une escale à Vnukovo en rentrant du Kazakhstan pour rencontrer le Président Poutine. Dans l’optique de cette première interprétation, ce serait autant de signes indiquant une volonté d’aboutir à une sorte de désescalade et d’accord ultérieur.
- Une autre interprération consisterait à admettre que pour créer sa propre zone d’échange transatlantique, l’Occident veut à tout prix faire monter les enchères et entrer en confrontation (voire engager un affrontement contre) avec la Russie. J’ai eu l’occasion de véhiculer cette thèse il y a peu me trouvant à Moscou. Oui, je présume que l’Occident cherche – probablement – cet affrontement, cela pour des raisons multiples. D’abord, pour créer ex nihilo des conditions favorables au projet de libre-échange que je viens d’évoquer en faisant de la Russie un ennemi extérieur à l’Occident et ensuite aussi pour donner à l’UE qui est en crise permanente et dont le soutien s’effrite au jour le jour l’illusion d’avoir un ennemi tant sur le plan idéologique que sur le plan géopolitique ce qui renforcerait sa dépendance des USA.
J’ai du mal à savoir laquelle des deux interprétations est la bonne bien que j’accorderais plus de crédit à la seconde. L’Occident veut un affrontement et ces pourparlers entre Moscou et Washington ne se font que pour la forme. J’en veux pour preuve que trois jours avant cette dernière trêve l’Ukraine a reçu la livraison de pas moins de 100 chars. Il y a eu une cérémonie à Kharkov où Porochenko était présent. Sur les photos de l’AFP on voit un très grand nombre de chars, c’est-à-dire une livraison militaire très importante, j’ignore de quel (s) pays. Bien évidemment, cela pourrait laisser entendre que l’Ukraine s’apprête à une nouvelle offensive vers la fin de l’hiver.
La VdlR. En effet, les Ukrainiens ont fermé les aéroports de Kharkov, de Dniepropetrovsk et de Zaporojie afin d'accueillir des livraisons d'armes en provenance de l'OTAN et des USA ce qui est un geste sans équivoque. Permettez-moi cette question assez provocatrice inspirée d’une récente émission diffusée sur TV-Polonia. Celle-ci a présenté un projet salutaire pour l'Ukraine avec une carte à l'appui découpant l'Ukraine actuelle en trois parties. Une partie proprement ukrainienne, une partie polonaise et une partie russe. Selon Kostia Bandarenko, géopolitologue ukrainien, il n'y aurait plus d'autre solution envisageable l'Ukraine ayant atteint un point de non-retour. Qu'en pensez-vous?
John Laughland. Au moment de la révolution orange de 2004, on m’avait posé la question de la division de l’Ukraine. On en parlait déjà beaucoup à l’époque sachant que la division qui depuis s’est sensiblement renforcée entre l’Est et l’Ouest existait déjà. La BBC m’avait doncdemandé ce que j’en pensais. J’avais alors répondu que toute division de ce type se fait forcément dans un bain de sang. Il est très difficile de créer sur le territoire d’un Etat existant de nouveaux Etats ou de partager un Etat sans aggraver sérieusement la situation. En même temps, dans le cas présent, l’Ukraine a atteint un point de non-retour. Elle l’a atteint au moment de la sécession de la Crimée. C’est à ce moment-là que l’Etat ukrainien s’est effondré, suite au coup d’Etat du 21 février et la transition anarchique qui s’en est suivie. Une analogie s’impose avec le cas de la Yougoslavie qui en tant qu’Etat s’est effondrée en 1991. Par conséquent, dix ans plus tard et dans l’optique des évènements que nous connaissons, je crois que ce genre de réflexion n’est pas vraiment dénué de sens. Cela d’autant plus que sur le terrain, même si une partie polonaise de l’Ukraine n’existe pas encore, à l’Est et bien sûr en Crimée le pouvoir de Kiev n’est plus du tout reconnu. Par conséquent, aussi osée qu’elle puisse paraître, ce genre de carte a au moins le mérite de refléter une part de la vérité ».
Commentaire de l’auteur. Entre le moment où l’interview avait été enregistrée et celui de sa publication, nous apprenons que l’armée ukrainienne a brisé la trêve à plusieurs reprises. Valujskoe et Olkhovoe (RPL) auraient subi une canonnade sévère, une soixantaine de mercenaires polonais auraient débarqué à Chuguev (région de Kharkov). On signale également une trentaine de mercenaires français à Konstantinovka (région de Donetsk). La participation de mercenaires étrangers combattant aux côtés de la junte est un secret de Polichinelle Porochenko l’ayant lui-même reconnu. Serions-nous au seuil d’une guerre ouverte entre deux puissances nucléaires, les USA et la Russie, comme le laisse entendre Mme Diana Johnston dans l’un de ses derniers articles, La guerre glaciale de Washington contre la Russie?