Question de vie et de mort

Question de vie et de mort
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Cette fois-ce ce n’est pas une expression au figuré, mais au sens propre du terme: le vendredi 12 décembre, François Hollande a reçu le rapport rédigé sur la question des nouvelles droits pour les patients en fin de vie, par les députés UMP et PS Jean Leonetti et Alain Claeys.

Monsieur Hollande a promis les améliorations de la législation sur la fin de vie lors de sa campagne présidentielle. Les deux auteurs du rapport se sont attelés à la tâche de faire les propositions dans le cadre de la loi sur la fin de vie, rédigée par le même Leonetti en 2005.

Nous avons demandé de commenter la situation actuelle en France à la Vice-présidente de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), à Jacqueline Jencquel. L’association milite pour que chaque Française et chaque Français puisse choisir les conditions de sa propre fin de vie.

Jacqueline Jencquel. Notre Association existe depuis 35 ans. Elle a été créée après la tribune apparue dans « Le Monde » de l'écrivain Michel Lee-Landa qui a decidé qu’il est impossible de laisser les gens souffrir. C’est la première fois qu’on a pensé qu’on pouvait changer la mort. Pas tout à fait la première fois, parce qu’on avait déjà un livre écrit par professeur Léon Schwartzenberg dans les années 1970, dans lequel il a même avoué d’avoir pratiqué les euthanasies. Ce sujet existe depuis longtemps en France, mais on a toujours essayé de le taire. Maintenant, on en parle.

Notre Association milite pour qu’on ait droit à l’euthanasie et le suicide assisté, comme dans les pays de Benelux et en Suisse.

La Voix de la Russie. Est-ce qu’en 35 ans on voit le progrès dans ce domaine ?

Jacqueline Jencquel. Il y a un certain progrès. En 1999, on a eu la première loi Kouchner qui rendait contraignante l’accès des patients à leur dossier médical. En 2002, Bernard Kouchner étant encore le Ministre de la sante, a décrète qu’il fallait donner autant d’antalgiques qu’il faut pour que le patient ne souffre pas. Avant 2002, on ne donnait pas assez de morphiniques au patients en phase terminale ou après une opération, quand on souffre beaucoup. Les Français étaient les plus « mauvais » dans l’administration de ces médicaments. Kouchner a décidé qu’il faille donner autant d’antalgiques qu’il fallait, mais il n’est pas allé jusqu’au bout et n’a pas dit qu’il fallait aussi aider les gens à mourir. Pourtant, c’était sa conviction personnelle.

En 2005, on a eu un cas de Vincent Humbert, un jeune pompier de 22 ans qui a eu un grave incident en conduisant sa voiture de pompier. Il est devenu paralysé, sourd et aveugle en ne pouvait s’exprimer qu’en appuyant avec le pouce sur la paume de la main de sa mère. Ainsi, il a écrit une lettre au Président Chirac en lui demandant la permission de mourir. Président Chirac a répondu : « Non, il faut lui rendre le gout à la vie ! » le « gout de la vie » quand vous êtes sourd, muet, paralysé, sans aucun espoir de guérison… Sa mère lui a mis un produit (létal) dans sa perfusion pour l’aider à mourir et accouru vers la presse qui était stationnée autour de l’hôpital en criant : « J’ai tué mon fils ! » Les médecins sont arrivé pour essayer le ranimer. Mais Docteur Fréderic Chaussoy a mis du chlorure de potassium dans la perfusion, ce qui a fait que le garçon est mort. Ensuite, on a accusé autant la maman que le médecin, mais on a eu le non-lieu pour les deux. Les medias en ont beaucoup parle, l’opinion publique a été beaucoup secoué.

On a confie une mission au Docteur Leonetti pour essayer de changer la loi. Le problème est que Docteur Leonetti est contre l’euthanasie. Il a fait une loi, en disant qu’il ne fallait pas s’acharner sur des patients, que les patients doivent faire les directives anticipes pour dire ce qu’ils veulent à la fin de leur vie - s’ils veuillent être débranchés ou « prolonges » - et qu’on doit leur donner une sédation profonde pour qu’ils ne souffrent pas. Cette loi existe depuis 2005, elle n’est ni connue, ni appliquée par les médecins.

En 2008, on a eu un nouveau cas : Chantal Sébire a eu un cancer très douloureux et horrible à voir, parce qu’il était dans le visage. En souffrant des douleurs épouvantables, elle apparait à la télévision et demande de mourir. Elle demande au Président Sarkozy si elle a droit de mourir. Sarkozy dit la même chose : « Non, il faut qu’elle apprenne à vivre. Si elle veut, elle peut venir voir mon médecin personnel. » Voilà le genre de réponses qu’on a eu !

On a confié de nouveau la même mission au même Docteur Leonetti.

Maintenant, en 2014, on a encore un cas de Vincent Lambert, plonge dans le coma profond depuis 6-7 ans, qu’on ne laisse pas mourir. Une fois de plus, on confie le projet de loi au même Docteur Leonetti, encore une fois, il vient de dire la même chose : « La sédation profonde, il faut que le patient puisse décider » Dans ce cas-là, qu’est-ce que vous volez que le patient décide ? Il ne peut rien décider, il n’a pas fait de directives anticipées…

Ce qui est important, c’est d’écrire tant qu’on est encore en bonne santé. Quand on arrive à ce genre de situation, si on n’a rien écrit, personne n’ose rien faire. Nous continuons à militer !

LVdlR. C’est une question difficile. La responsabilité est extrêmement difficile à prendre si la personne est inconsciente. Mais, également si la personne est consciente, tout en étant totalement paralyse, je fais référence au livre « Le scaphandre et le papillon » de Jean-Dominique Bauby. On ne peut pas prendre toujours la précaution… Quand on est jeune, on se croit éternel…

Pensez-vous qu’il y a une solution ? Surtout si c’est toujours la même personne qui est chargée du dossier ? Arrivera-t-on en France au système que vous citez pour Benelux et Suisse ?

Jacqueline Jencquel. Je pense qu’il faut lutter. Nous à l’ADMD nous avons presque 58.000 membres et il y en a de plus en plus qui adhèrent. Nous militons pour que cette loi change, surtout dans la mesure où l’opinion publique est avec nous. Le premier pas consisterait à rendre obligatoire les directives anticipées et de dire que chaque personne dès 18-20 ans, au moment où elle obtient son permis de conduire, devrait écrire sa propre directive anticipée. Quand on transmet sa volonté par écrit et que l’on a une personne de confiance, on sait au moins qu’en cas d’accident ladite personne exécutera notre volonté. Il y a des gens qui veulent vivre le plus longtemps possible et d’autres qui dans une situation sans issue préfèrent mourir.

LVdlR. Mais il se pourrait que la personne change d’avis ...

Jacqueline Jencquel. Bien entendu. Autant il faut pouvoir formuler des directives, autant il faut avoir la possibilité d’en changer à notre aise. Même in extremis – mais cela supposerait une parfaite lucidité – si arrivé devant l’échéance vous vous dites que non, finalement, j’aimerais vivre encore un petit bout de temps, c’est toujours possible ! Personne ne vous met un couteau sur la gorge. Ni au Benelux, ni en Suisse !

LVdlR. L’opposition la plus forte à l’euthanasie viendrait plutôt de l’Eglise et/ou des députés ?

Jacqueline Jencquel. Je mettrais plutôt l’accent sur les hiérarchies religieuses, les simples pratiquants qu’ils soient catholiques, juive sou d’autres confessions, les personnes qui réfléchissent à leur mort, en général, étant favorables à l’euthanasie. Les personnes qui ne réfléchissent pas et qui répètent les dogmes qu’on leur récite s’en tiennent à cette thèse selon laquelle il convient d’accepter la Volonté divine. Je trouve cela absurde. Si l’on acceptait la Volonté divine, on ne s’acharnerait pas sur la prolongation (palliative) des traitements thérapeutiques administrés. Pourquoi s’obstiner à mettre des sondes gastriques si la personne doit être rappelée à Dieu ? Par ailleurs, s’imaginerait-on sérieusement Quelqu’un qui s’intéresserait autant à chaque personne, à chaque spermatozoïde, à chaque ovule ? Un couple fait l’amour. Un sperme gagne et rencontre l’ovule. Pensez-vous sérieusement que Dieu est derrière chaque acte sexuel ? Non, Dieu est beaucoup plus grand que cela ! Et puis de toute façon, on ignore qui est Dieu. Nous avons un autre niveau d’existence, en beaucoup commun à celui des animaux et des plantes qui meurent aussi naturellement qu’ils vivent. La mort fait partie de la vie alors essayons de la dédramatiser.

LVdlR Aux USA, le débat s’ancre plus particulièrement dans un contexte économique. On dénonce le diktat des grandes compagnies d’assurance qui au bout de quelques jours débranchent les patients incurables. Est-ce que l’on s’interroge en France sur l’aspect moral du problème ?

Jacqueline Jencquel. Bien sûr, il y a l’aspect économique dans les deux sens. C’est vrai qu’il y a des compagnies d’assurances aux Etats-Unis, mais il y a également des lobbies pharmaceutiques qui ont tout intérêt à ce que les patients fassent la chimiothérapie, même inutile. Des lobbies pharmaceutiques aiment vendre des chimiothérapies qui se font parfois quelques jours avant la mort du patient, dans 50% de cas. Des lobbies pharmaceutiques ne veulent pas de cas comme ça. Il y a également des lobbies des maisons de retraite. En France, les maisons de retraite sont cotées à la Bourse.

La Voix de la Russie. La question de vie et de mort se pose à chacun de nous, a chacun à une période différente. Comment y répondre ? On lit dans l’Evangile de Matthieu : « Et même les cheveux de votre tête sont tous comptés.» Notre vie est-elle dans la main divine ? Ou juste dans les mains expertes de médecins professionnels ?

On y ajoute dans la société actuelle des mains des légistes.

Cela nous décharge-t-il de nous poser cette question et de remettre la responsabilité de gérer notre vie et notre mort sur quelqu’un d’autre ?

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