Hélène Carrère d’Encausse sur la visite de Hollande à Moscou

Hélène Carrère d’Encausse sur la visite de Hollande à Moscou
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Hélène Carrère d’Encausse a tenu à donner son commentaire sur la visite du président Hollande à Moscou et ses négociations-éclair avec le président Poutine.

Voix de la Russie/Sputnik : Que pensez-vous de la visite-éclair de François Hollande à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine ?

Hélène Carrère D’Encausse : D’abord je ne crois pas que cela ait été une surprise absolue tout simplement parce que depuis toujours la France a tout de même l’habitude, un attachement aux relations franco-russes, et elle a l’habitude, dans des situations difficiles, d’assurer la médiation. Je pense notamment à la médiation de Nicolas Sarkozy en 2008 en Géorgie. Je crois qu’il faut toujours se rappeler que le Général De Gaulle a été pratiquement le premier à engager en 1966 des relations culturelles avec l’Union Soviétique. Ce n’était pas la Russie, mais dans l’esprit du Général De Gaulle, c’était tout de même toujours la Russie ! Il le disait d’ailleurs. Et par conséquent, dans les moments très difficiles des relations entre la France et la Russie ou la Russie et l’Europe, la France a toujours été là. Les responsables français savent que leur rôle est d’intervenir et d’essayer de détendre les relations, d’essayer de trouver une solution. Je pense que tout le monde attend, d’une certaine façon, de François Hollande qu’il choisisse le moment opportun pour agir. Dans les relations internationales c’est un homme qui est incontestablement très actif. Il l’a montré en Afrique et il semblait assez étonnant qu’il reste à l’écart de cette question, surtout compte tenu de notre très grande proximité culturelle, intellectuelle et morale… Tout ça fait qu’à un moment nous avons vraiment besoin de se parler.

VDLR : Que pensez-vous des résultats de cette visite du Président français ?

Hélène Carrère D’Encausse : Je crois que, de toute façon, le Président a déjà envoyé un signal le 6 juin, ce qui n’était peut-être pas très visible, mais il y a tout de même eu cette espèce de voisinage de tous les protagonistes de la tragédie ukrainienne. C’était sur les champs de bataille de Normandie et c’était déjà un premier signal. A plusieurs reprises, le président Hollande a dit combien il était rattaché aux accords de Minsk. Il a parlé de la désescalade parce que, pour lui, les accords de Minsk offraient déjà une porte ouverte vers la solution du conflit. Et il a parfaitement raison. C’est très important parce que les accords de Minsk mettent sur scène deux partenaires, c’est-à-dire les Ukrainiens et les Russes, qui doivent parler avec probablement des intermédiaires de bonne volonté. C’est ce qui s’est passé à Minsk ! Incontestablement c’était déjà la possibilité de la désescalade : le président l’a souligné ! Et il va y aider déjà parce qu’il a accompli ce geste d’arrêt à Moscou. On sait très bien que c’est en partant à Astana qu’il a demandé déjà à Vladimir Poutine une occasion pour gérer cette rencontre. Donc ce n’était pas tout de même impromptu. Tout cela dans son esprit a été bien planifié.

VDLR : François Hollande veut « que le cessez-le-feu soit respecté dans sa durée ». Croyez-vous que les efforts portés par les deux présidents vont y contribuer ?

Hélène Carrère D’Encausse : Je ne suis pas Madame Soleil ! Personne ne l’est et je ne suis pas voyante ! Mais tout le monde sait que ce qui est particulièrement tragique, c’est que l’Ukraine risque d’y perdre son unité et son intégrité territoriale ! Le président Poutine l’a dit lors de sa rencontre avec le Président Hollande : lui aussi tient à l’intégrité territoriale de l’Ukraine tout simplement parce que la paix en Europe repose sur la stabilisation des Etats. Alors lorsqu’en 1991, le président de Russie a déclaré la fin de l’URSS. Alors il a dit que le départ des républiques s’effectuerait sur la base des frontières existantes – le principe de l’intangibilité des frontières. Tout le monde est d’accord sur le principe, mais les Ukrainiens savent aussi que leur intégrité dépend maintenant du dialogue. Comme je n’ai pas de baguette magique, je suis sûre que cela ne se fera pas en un quart d’heure. Il y aura certainement de petites tensions. Mais que le dialogue soit engagé, que cette bonne volonté soit attestée et que quelqu’un soit là – François Hollande qui un peu, en bonne fée, veille sur la sagesse des débats, c’est le signal que les choses vont tout doucement vers la normalisation.

VDLR: Comment avez-vous apprécié le discours de fin d’année du Président russe ?

Hélène Carrère D’Encausse : J’ai lu le discours de Poutine. Il est dans sa ligne. C’est normal. Sa ligne est dans l’affirmation de l’intérêt national de la Russie. Et c’est tout à fait naturel ! Tout chef d’Etat a en ligne de mire l’intérêt national de son pays ; Vladimir Poutine s’est attaché à reconstruire la Russie et lui redonner une fierté et, par conséquent, il n’y a pas lieu de disserter infiniment là-dessus ! Il est dans une logique d’un discours énergique où il vise, en premier lieu, les Etats-Unis ! Il semble leur dire : « Stop ! Il ne faut pas empiéter sur les intérêts russes ! » C’est la relation nationale entre les Etats importants sur la scène des grandes nations. »

Commentaire de la Rédaction. Lors de la cérémonie d’adieu qui s’est déroulée à Astana, à la fin de la visite du président de France, le président du Kazakhstan Nazarbaïev a parlé en russe. Ceci est quand même extraordinaire compte tenu du fait que le Kazakhstan est un Etat à part entière avec sa propre langue qu’est la langue kazakhe. Cela ne sert-il pas de preuve supplémentaire que le président de cet Etat a démontré clairement qu’il y avait des problèmes qui devaient être traités au niveau du Traité Douanier, de la CEI ou de l’Organisation de Shanghai dont la langue de travail est le russe. Venir parler à Astana des accords qui concernent tous les partenaires commerciaux de la région n’est pas diplomatiquement très correct. Cependant, on sent que François Hollande y a mis beaucoup de bonne volonté. Il y a également un bémol qu’on est obligé d’apposer à la logique sur le règlement du conflit ukrainien : à la différence de l’Ossétie du Sud, la Russie ne participe pas directement au conflit avec les autorités de Kiev dont le pouvoir n’a pas été reconnu par le Sud-Est. Toujours à la différence de l’Ossétie où la Géorgie était un Etat à part entière qui s’est attaquée aux Casques bleus et à la population civile d’une ville sans défense, l’Ukraine n’a pas connu une transition normale vers le nouveau pouvoir. Le nouveau pouvoir lui a été imposé par les putschistes. Et quoi que l’on pense de l’ancien président de Géorgie poursuivi d’ailleurs dans son propre pays pour des affaires criminelles, il n’a jamais arboré la croix gammée ni parlé de purges ethniques. La différence est flagrante et les deux contextes difficiles à rapprocher. Pour ce qui est de la déclaration de Mikhaïl Gorbatchev, il est incontestable qu’il a largement outrepassé ses prérogatives compte tenu du fait que le mécanisme de l’adhésion et de la sortie de l’URSS fut juridiquement défini encore dans les années 20 du siècle dernier. Donc ce n’était pas à un Chef d’Etat d’en modifier les règles à l’instar d’un Louis XIV, sur un oui sur un non, pour plaire à l’Occident. Cette loi disposait qu’une République devait quitter l’URSS dans son intégrité territoriale qu’elle avait au moment de l’adhésion. Dans le cas de l’Ukraine cela signifie un territoire sans Lvov (la région de Galitchina), la Crimée et la région du Donbass. /N

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