Au total, plus d'un demi-million de chômeurs peuplent la France depuis l’arrivée de F. Hollande au pouvoir. «Soyons honnêtes: nous sommes en échec», a dû reconnaître le ministre du Travail, François Rebsamen. Les pronostics à long terme sont non moins décevants. L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) ne voit aucune éclaircie avant 2016 : le chômage ne fera qu’augmenter. Pascal Salin, économiste français, professeur émérite à l'Université de Paris IX Dauphine, remonte aux racines du problème qui est depuis un certain temps devenu un fléau pour les Français.
LVdlR. M. Pascal Salin, partagez-vous ce raisonnement pessimiste de l’OCDE ?
Pascal Salin. Oui, absolument. Depuis longtemps j’estime que le chômage ne peut qu’augmenter. Comme on le sait, F. Hollande avait promis dès son élection de réduire le chômage. Son pari a été raté ce qui ne m’a pas étonné. Je suis tout à fait d’accord, malheureusement, avec le diagnostic pessimiste de l’OCDE mais pour des raisons différentes de celles de l’OCDE. L’OCDE estime les raisons en termes très globaux, comme si les problèmes économiques résultaient d’une espèce de mécanique, comme si en relançant la demande, on pouvait accroître la croissance. Je crois qu’il faut se poser en fait les questions au niveau des individus. Comment se fait-il que des gens qui désirent travailler, ne trouvent pas un emploi ? Comment se fait-il que les employeurs ne trouvent pas intérêt à embaucher d’avantage de salariés ? Je crois que la réponse est très simple : c’est qu’il y a des obstacles qui empêchent le salarié et l’employeur de se rencontrer. Ces obstacles sont l’excès d’impôts et l’excès de règlementation. La France a malheureusement pratiquement un record de monde du point de vue du montant des impôts et puis une réglementation également très importante. Le code du travail français a 3500 pages, c’est un record du monde également. Ce sont les obstacles considérables pour l’emploi. Aussi longtemps qu’on n’aura pas profondément modifié la politique fiscale et la réglementation, il est absolument impossible d’espérer une amélioration du chômage. Le problème de l’emploi ne peut pas être résolu, si on ne modifie pas les incitations des individus à travailler, à entreprendre…
Il y a un aspect du problème de l’emploi en France qui est également caractéristique, à savoir que l’indemnisation du chômage est très favorable en France, beaucoup plus que dans la plupart des pays. Et il ne faut pas se cacher la réalité parce que tout le monde le sait : il y a des gens qui sont au chômage et qui ne cherchent pas activement un emploi parce qu’ils sont payés d’une manière satisfaisante. Il y en a certain nombre qui travaillent au noir, par ailleurs, et qui gagnent même d’avantage que des gens qui sont employés. De ce côté-là il y a aussi une cause de chômage. On peut rester longtemps sans emploi avec une rémunération qui est suffisante. Et il est évident que Pôle emploi ne résout pas ce genre de problème. Plus on accroît en France les dépenses soit de la sécurité sociale, soit les impôts, plus on diminue le rendement du travail, le rendement de l’activité des entrepreneurs, il y a une espèce de cercle vicieux, ça crée donc du chômage et pour résoudre le chômage, on développe de nouvelles activités publiques, on développe Pôle emploi. Il faut sortir de ce cercle vicieux et il faut le courage de le faire. Malheureusement, ce n’est certainement pas le gouvernement actuel qui peut avoir ce courage.
LVdlR. Selon les dernières estimations, la France reste la championne des dépenses sociales. Ce n’est pas mauvais mais peut-être c’est ça qui est aussi la cause de cette morosité économique ?
P.S. Je suis d’accord avec ça. Prenons le problème de l’assurance maladie. Nous sommes bien d’accord que l’assurance maladie joue un rôle utile. Mais le problème est qu’en France nous avons un monopole public qui s’appelle l’Administration de la sécurité sociale. Alors qu’est-ce qui se passe ? Plus quelqu’un gagne de l’argent par ses propres efforts, par son travail, par ses activités d’entrepreneur, de travailleur indépendant, plus il doit cotiser à la sécurité sociale. Cela crée un découragement, ça détruit les incitations à faire des efforts. Dans le système d’assurance maladie privée où les gens payent des cotisations mais non pas en fonction de leur revenu mais en fonction d’autres critères, par exemple risque qu’ils représentent, ils sont au contraire incités à travailler d’avantage pour avoir une meilleure couverture d’assurance. Donc on a deux systèmes qui travaillent absolument en sens inverse. Je suis bien d’accord que l’assurance maladie est quelque chose d’utile. Mais le financement proportionnel ou même parfois plus que proportionnel au revenu détruit les incitations à travailler.
LVdlR. Beaucoup se demandent comment assainir l’économie qui est en stagnation. La solution peut-il venir de l’assouplissement des 35 heures et du passage au contrat d’entreprise ?
P.S. C’est souhaitable. Je crois qu’il faut rendre aux salariés, aux employeurs la liberté de déterminer le temps de travail. Mais il y a bien d’autres mesures qu’il faudrait prendre. Je pense au problème suivant. Il y a en France de très grandes difficultés pour licencier un salarié même s’il ne donne pas satisfaction. Mais ceci est un frein à l’embauche. Là aussi nous avons un cercle vicieux. Plus on protège le salarié en rendant licenciement difficile, moins il y a d’embauche, plus il y a de chômage. Je pense que le problème des rigidités, par exemple pour les licenciements, est peut-être plus important même que le problème des 35 heures. Ce sont des chantiers qu’il faut absolument mettre en œuvre, si l’on veut vraiment résoudre le problème de l’emploi. »