Nous avons invité à une réflexion autour de ce fait Jean-Pierre Moreau, ancien grand reporter du « Figaro Magazine »
La Voix de la Russie. Il y a, bien sûr, cette actualité, mais je pense que le problème n’est ni dans le FN, ni dans ce fait divers. Je pense que le problème est dans quelque chose de plus profond. Pour moi, il est difficile d’imaginer qu’on puisse construire les murs sans les prédestiner au culte qui va être servi à l’intérieur de ces murs. On sait : suite à la séparation de l’État et de l’Église, les murs appartiennent à l’État, mais le culte « appartient » à la spiritualité de ses citoyens. Pensez-vous que cette situation peut durer ? Est-elle normale ?
Jean-Pierre Moreau. En France, comme il y a une réduction considérable du nombre de fidèles et de prêtres, il y a des églises qui sont désaffectées. C’est le premier point. Le deuxième point est que si le bâtiment n’est pas classé en tant que monument historique, il appartient à la commune. La commune peut l’utiliser comme bon lui semble. Même - si ce bâtiment se dégrade et devient un danger, la municipalité peut ordonner la démolition. Ça s’est déjà produit…
Pour l’affaire dont vous me parlez, je crois que ça a été envisagé, mais maintenant cette idée a été retirée. Dans l’absolu, cette chose est possible. Si on prend un exemple extérieur à la France, la Cathédrale Saint-Sophie à Istanbul est devenue une mosquée. On peut imaginer – le cas ne s’est pas encore produit – que l’église sous l’influence de la commune soit transformée. Le bâtiment n’appartient pas à l’Église, mais à la commune. Il n’y a plus de culte dedans, je crois qu’il faut qu’il y a la cessation de culte dedans pendant six mois pour que l’église soit considérée comme désacralisée. Il peut très bien y avoir une décision… mais….
Si dans l’absolu c’est possible, je ne pense pas que cette chose intervienne en France. Ca soulevait évidemment beaucoup de manifestations de la part de fidèles catholiques.
LVdlR. Si on prend la construction et les constructeurs de l’église… Tous ces bâtisseurs, maîtres d’œuvre qui ont suivi un rite très rigoureux et particulier pour construire… On n’est pas en train de trahir le passé de ces gens qui ont construit les Maisons de Dieu.
Jean-Pierre Moreau. Vous avez tout à fait raison ! C’est un abandon. C’est une trahison. Je ne sais pas quel autre mot il faut employer… Il s’agit d’une régression, d’une dénaturation de l’Église… même si c’est un terme très fort. Puisqu’elle passe du culte catholique à un culte païen. Je ne pense pas que cela arrivera, comme j’ai dit, il aurait de très violentes protestations.
LVdlR. Je pense que c’est bien pour cela que ce projet a été retiré. Sachant qu’à Jérusalem j’ai visité un lieu qui était partagé entre les cultes musulman, orthodoxe et catholique.
Jean-Pierre Moreau. Je ne vois pas l’exemple que vous cités, mais je sais qu’en Terre Sainte il y a des églises à l’utilisation mixte : catholique et orthodoxe. Qu’il y a un culte musulman dans une église affectée, cela me semble bizarre. Mais aujourd’hui plus rien ne doit nous étonner…
LVdlR. Pensez-vous que l’église, dans le cadre de désertions, ne devrait pas être prise en charge par l’Eglise ? Y a-t-il quelque chose de prévu ?
Jean-Pierre Moreau. Si c’est le cas, il faut que l’autorité ecclésiastique compétente réintroduise le culte catholique dans cette église. Même d’une façon irrégulière, il faut que l’église soit occupée. Sinon, elle est considérée comme désertée.
LVdlR. En 1905 il y a la séparation de l’Église et de l’État. Mais, finalement, l’Etat ne respecte pas l’engagement qu’il a pris. En prenant à sa charge les bâtiments de l’Église, elle se désiste au moment où il n’y a plus de culte… Où est la logique ?
Jean-Pierre Moreau. Vous raisonnez d’une manière très juste. Normalement, au moment où la propriété est passe à l’État, c’est l’État qui prend tout à sa charge. Sauf, ce qui regarde le culte. Là, il va dire : comme il n’y a pas de culte, le bâtiment est à lui, il fait ce qu’il veut. La nuance est importante.
Ici, à Troyes, je vous montrerai l’église Saint-Jean qui était désaffectée pendant très longtemps. On y a restaure le culte à certains moments de l’année pour qu’elle ne tombe pas trop dans le domaine publique. Et, dans le cadre du domaine publique, elle est utilisée pour faire des expositions, tout en restant affectée au culte catholique.
LVdlR. Si on prend Notre-Dame de Paris, il y a également des concerts. Ce ne sont pas les concerts de rock, mais les gens y sont conviés indépendamment de leur foi.
Jean-Pierre Moreau. Il y a des règlements très précis, notamment ici, en France, pour les concerts dans les églises, etc. Malheureusement, souvent les autorités ecclésiastiques sont peu respectueuses de ces règlements et de la discipline. De fait, il y a souvent – je le souligne, souvent – des manifestations profanes dans les églises. Cela fait partie des pertes du sens sacré chez les fidèles et chez une partie du clergé.
LVdlR. Espérons qu’on va trouver une solution pour certaines églises qui sont désaffectées. Je sais qu’en 2013 il a eu des cas d’églises rasées.
Jean-Pierre Moreau. Dans notre département, il y a une très belle église à Bar-sur-Seine, désaffectée, il faudrait des millions pour la réparer. Elle est fermée, puisqu’elle risque de s’écrouler. La démolition de l’église coûte tellement cher, que personne n’ose y toucher…
Commentaire de l’auteur. Nous pouvons lire dans l’Ancien
Testament, dans « Chroniques » chapitre 2 : « Salomon ordonna que l'on bâtît une maison au nom de l'Éternel et une maison royale pour lui. // Salomon compta soixante-dix mille hommes pour porter les fardeaux, quatre-vingt mille pour tailler les pierres dans la montagne, et trois mille six cents pour les surveiller. […] Voici, j'élève une maison au nom de l'Éternel, mon Dieu, pour la lui consacrer, pour brûler devant lui le parfum odoriférant, pour présenter continuellement les pains de proposition, […] // La maison que je vais bâtir doit être grande, car notre Dieu est plus grand que tous les dieux. »
Difficile d’imaginer les Templier de construire les murs d’uneCommanderie sans la prédestiner au culte qui est le leur. Difficile de croire que tout l’art des bâtisseurs des Cathédrales, profondément ancré et enraciné dans la spiritualité ancestrale, qui a absorbé les rites orientales, celtes, égyptiennes, qui a été animé par l’amour du Dieu, qui nous a laissé ces vaisseaux des cathédrales qui flottent à travers les siècles, à travers bien de guerres, de scissions, du paganisme nouveau… reste vain. Difficile de dissocier les murs sacrés du rite.
Et si la question éthique ne se pose plus pour les gens modernes - encore moins, visiblement, pour l’élu du Front National de Roubaix – la question esthétique et culturelle devrait trouver sa réponse dans la préservation de points de repère identitaires. On devrait trouver la solution pour les églises désaffectées. Si l’État français ne peut plus respecter ses engagements du 1905 et entretenir les bâtiments des églises, c’est l’Église qui, peut-être devrait le faire.
Sinon, on a l’impression que les murs des Maisons de Dieu, empeignés de lamentations et prières des fidèles prêchent dans le désert…