Les Mistral de toutes les promesses

Les Mistral de toutes les promesses
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Taquiner les Russes devient, visiblement, le passe-temps favori du gouvernement français. Le sort du premier porte-hélicoptère de type Mistral est toujours inconnu et reste l’objet de vifs débats entre la Russie et l’Occident.

Les propositions de racheter les navires se multiplient : tantôt les Canadiens, tantôt les congressistes américains déclarent solennellement que la France ne sera pas abandonnée si elle ne livre pas les bateaux à la Russie. Certainement, on les rachète, rassurent les Occidentaux les Français. Paroles, paroles, paroles… Les Mistrals ne peuvent être livrés à aucun pays sauf la Russie, car c’est un projet auquel la Russie a participé non seulement financièrement mais aussi en assurant en partie l’équipement pour ses hélicoptères installé sur le navire. Tout ce qui appartient donc aux Russes ne peut être transmis à des tiers. Qui plus est, tout l’aménagement intérieur des bâtiments a été fait selon le poids et le gabarit des machines de guerre russes.

Selon l’invitation à la cérémonie officielle de livraison des BPC que les responsables russes ont reçue fin octobre et qui n’a pas été retirée, les navires doivent être livrés le 14 novembre, sans quoi la Russie va revendiquer la compensation du contrat.

Gauthier Bouchet, conseiller municipal de Saint-Nazaire, où l’on construit les Mistral, nous livre ses pronostics quant au sort des porte-hélicoptères.

LVdlR. « Monsieur Bouchet, la prise de décision sur la livraison des navires à la Russie pourra-t-elle de nouveau reportée par les autorités françaises ?

Gauthier Bouchet. J’ai l’impression que ça sera reporté effectivement parce qu’ici à Saint-Nazaire et en particulier au port de Saint-Nazaire il n’y a pas de signes avant-coureurs, comme quoi la livraison serait tenue le 14 novembre. De toute évidence, elle sera reportée de nouveau après avoir été reportée d’octobre à novembre. La date dont on parle actuellement c’est le février 2015. Tout cela sur fond naturellement de crise dans l’Est de l’Ukraine, ce qui donne prétexte au gouvernement pour essayer de temporiser, à la fois via le Président, via le premier-ministre Manuel Valls, il y a même le ministre des finances Michel Sapin qui s’est exprimé. On n’est pas prêts, de toute évidence, pour la livraison.

LVdlR. Les propositions de la part des tiers de racheter les Mistral se multiplient : le Canada et l’OTAN se disent prêts à acheter ces bâtiments de guerre. La France examine-t-elle ces propositions ? Est-ce que c’est finalement possible techniquement et juridiquement ?

G.B. Juridiquement c’est peut-être possible mais le problème est que ce sont des bâtiments qui étaient conçus pour la marine russe. Ce sont les porte-hélicoptères qui ne sont pas forcément destinés aux marines occidentales, au-delà du fait que les vendre à un pays de l’OTAN serait sans doute un très mauvais signal puisqu’au fond cette commande était le premier achat de matériel naval militaire occidental de la part de la Russie depuis les années 30, quand la Russie avait racheté un bateau à l’Italie. Une vente à un pays occidental est un mauvais choix, en plus il y a ce problème de non mise aux normes.

LVdlR. J’ai entendu parler que l’OTAN n’a pas de moyens pour acheter ces navires. En avez-vous de l’information ?

G.B. Je ne connais pas les finances de l’OTAN qui a cependant des moyens pour déployer ces forces un peu partout dans le monde, dans différents conflits, même si elle a la tendance à sous-traiter ses partenaires européens, les USA n’étant jamais vraiment première ligne. Je n’ai pas d’informations spécifiques. Mais ces bateaux ont bien été bâtis par des ouvriers français et il va falloir qu’ils soient payés ces ouvriers. Ou alors on va nous laisser entendre peut-être que les ouvriers ne doivent pas être payés, peut-être être licenciés. C’est peut-être le fond du message du gouvernement français qui se dit somme toute qu’on peut supporter les conséquences sociales et économiques d’un chômage de masse à Saint-Nazaire puisque ce chantier fait travailler les centaines d’ouvriers sans compter la sous-traitance. Moi j’ai peur que, si le gouvernement le décide, la conséquence est non seulement le chômage mais aussi une transformation politique du paysage à Saint-Nazaire.

LVdlR. Quelle est actuellement l’ambiance à Saint-Nazaire ? Les marins russes sont-ils toujours présents là-bas ?

G.B. Oui, les marins russes y sont présents très régulièrement. Ils sont à peu près 400 hommes. On les voit de temps en temps mais ils sont très discrets et on les a vus également partir, quand il y a eu les premiers essais en mer mi-septembre, quand le Vladivostok est sorti du port de Saint-Nazaire. Ils n’y seront pas éternellement. Et je crois bien que le gouvernement russe a indiqué que quel que soit l’issue de cette « crise », il faudra bien que les marins retournent à un moment donné en Russie.

Les Saint-Nazairiens ne sont pas indifférents aux Russes, ils sont bien contents qu’ils puissent faire des affaires et leur commerce mais les pouvoirs publics, la mairie, la préfecture, les élus de la majorité et de l’opposition, à part les élus du FN, sont totalement indifférents, voire hostiles. Et ça pose une question parce que ce sont quand même des hommes que nous accueillons dans le cadre d’un partenariat économique, industriel franco-russe. Donc c’est comme si que nous intériorisions nous-mêmes que nous ne voulons ni de la Russie, ni des Russes.

LVdlR. Les ouvriers protestent-ils toujours ?

G.B. Les ouvriers des chantiers sont ceux qui sont les plus conscients que c’est une situation qui marche sur la tête, qui ne va pas dans l’intérêt de la France, ni de Saint-Nazaire, du point de vue économique. Ce sont eux qui sont le plus indignés, ce sont eux qui ont rejoint le collectif qui était favorable à la livraison des Mistral à la Russie qui est Mistral, gagnons ! qui appelle à vendre les bateaux sans considération de politique étrangère. Ce sont surtout des ouvriers, des petits commerçants, en tous cas les nazairiens de souche tandis qu’en face - l’opposition ukrainienne ou la communauté « représentative » ukrainienne en France, ces gens n’étaient pas des nazairiens, ils venaient de Paris par bus, quand il y avait des manifestations. Il y a quand même une dichotomie entre une critique de fond entre la présence russe à Saint-Nazaire et des partenariats industriels franco-russes. C’est une critique qui n’est pas nazairienne, qui pratiquement n’est pas française. Il y a un attachement au fait que Saint-Nazaire et la Loire-Atlantique, cette Bretagne historique soit un pays d’industrie. Et cet attachement est à la fois du vrai peuple et du vrai visage de Saint-Nazaire qui n’est pas forcément celui de ses élites politiques et sociales, qui considèrent Saint-Nazaire comme une ville de touristes, de services mais qui n’envisagent jamais que Saint-Nazaire de par son histoire joue un rôle un petit peu différent dans la civilisation française. C’est un bassin industriel, bassin de vie pour la population ouvrière qui veut pouvoir travailler librement et ne serait-ce que travailler parce qu’à l’heure actuelle les emplois industriels sont de plus en plus précarisés. »

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