Les leçons de l’affaire Jouyet-Fillon

© Photo : RIA Novosti (archive)Les leçons de l’affaire Jouyet-Fillon
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Au-delà des détails superficiels et des réactions épidermiques, on peut essayer d’élever l’analyse pour tirer du scandale créé par le déjeuner Jouyet-Fillon quatre leçons de politique toujours utiles.

1/ Machiavel est toujours vivant. Il écrivait qu’en politique, le prince devait être un renard pour ne pas tomber dans les pièges et un lion pour effrayer les loups. François Fillon, qui s’est laissé piéger par l’Elysée dans ce déjeuner avec le principal collaborateur du président Hollande, n’est pas un renard. Sera-t-il un lion ? Une des vérités de cette affaire a été bien vue par le sénateur Pierre Charon qui aurait fait allusion à une pièce comique parisienne très connue, « le diner de cons ». Il a dit : « nous connaissions le diner, voilà maintenant qu’il y a le déjeuner ». C’est une remarque digne de Voltaire que l’on se doit de savourer !

2/ N’en déplaise à Marine Le Pen, il n’y a pas d’UMP-PS ! Si l’UMP et le Parti socialiste étaient la même chose, on ne se scandaliserait pas autant lorsque des journalistes disent que Jouyet, secrétaire général de la présidence de la République, aurait dit que Fillon lui a demandé d’accélérer les attaques judiciaires contre Nicolas Sarkozy.

Il n’y a pas plus d’UMPS que de FNFG (front national, front de gauche). C’est vrai que le programme économique d’extrême gauche de Marine Le Pen rappelle celui du Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon. Certes, un déjeuner de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon ne pourrait que réjouir l’adjoint de Marine, Florian Philippot car cela réconcilierait ses deux amours ! Mais ce n’est pas à l’ordre du jour.

Droite et gauche continuent d’exister. Et il y a une bonne raison à cela : si l’on en croit le politologue Carl Schmitt, la politique est dominée par la configuration amis-ennemis. On rassemble ses amis et on désigne l’adversaire majeur. C’est ce que fait fort bien Nicolas Sarkozy en ne critiquant pas Fillon et en mettant tout le scandale sur le dos de l’Elysée. Il a sans doute d’autant plus raison si l’on se pose la fameuse question de tout enquêteur de la police judiciaire : à qui profite le crime ?

3/ La présidence de la République avait toutes les raisons de vouloir compromettre Fillon. C’était d’autant plus facile que ce dernier considérait Jouyet comme son ami en raison de leur appartenance commune dans un gouvernement passé. Eliminer Fillon, c’est renforcer Juppé face à Sarkozy, le seul homme qui fait peur à l’Elysée. En effet, Juppé étant UMP mais situé au centre ne peut guère prendre de voix à Marine Le Pen lors de la future élection présidentielle de 2017. Or, le président Hollande a tout intérêt à ce que le Front National soit au plus haut et devant le candidat de l’UMP. Il peut rêver à un futur combat entre le candidat socialiste et Marine dont il sortirait vainqueur. Avec Sarkozy positionné plus à droite, disons « au centre de la droite », ce schéma ne fonctionne plus.

De plus, si l’on part du principe que les électeurs de Fillon sont d’abord anti sarkozistes (ce qui n’est pas sûr), alors on peut parier que si Fillon disparait, ils se reporteront sur Juppé qui pourrait ainsi gagner la primaire de l’UMP, ce que souhaitent les socialistes. Mais tout cela repose sur un raisonnement statique qui conduit à de graves erreurs d’analyse.

4/ Ce qui compte est la dynamique électorale et non la répartition des voix selon un sondage fait à un moment donné. On a des exemples historiques. En 1974, le gaulliste Chaban-Delmas devance le libéral Giscard d’Estaing dans les sondages. Mais Giscard le bat très nettement au final car Chaban s’est trop positionné au centre et une partie de la droite le lui reproche et vote Giscard. En 1981, Giscard fait cependant la même faute que Chaban et il est battu : une partie de la droite n’a pas voulu voter pour lui. L’erreur pour un président de droite est de croire qu’il va élargir sa majorité à gauche avec des thèmes pris à la gauche : cela ne marche jamais car l’électeur de gauche préfère l’original à la copie. C’est la stratégie diagonale qui réussit rarement. La bonne stratégie est celle du contournement comme au jeu de go : contourner l’adversaire tout en le combattant. Par exemple, pour le mariage gay, ne pas transiger, ne pas combattre frontalement seulement mais exiger un référendum. L’adversaire est alors débordé par l’apparition d’une configuration nouvelle sur le terrain.

Moralité politique : il faut rester fidèle à ses électeurs, les rassembler et rassembler d’autres électeurs sur des thèmes, non de gauche mais qui rassemblent au-delà de toutes les catégories, comme l’identité nationale. Alors se créé une grande dynamique de rassemblement. Pour cela, il faut ne pas attaquer son propre camp, élargir les thèmes rassembleurs en proposant par exemple des référendums, et avoir du souffle et du charisme. C’est le portrait de Nicolas Sarkozy, c’est pourquoi celui-ci effraye tellement la gauche au pouvoir. Comment arrêter la dynamique Sarkozy ? L’opération Jouyet, en apparence tournée contre Fillon, qui est une victime « collatérale », est en réalité tournée contre Sarkozy. Mais elle est fondée sur un raisonnement statique et non dynamique. On serait tenté de dire au président Hollande : « relis ton Machiavel ! Tu l’as mal assimilé ! » /N

 

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