La Voix de la Russie a préparé à cette occasion une émission spéciale que nous vous proposons. En compagnie de deux spécialistes renommés, Andreï Fessioun et Alexandre Koulanov, nous n'allons évoquer que quelques épisodes de la vie de Richard Sorge.
Après l'arrestation de Richard Sorge et de son groupe à Tokyo à l'automne 1941, son nom a été voué à l'oubli en Union soviétique pendant près de 20 ans. Cela n'a rien d'étonnant ou de blâmable : les noms de la plupart des agents secrets de tous les pays restent inconnus.
Le chargé de cours à l'Ecole de hautes études en sciences économiques et expert du Japon Andreï Fessioun évoque les principaux mérites de l'espion Richard Sorge :
« Depuis décembre 1940, il a littéralement bombardé les dirigeants du service de renseignement de l'état-major général soviétique de dépêches informant des préparatifs de l'invasion contre notre pays. Il a non seulement communiqué les délais de l'agression, mais aussi indiqué l'axe de l'invasion principale des nazis. Mais Moscou ne trouvait pas les rapports de Sorge suffisamment fiables. La tragédie de Richard Sorge a résidé dans le fait que le service de renseignement avait jugé douteuse cette information stratégique primordiale. Cependant après le début de la guerre, sa loyauté est devenue évidente et il ne cessait de recevoir des demandes toujours nouvelles d'informations de caractère militaire... »
Le mérite de Sorge ne consiste pas seulement à avoir dans informé de l'invasion hitlérienne de l'URSS et à avoir indiqué sa date (le 22 juin). D'autres agents la communiquaient aussi. A l'automne 1941 Richard Sorge a rapporté que le Japon n'entrerait pas dans la guerre contre l'URSS et se contenterait d’opérations contre les Etats-Unis dans l'océan Pacifique. Cela a permis à Staline de transférer une part de ses divisions sur le front Ouest et dans la région de Moscou pour arrêter l'offensive allemande contre la capitale soviétique. Il est vrai que la décision de transférer des troupes n'était pas fondée sur les seuls rapports de Sorge. L'information provenant d'autres sources, notamment des agents soviétiques en Mandchourie, a été également prise en considération.
En un bref laps de temps Richard Sorge a créé un réseau secret qui regroupait plus d'une trentaine de personnes. Sorge en personne, le cibiste Max Clausen, le peintre Miyagi Yotoku, Branko Vukelic et le journaliste japonais Ozaki Hozumi devenu l’une des principales sources d'information pour Sorge ont constitué le noyau du groupe. Ils ont réussi à tirer le maximum de renseignements non seulement de sources ouvertes, mais aussi grâce aux ministres, généraux et gros industriels japonais. Même quand certaines dépêches ont été interceptées par les services secrets japonais, ceux-ci ne sont pas parvenus à les décoder et à localiser rapidement l'émetteur tandis qu'il agissait littéralement sous leurs fenêtres, dans une banlieue de Tokyo. Alexandre Koulanov, un des responsables de l'Association russe des japonistes, évoque les causes des succès de Richard Sorge :
« C'était d'abord son niveau d'instruction et son professionnalisme. Il se souciait énormément du secret de l'organisation, mais il y a une foule de témoignages montrant qu'il bravait le danger. Nous pouvons certes dire qu'il était un grand chanceux, mais il risquait beaucoup comme s'il jouait avec le destin. Il est parvenu à éviter des soupçons de la part de la police japonaise car il avait une couverture excellente au sein de l'ambassade allemande. Il faut ajouter un autre facteur ayant contribué à sa réussite : au milieu des années 1930 les organes de sécurité japonais n'étaient pas prêts à faire face à un espion de sa classe... ».
L'activité de Richard Sorge consistait à prévenir la possibilité d'une guerre entre le Japon et l'URSS, ce qu'il a accompli avec brio. Bien qu'il ait été condamné pour avoir « porté préjudice aux intérêts nationaux du Japon », son activité n'était pas dirigée contre ce pays. Elle visait à prévenir la guerre entre le Japon et l'URSS. C'est ainsi qu'elle est interprétée par les Japonais modernes. C'est la raison pour laquelle sa tombe est constamment fleurie. Des auteurs russes et étrangers lui ont consacré une multitude d'ouvrages. La quasi-totalité des archives concernant Sorge a été déclassifiée. Son nom est devenu une légende. Son histoire a donné lieu à de nombreux mythes et parfois il est difficile de distinguer la vérité du mensonge. Tout comme il est difficile de dire quelque chose de nouveau. /N