En 2011, quand je suis revenu au Helmand, beaucoup a changé. Une armée miltilingue a pris place des unités soviétiques peu nombreuses : outre les Britanniques et les Américains il y avait ici des soldats du Canada, des Pays-Bas, du Danemark, de Géorgie et d'Estonie. 15 000 soldats américains, afghans et britanniques ont participé à l'opération Moshtarak, la plus importante dans la dernière guerre d'Afghanistan, entamée en février 2010 aux environs de Lashkar Gah. Des combats se sont déroulés pendant deux ans sur les champs sans fin de pavot à opium lesquels, à l'époque de « l'occupation soviétique » étaient plantés de blé et de coton.
Il semblait que cette fois les forces étaient suffisantes : la base militaire immense de Camp Bastion et une importante base des Marines américains Camp Leatherneck hébergeaient 40000 soldats qui avaient à leur disposition tout pour la victoire. Mais le 26 octobre les drapeaux de l'OTAN, des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne y ont été baissés. Cet événement s'est passé sans déclarations des gouvernements occidentaux, conférences de presse et articles à la une. Une foule de journalistes occidentaux qui nous avait accompagné jusqu'à la frontière de l'URSS faisait également défaut. Il n'y avait qu'une brève déclaration informant que la responsabilité pour la sécurité de la province était transférée au 215e corps de l'armée afghane. Soit dit en passant, dans les années 1980 seules des unités de gardes-frontières et du ministère afghan de l'Intérieur étaient déployées dans les régions de la province contrôlées par le gouvernement.
La situation s'est-elle améliorée radicalement ? Selon les informations officielles la situation dans la province est si dangereuse que même les délais exactes de la fermeture des bases étaient gardés en secret pour des raisons de sécurité. A présent les informations proviennent d'après lesquelles les talibans donnent assaut aux forces de sécurité afghanes dans les régions qui étaient les foyers de résistance dans les années 1980 : Musa Qala, Nawzad, Sangin, Kajaki. Les moudjaheds qui ont combattu les troupes soviétiques et occupent actuellement des postes de responsabilité dans la province ne parviennent pas à expliquer pourquoi les Afghans continuent de tuer les uns les autres. Il est vrai que le commandant des forces américaines en Afghanistan John F. Campbell est convaincu que l'armée afghane pourra reconquérir les territoires pris par les talibans. Mais dès à présent, ayant l'exemple de l'Irak sous leurs yeux, plusieurs généraux américains estiment que l'administration doit revoir les délais du retrait.
Seulement 12 500 militaires étrangers, dont 9 800 américains, resteront en Afghanistan à la fin de l'année. C'est très peu dans la situation actuelle. Il convient de rappeler qu'en octobre 1988 des unités soviétiques ont été obligées de revenir dans le nord du Helmand pour évacuer des unités afghanes bloquées par les moudjaheds. L'histoire se répète.
Cependant les Etats-Unis et l'Europe ne sont pas disposés à renvoyer leurs soldats en Irak et à les laisser en Afghanistan. En septembre des sources de Foreign Policy ont communiqué que les autorités afghanes et pakistanaises « les relations entre lesquelles ne sont point excellentes, font en commun du lobbying secret auprès de la Maison Blanche en vue d'obtenir que d'importants contingents soient gardés dans le pays. Mais rien n'indique que l'administration se propose de revoir ses plans ».
Au nom de quoi a-t-on fait la guerre ? Selon le ministre britannique de la Défense Michael Fallon, les soldats de son pays, dont 453 ont trouvé la mort en Afghanistan, « ont créé les conditions de sécurité ce qui a permis de réaliser la première transition démocratique du pouvoir de toute l'histoire du pays et ont interdit de transformer ce dernier en un terrain de départ d'attentats terroristes en Grande-Bretagne ». Le propos est discutable. Même l'ancien émissairie de l'ONU en Afghanistan Kai Eide reconnaît que le retrait prématuré des troupes américaines de l'Afghanistan exposera à une grave menace non seulement ce pays, mais aussi les pays de l'Occident.
Le danger ne réside pas dans le seul retrait des troupes. Rien qu'au Helmand l'armée des Etats-Unis a laissé aux collègues afghans pour près de 230 millions de dollars d'armes et d'équipement militaire. Le colonel Doug Patterson, commandant des Marines de Camp Laetherneck, a déclaré à ce propos à l'agence Reuters : « Nous leur avons donné les clés ». En Irak, de tels clés ont été déjà utilisés. Mais pas par ceux auxquels ils étaient destinés.