La guerre fait disparaître les monuments et les sites historiques classés patrimoine mondial. Les œuvres d’art d’une valeur inestimable sont pillées sans vergogne. L’arrivée sur le territoire syrien des islamistes qui n’épargnent rien et dont le but est d’anéantir tout ce qui était avant l’Emirat islamique, ne fait qu’aggraver la situation. Comment éviter la destruction totale de la Syrie et en quoi consiste l’activité de l’Unesco dans ce pays martyr, nous l’avons demandé à Nada Al Hassan, chef de l’unité des Etats arabes au centre du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Nada Al Hassan. « La situation du patrimoine culturel syrien vient s’ajouter à la situation dramatique du conflit actuel. Elle est une partie de ce conflit, qui a fait déjà beaucoup de dégâts au niveau humanitaire, hélas, il faut donc voir les dégâts du patrimoine dans le contexte plus large de ce conflit dramatique. Ce que fait l’Unesco, elle le fait à travers son mandat et les conventions internationales qu’elle met en œuvre pour la protection du patrimoine. Ces conventions sont la convention de 1954 dite de la Haye, qui protège le patrimoine en cas de conflit armé, la convention du patrimoine mondial. La Syrie compte six sites sur la liste du patrimoine mondial et une douzaine sur la liste qu’on appelle indicative, c’est la liste pré-inscription. Nous travaillons sur la limitation du trafic illicite à travers une convention dédiée à la lutte contre le trafic illicite des objets culturels, qui date de 1970. L’Unesco travaille à un niveau statutaire de ces conventions pour aider la Syrie et à un niveau opérationnel par un projet financé par l’UE, que nous mettons en œuvre à partir de notre bureau de Beyrouth.
LVdlR. Collaborez-vous, l’Unesco, avec les autorités syriennes ?
Nada Al Hassan. La Syrie, au sein du Ministère de la culture, a une direction des antiquités, qui s’appelle la Direction générale des antiquités et des musées. C’est une entité technique qui existe depuis 80 ans. Dans le monde arabe, c’est une direction qui a une histoire plus importante que dans beaucoup d’autres pays du Moyen-Orient. C’est une direction qui a des gens très qualifiés et très dédiés à leur travail, avec lesquels nous travaillons en étroite collaboration. Et nous travaillons avec d’autres archéologues, ingénieurs, architectes, historiens, techniciens qui ne sont plus en Syrie ou qui sont dans des régions actuellement que la Direction des antiquités ne contrôle pas. Nous travaillons donc avec tous les acteurs qui font un travail positif sur le patrimoine, y compris avec la Direction générale des antiquités qui, je dois dire, fait un travail remarquable.
LVdlR. Le trésor syrien, est-il voué à disparaître ? Ou vous restez optimiste là-dessus ? Quels sont les moyens qui sont à disposition de l’Unesco, qui permettent d’assurer la préservation de la richesse culturelle de la Syrie, au moins d’une partie de ce patrimoine si abondant auparavant ?
Nada Al Hassan. Malheureusement, je ne suis pas optimiste. Je parle avec un ton positif, parce que je pense qu’il faut toujours le garder, parce que la communauté internationale a un rôle à jouer à travers l’Unesco et parce qu’il y a des gens sur le terrain qui font beaucoup même avec peu de moyens. Mais la situation est absolument dramatique sur le terrain. Vous avez une ville comme Alep, site du patrimoine mondial avec des fleurons de l’histoire de l’architecture islamique, qui est dévastée par le conflit, qui est détruite vraiment à raison de 70 pour cent, comme disent certains experts syriens. Et vous avez d’autres sites moins dévastés mais complétement menacés, qui ont déjà été touchés, comme le site de Palmyre, comme le site d’Apamé qui a été entièrement fouillé illégalement, le site du Crac-des-chevaliers qui a été bombardé, occupé, utilisé militairement. Il y a les dégâts réels sur le patrimoine. Et il y a beaucoup de trafic illicite. Il y a eu le vol de tout le musée de Racca. Il était mis en sécurité mais était volé par des groupes armés. Ce musée contient des œuvres de la Mésopotamie.
Ce qui se passe est grave et s’aggrave de jour en jour. Par contre, les moyens que nous possédons à l’Unesco se situent à plusieurs niveaux. Il y a le niveau diplomatique, de sensibilisation surtout au niveau des Nations Unies et de nos Etats membres. Nous avons sensibilisé les membres du Conseil de sécurité, y compris la Russie, afin de créer un moratoire pour la vente des objets culturels syriens dans le monde. Il y a eu en 2003 une résolution de l’ONU pour l’Irak, qui a demandé qu’on arrête la vente des objets culturels irakiens. Elle est toujours en place et elle a réduit la fluidité du marché des objets culturels irakiens. Nous voudrions que la même chose soit instaurée pour la Syrie. Ce n’est pas le cas maintenant et ça permet de beaucoup de ventes d’œuvres d’art syriennes sur le marché qui ne sont pas autorisées.
La deuxième chose que nous faisons au niveau diplomatique, c’est de rappeler à tous les Etats membres de leurs obligations. Quand il y a des frappes aériennes, on leur donne les coordonnées géographiques pour éviter les sites culturels. Quand il a le trafic illicite aux frontières, on écrit à tous les pays limitrophes de la Syrie pour le bloquer et prendre la responsabilité sur ce plan.
Il y a également un niveau opérationnel, à travers le projet que nous sommes en train de mettre en œuvre grâce au financement de l’UE. Nous avons créé un Observatoire du patrimoine syrien parce qu’il est très important de suivre la situation afin de planifier les actions futures, qu’elles soient urgentes ou sur le moyen et long terme. Nous sommes un réseau avec tous les acteurs internationaux et nationaux qui travaillent sur la documentation et la sauvegarde du patrimoine en Syrie. Nous faisons des cours de formation sur des questions d’urgence, comme la sécurisation des musées, la consolidation urgente des monuments, les mesures à prendre en cas de destruction. Nous le faisons dans notre bureau de Beyrouth en agitant les participants syriens à se rendre pour ces cours.
LVdlR. Reste-il tout de même de l’espoir que les générations à venir verront au moins une partie de la richesse culturelle de la Syrie ?
Nada Al Hassan. La Syrie est un pays tellement riche en histoire, en archéologie, en architecture, en objets culturels, que bien sûr, qu’il y a des choses qui vont rester. Mais la question est comment la communauté internationale doit travailler ensemble maintenant afin d’éviter que cette destruction s’amplifie et afin surtout d’éviter que les destructions intentionnelles du patrimoine, qu’on voit en Irak et en Lybie, ne traversent pas la frontière pour venir en Syrie. Jusqu’à présent, il y a eu très peu de cas de destructions intentionnelles en Syrie et j’espère que ça ne va pas se propager. »