Moscou est Pékin font savoir à Washington que son statut de "superpuissance numéro un" arrive à son terme. La "transaction gazière du siècle" entre la Russie et la Chine et l'éventuel passage au rouble et au yuan comme monnaies de réserve sont des attaques écrasantes contre les Etats-Unis, déjà noyés dans leur dette extérieure démesurée.
Le 20 septembre, le Washington Times annonçait que l'amitié entre la Russie et la Chine était bien pire pour les USA que la Guerre froide et représentait une menace à la sécurité nationale des Etats-Unis, à cause de la coopération active de Moscou et de Pékin dans "pratiquement tous les domaines possibles". Le journal n'a toutefois souligné que l'aspect militaro-politique: la préparation par les Russes et les Chinois d'une arme "capable de contrer les principaux avantages du matériel militaire américain".
Les journalistes ont toutefois laissé entre parenthèses un autre aspect bien plus substantiel pour Washington, dans le domaine financier et économique. Passer sous silence un tel fait signifie que les USA ont vraiment peur de la réaction de l'alliance Moscou-Pékin face aux sanctions antirusses "à cause de l'Ukraine". Les raisons sont plus que suffisantes car après tout, ces démarches pourraient enterrer le dollar.
La Russie et la Chine ont affiché leur position commune sur l'Ukraine début mars déjà.
A l'époque, Pékin avait promis de soutenir Moscou par son veto en cas de décision antirusse au Conseil de sécurité des Nations unies. Les autorités chinoises ont également exigé, à la Cour d'arbitrage internationale de Londres, que Kiev rembourse sa dette de 3 milliards de dollars; et l'état-major de l'armée chinoise a appelé le gouvernement ukrainien à stopper l'opération punitive contre la population civile.
L'an dernier, les échanges commerciaux de la Chine ont dépassé 4 000 milliards de dollars, soit plus que ceux des USA. En février 2014, au moment du coup d'Etat en Ukraine, elle a vendu pour plus de 48 milliards d'obligations américaines à court terme. Les analystes financiers occidentaux prédisent qu'en 2015, 30% du commerce chinois devrait passer aux opérations en yuans, se débarrassant ainsi du dollar. Les experts occidentaux ont noté que jusqu'en 2013, un tel reflux des investissements des USA, ne s'était pratiquement jamais produit.
Pour éviter une vente hystérique des obligations du gouvernement américain, ce qui entraînerait la hausse des taux d'intérêt, du coût de financement de la dette des USA et conduirait à l'effondrement de leur marché des titres, la Réserve fédérale américaine (Fed) a dû rapidement prendre des risques et racheter secrètement – par la Belgique – des obligations.
La gravité de la situation du dollar est confirmée par les analystes de la banque HSBC, qui rapportent qu'en 2014 les compagnies mondiales ont subitement augmenté leur recours au yuan pour leurs transactions commerciales. Sachant que 22% de ces compagnies sont déjà passées à la monnaie chinoise et que la "locomotive économique" de l'UE, l'Allemagne, mais aussi Hong Kong et les USA sont devenus ses utilisateurs les plus actifs. Comme l'écrit le Wall Street Journal, rien que l'an dernier les transactions en yuans réalisées par les compagnies américaines ont quadruplé. La réunion spéciale du gouvernement russe présidée par le vice-premier ministre Igor Chouvalov en avril 2014 a également préoccupé les maîtres du dollar: il y était question d'une solution pour renoncer au dollar dans les opérations d'exportations.
Mi-mai, on annonçait que l'Iran et la Chine étaient prêts à renoncer au dollar dans leurs transactions bilatérales. Le 22 mai, le président de Gazprom neft Alexandre Dioukov a déclaré que ses sous-traitants étaient prêts à abandonner le dollar au profit du rouble, du yuan et de l'euro. Le 16 juillet, le Pakistan a refusé d'échanger ses réserves de change contre des billets de banque américains en annonçant au monde entier que le dollar représentait une menace à la sécurité nationale. Le 25 juin la Chine a annoncé la création de la Banque asiatique pour l'investissement dans l'infrastructure comme une alternative à la Banque mondiale et à la Banque asiatique de développement, jugeant ces dernières "trop dépendantes des USA". Plus de 20 pays ont immédiatement témoigné de l'intérêt pour cette initiative, y compris au Moyen-Orient. Le 9 septembre, les banques centrales d'Argentine et de Chine ont initié l'abandon des opérations en dollars dans leurs échanges commerciaux.
Par ailleurs, le président chinois Xi Jinping a suggéré de créer une nouvelle structure de sécurité en Eurasie avec la participation des puissances régionales, de la Russie et de
l'Iran -mais sans les USA – lors de la Conférence pour l'interaction et les mesures de confiance en Asie à Shanghaï, en présence du président russe et des dirigeants d'Asie centrale. L'appel de Pékin a été entendu par Téhéran qui a officiellement annoncé son intention de fournir son gaz en Europe sans faire concurrence à la Russie. Il a également été entendu par Moscou, qui a organisé avec la Chine des exercices navals en mer de Chine orientale.
Début septembre la presse asiatique et occidentale constatait pratiquement à l'unanimité que la Russie et la Chine créaient un contrepoids face à l'Otan, une alliance militaro-politique sans rivale dans le monde. Quelques jours plus tard, on apprenait que ce n'étaient pas de simples métaphores journalistiques: à l'issue du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Douchanbé en septembre a été annoncée la création d'une structure commune de lutte contre le terrorisme, le trafic de stupéfiants et d'autres menaces à la sécurité nationale par les membres de l'OCS. Il s'agit de constituer, sous un commandement commun, des contingents interarmées et d'utiliser conjointement toutes les ressources étatiques contre un ennemi commun.
Les Etats-Unis cherchent par tous les moyens à empêcher le rapprochement de Moscou et Pékin. Après la signature de la "transaction du siècle" russo-chinoise le camp de l'opposition, les "séparatistes sibériens" et les représentations diplomatiques américaines se sont soudainement activés à Moscou, en Sibérie et dans l'Oural. Plusieurs attentats se sont produits en mai dans le Xinjiang, faisant des dizaines de victimes. En parallèle, Washington a accéléré la création de "l'axe du mal" antichinois en Asie-Pacifique: les Etats-Unis considèrent le Japon, l'Australie, Singapour, la Thaïlande, la Malaisie, les Philippines et le Viêt Nam comme leurs partenaires stratégiques dans la région.
Tout en essayant de créer une "Otan asiatique", Washington cherche à imposer l'idée d'une "Otan économique" euro-atlantique – un pacte commercial transatlantique qui devrait soumettre les marchés européen, puis eurasiatique et asiatique aux Américains. Si le premier projet vise la Chine et ses ambitions en Asie-Pacifique, le second est dirigé contre la Russie et l'intégration eurasiatique.
Aujourd'hui, Washington ne cache plus qu'il mène une guerre économique contre la Russie. "Notre objectif initial était d'isoler la Russie et la forcer à payer un prix économique pour ses actions en Ukraine", a déclaré le porte-parole de la Maison blanche Josh Earnest sur la chute du taux de change du rouble. Cependant, selon les experts américains, Barack Obama n'a pas choisi le meilleur moment pour ouvrir les hostilités avec la Russie. Le fait est que les sanctions antirusses enterrent toute perspective de soutien de la position américaine par Moscou au Conseil de sécurité des Nations unies, notamment sur la question moyen-orientale existentielle pour Washington.
De plus, comme l'a déploré le membre de la Chambre des représentants du congrès américain Walter Johns, les Etats-Unis n'ont plus la capacité de maintenir l'ordre mondial car "nous sommes un pays débiteur, nous ne pouvons pas rembourser sans relever le plafond de la dette publique et nous ne pouvons tout simplement plus dicter à d'autres pays ce qu'ils doivent faire".
Il se pourrait que dans un avenir prévisible on demande à Washington de rembourser ses dettes en roubles ou en yuans.
Le dollar bientôt détrôné par le rouble et le yuan?
20:00 24.09.2014 (Mis à jour: 16:05 05.10.2015)
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Moscou est Pékin font savoir à Washington que son statut de "superpuissance numéro un" arrive à son terme. La "transaction gazière du siècle" entre la Russie et la Chine et l'éventuel passage au rouble et au yuan comme monnaies de réserve sont des attaques écrasantes contre les Etats-Unis, déjà noyés dans leur dette extérieure démesurée.