Heureusement, confie-il dans une toute récente interview enregistrée le 7 septembre, jour de sa libération, que j’ai vécu ce que j’ai été amené à vivre. Si je n’avais pas éprouvé toutes ces misères jamais je n’aurais vraiment su qu’il est, des deux côtés des barricades, des gens doués d’Humanité. Même à Kiev, croyez-moi. Ce témoignage que l’on ne saurait trop recommander pour les russophones (il y aurait également un sous-titrage partiel en français) ne reflète qu’une des très nombreuses facettes d’un confit ukraino-ukrainien encadré, n’en déplaise à ceux qui nient les plus éminentes des évidences, de l’extérieur. Je soumets cette fois à votre attention une autre facette de cette même réalité, non moins symptomatique, relatée par Louis-Benoît Greffe, journaliste indépendant. Je laisserai ce témoignage sans commentaires.
La Voix de la Russie. Vous avez récemment couvert à Saint-Nazaire deux manifs qui ont réuni des sympathisants et des opposants au gouvernement de Kiev ainsi que des groupuscules radicaux dont on sait qu’ils sont loin de partager les multiples velléités et revirements de Porochenko et son équipe. Pourriez-vous n ous raconter en qques mots comment s’est déroulée cette manif. Le Praviy Sector qui était de la fête vous aurait pris en grippe suite à une question sur A. Stenine ?
Louis-Benoît Greffe. Hélas, il n’y a pas que certains éléments du Praviy Sector qui n’ont pas aimé mes questions mais, pis encore, les manifestants, même ceux qui auraient normalement pu paraitre corrects, à savoir une poignée de Français soutenant la cause de Kiev ! Pour ce qui est des manifs. Il y en avait deux. C’est devant le Vladivostok fermé de grillages qu’elles se sont tenues. D’un côté, un peu plus vers Saint-Nazaire, on pouvait apercevoir des Ukrainiens. Ceux qui se prononçaient pour la livraison des Mistrals s’étaient quant à eux regroupés de l’autre côté, plus vers le nord, c’est-à-dire plus près du bateau. Ceux qui étaient donc pour la livraison faisaient partie du collectif « Le Mistral Gagnant » et étaient notamment encadrés par le conseiller municipal FN de Saint-Nazaire, Jean-Christophe Blanchard. Ce Mistral Gagnant avait essentiellement réuni des gens du coin puisque sur 60-70 personnes la majorité était de Saint-Nazaire et de Nantes. Il y avait une dizaine de Russes et de Biélorusses, enfin, des Français d’origine russe et biélorusse dont certains avaient fait l’aller-retour exprès depuis Paris et une femme qui venait du Donbass. Elle venait d’un village situé près de Marioupol et qui, si mes souvenirs sont bons, avait été libéré par les insurgés le matin même du 7 septembre. Il y avait aussi énormément de journalistes français, quelques médias internationaux genre Reuters etc. et puis plusieurs chaînes de TV russes qui, avec ou sans traducteurs, éclairaient tranquillement les évènements. Je souligne donc que la manif était essentiellement locale. Il y avait bien entendu les ouvriers des chantiers qui sont très inquiets. Certes, ils continuent à travailler au même rythme mais dans un climat assez spécial parce que 600 postes directement sur les chantiers et deux à trois mille postes de traitants autour de Saint-Nazaire et parfois plus loin sont en jeu. Il y a des entreprises bretonnes et même de l’Ouest de la France qui sont les sous-traitants de Saint-Nazaire. C’est une question de petits bouts ! Un bateau, c’est une somme de petits bouts faits par des entreprises à 200-300-400 km de Saint-Nazaire.
Pour en revenir à la manif, le climat général était très calme. Les pancartes n’avaient rien de belliqueux. Mélange de drapeaux français, russes, un drapeau de Novorossia, un drapeau biélorusse. Discours modérés y compris quand certains journalistes posaient des questions n’allant guère dans leur sens, question, je présume, d’habitude, à force de réagir à des accusations extrêmement âpres.
A moins d’une centaine de mètres, on voit la manif pro-Kiev ou pro-ukrainienne. Je dis bien pro-ukrainienne parce que sur 70 personnes il y avait 65 Ukrainiens. En dehors du chef de fil, Bernard Grua, qui, il faut le rappeler, a des liens professionnels avec l’Ukraine, notamment Kiev – ce qui laisse douter de la sincérité de sa démarche – il y avait trois personnes qui se déclaraient de Saint-Nazaire dont deux qui refusaient de témoigner à visage découvert, plus une personne qui se déclarait de Nantes et qui elle aussi cachait son visage. Pourtant, les sbires du KGB n’étaient manifestement pas présents ! Vous voyez un peu le tableau, il est assez troublant ! Cette psychose s’affichait sur fond d’une foultitude de drapeaux ukrainiens. Il n’y avait, je répète, quasiment que des Ukrainiens dont un bus complet d’Ukrainiens venus de Paris et qui d’ailleurs étaient très violents vis-à-vis des Russes eux aussi présents. Les slogans lancés en ukrainien étaient particulièrement révélateurs de cette haine, certains étaient traduits en français, par exemple : « Non aux navires de guerre pour les 400 tueurs de Poutine », c’est-à-dire les marins du Smolny. Les slogans les plus insultants n’étaient pas traduits (…). Mais je peux vous en traduire un : « Tueurs russes, barrez-vous dans vos chiottes !» [La crudité du style a été sciemment laissée telle quelle, NDLR]. E climat d’hystérie était prégnant et même, dois-je constater, parmi les Français.
Cette hystérie est très simple, elle se fonde sur quatre principes.
- Poutine est coupable de tout.
- Le volet financier, on n’en parle surtout pas. Le fait que l’on va devoir payer entre 3 et 10 milliards d’euros d’indemnités aux Russes n’a aucune valeur informative parce qu’elle contrarie les intérêts ukrainiens. N’en parlons pas.
- Si vous posez des questions qui dérangent, vous êtes d’abord un provocateur, ensuite un agent de Poutine, enfin un fasciste et il faut vous battre.
- Enfin, il ne faut surtout pas douter de leur sincérité parce qu’ils sont sincères par définition.
LVdlR. Quelles sont les questions qui vous ont attirées les foudres de la partie ukrainienne ?
Louis-Benoît Greffe. Au moment où j’ai posé mes questions à une Ukrainienne portant sur la rhétorique des pancartes et la présence de milices ouvertement néonazies en Ukraine, le drapeau rouge et noir du Praviy Sector n’était pas encore là. Il est arrivé en fin de manifestation. La personne a répondu d’une façon très nerveuse tout en confirmant que ces groupuscules et leurs symboles hantaient bel et bien l’Ukraine. Après cette tentative de dialogue je me suis adressé à Bernard Grua tout en entendant crier derrière moi : « Attention, c’est unvatnik, c’est-à-dire un patriote russe ! ». J’ai préféré ignorer en posant tranquillement mes questions à Grua, des questions portant sur les visées de la manif, les indemnités (solution à proposer ?), etc. Cette deuxième question l’a littéralement déstabilisée ! « Si vous faites appel aux chiffres précités, me dit-il, je n’ai plus l’intention de vous parler, c’est un mensonge et une provocation, ce n’est pas du journalisme mais du trollisme ! A la question de savoir s’il avait des liens économiques et familiaux avec l’Ukraine ou s’il s’engageait par compassion pour la tragédie ukrainienne, il m’a répondu ceci : « Je suis très content de vous entendre dire tragédie, vous, extrémiste, fasciste, etc., vous aussi vous reconnaissez que c’est une tragédie qui est arrivée de votre faute ! Je suis très intéressé par le Maïdan et je vais vous dire une chose qui va vous faire horreur : je suis très admiratif de la révolution libérale et anti-individuelle que représente le Maïdan et qui embête les 25% de fascistes en France dont vous faites partie (…). Je lui ai répondu qu’il n’était pas forcément démocratique de traiter les journalistes qui pensent différemment de fachos et d’interdire d’entrée en Ukraine des représentants des médias non-alignés (…). Il me répond ceci : « Il vaut mieux être journaliste facho en Ukraine que journaliste libéral en Russie où ils sont tués ! ». Je lui ai répliqué que ce n’était pas la Russie qui avait tué Stenine mais bien aux dernières nouvelles les services secrets ukrainiens. Que n’ai-je pas entendu ! Comprenant que la situation allait dégénérer en bagarre, j’ai appliqué le plan de paix. Pour éviter l’escalade du conflit, je me suis retiré ».