Ni la Libye, ni l’Irak, ni la Syrie ne leur ont servi d’exemple. Quand bien même l’impasse militaire que constitue le cas du Sud-Est ukrainien les aurait un tant soit peu déconcerté, supposons-le, le fait que l’OTAN se prépare à une confrontation directe avec la Russie montre bien que les USA et l’UE qu’ils ont vassalisée ne sont pas prêts à reculer.
Philip Breedlove, commandant général de l’OTAN en Europe, a appelé fin juillet à « stocker suffisamment d’armes, de munitions et autres approvisionnements sur une base militaire en Pologne afin de soutenir un déploiement rapide de milliers de soldats contre la Russie ». Nous sommes loin du dialogue certes limité et néanmoins stabilisateur de la Guerre Froide. Mais nous sommes aussi à une bonne distance des tiédeurs à peines sensibles des dernières années et notamment du mandat de Medvedev. D’après un récent communiqué du Times londonien, le sommet de l’OTAN des 4-5 septembre devrait fixer – ou éventuellement suspendre – les conditions de lancement d’un nouveau blitzkrieg antirusse. Comme une guerre russo-américaine directe est impensable car forcément nucléaire, les USA utilisent les multiples complexes nationaux, voire ultranationalistes des anciennes républiques soviétiques en agitant de vieux démons bien connus. Comme si les systèmes antimissile installés sur le territoire d’une Pologne entièrement consentante ne suffisaient pas, les USA entendent renforcer une présence militaire déjà avérée en 2010. Jusqu’à preuve du contraire, le Pentagone a explicitement annoncé le déploiement de ses troupes en Ukraine, ce qui ne dérange personne à Paris où le mainstream médiatique est trop occupé à se défouler sur les cinq volontaires français engagés dans le Donbass. Mais les plans étasuniens ne se limitent évidemment pas à la Pologne, l’encerclement tous azimuts de la Russie supposant l’implication des Pays Baltes, de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan.
L’addition de ces facteurs aussi fâcheux pour l’UE qu’aberrants pour la Russie elle-même ne rend guère optimiste. Certaines analyses laissent entendre que Washington, aussitôt suivi par l’UE, pourrait être amené à freiner au regard de la menace islamiste à ce stade très peu contrôlable qui fait tache d’huile au Moyen-Orient avec cette fois pour épicentre l’Irak. Cela semble très improbable, la violation récente et récurrente d’Al-Nosra de la frontière libanaise n’ayant suscité aucune réaction particulière chez ses sponsors. Il semblerait que plus rien ne fasse peur à la machine de guerre occidentale que seuls des ennuis conséquents au sein même de l’Europe pourraient « déprogrammer ».
Cette entrée en matière réalisée, je soumets à votre attention l’analyse de Pierre-Yves Rougeyron, spécialiste en intelligence économique, fondateur d’un cercle de réflexion connu sous le nom de Cercle Aristoteet directeur de la revue « Perspectives libres ».
La Voix de la Russie. Vladimir Poutine vient de proposer un plan de pacification pour l'Ukraine composé de sept points. Croyez-vous que ce plan sera plus ou moins pris en compte par Washington?
Pierre-Yves Rougeyron. En considération de l’affaire syrienne, j’ai bien peur que cela ne soit pas le cas. Non pas que ce plan arrive trop tard dans la mesure où il s’inscrit dans la continuité des manœuvres d’apaisement de la Russie ! Le problème, c’est qu’il ne trouvera pas d’interlocuteurs valides. Je crains que les élites politiques européennes, – je dis bien européennes les Américains étant pour le moment centrés sur un fait interne qu’est les élections de mi-mandat – bien que le Conseil européen ait exclu d’entrée de jeu toute option militaire, n’aient la défaite trop amère pour pouvoir tenir compte d’un plan à l’évidence sage et qui reste dans la ligne de ce que la Russie avait proposé depuis le début de cette crise, c’est-à-dire des organisations internationales, disons, intelligentes comme l’OCDE. Je crains donc que ce plan ne trouve pas, à l’heure qu’il est, d’interlocuteurs. Obama ne peut pas le prendre tel quel parce que c’est un camouflé diplomatique pour lui qui pourrait lui coûter en termes de crédibilité vis-à-vis du Parti démocrate et donc avoir des répercussions sur les élections de mi-mandat mais cette fois pas en termes de voix ces élections étant américano-centrées. Obama aurait donc des frictions avec son propre parti, surtout que les républicains qui vont reprendre la Chambre des représentants ont quant à eux des motions toutes prêtes dont l’une d’un sénateur républicain de la Commission des Affaires étrangères contre la Russie et qui porte sur l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie. Ni côté européen et encore moins côté américain il n’y a d’interlocuteurs. Vous l’avez bien vu avec ce que François Hollande vient de faire (suspension du contrat sur la livraison des Mistrals, NDLR).
La VdlR. L'OTAN prévoit le déploiement des troupes au sol et des exercices navals de grande envergure contre un ennemi dit "sans nom". Or, les manœuvres menées en mer Noire dans une région contiguë à la frontière maritime de la Russie ainsi que l'apparition de cinq nouvelles bases otaniennes dans les anciennes républiques soviétiques laissent deviner de quel "ennemi sans nom" il s'agit. Comme l'ensemble de ces initiatives s'inscrit dans le cadre de la fameuse "Loi sur la prévention de l'agression russe", croyez-vous qu'elles ne relèvent que de la simple intimidation ou alors les USA sont bien déterminés à lancer une vaste campagne de guerre contre la Russie en instrumentalisant les ex-républiques de l'URSS ?
Pierre-Yves Rougeyron. Malheureusement, je crains qu’il n’y ait trois facteurs dont deux que vous avez d’ailleurs déjà soulignés dans votre question. Le troisième qui est plus incertain mais auquel je crois m’effraie peut-être plus que les autres. Il y a, premièrement, une reprise en main … parce qu’il faut bien voir qui est Obama. C’est un ancien professeur de droit international. Il est timoré dans sa stratégie d’action et a été d’ailleurs largement encadré par Hillary Clinton. De son côté, John Kerry a également ce type d’option diplomatique, c’est-à-dire qu’il fait faire par les autres. Cas typique : la Lybie. Genre : « Vas-y, je te couvre ! ». Aujourd’hui il utilise – et c’est notable – comme pilier occidental l’Allemagne qui a été au fondement de la crise ukrainienne bien avant les Américains. La chancelière n’est pas parvenue à damer le pion de Vladimir Poutine. Elle a elle-même de très gros soucis avec le patronat allemand qui est russophobe mais qui ayant des intérêts en Russie ne peut pas y renoncer vu l’état dans lequel se trouve l’économie.Que fait donc Obama ? Il déplace le pilier de la défense transatlantique vers la Pologne d’où la nomination de ce sympathique germano-américain au passeport polonais répondant au doux nom de Donald. Il y a donc une volonté de reprise en main. Il y a également une volonté de certains milieux américains que je ne pense pas très influents auprès d’Obama de jeter les dernières cartes. Si la Russie est maintenue et si la multipolarité se développe, la toute-puissance américaine verra très rapidement la fin de ses jours. Il est aux USA des personnes qui raisonnent en termes d’affrontement métahistorique ou même quasiment messianique mais, encore une fois, je les pense très peu influents auprès d’Obama. Si vous voulez, il y a une part d’intimidation et une part de reprise en main ainsi qu’une légère part stratégique qui à mon avis ne repose pas cette fois-ci sur les Polonais ou les Allemands mais sur les alliés de Washington à Moscou qui espèrent que Vladimir Poutine finira à terme par s’affaiblir et qu’au moment de sa succession ils pourront tenter de normaliser la Russie. C’est plutôt pour les soutenir eux, pour donner un os à ronger aux Etats Baltes et aux russophobes hystériques de certains pays de l’Europe de l’Est que ces initiatives sont adoptées. Un dernier point, celui-là même qui m’effraie le plus. Il s’agit du manque de direction et d’intelligence stratégique qui fait que l’on agit pour agir. C’est un peu comme cela que 1914 a commencé. D’escalade verbale en escalade verbale, sans savoir vraiment comment agir, on fait des bêtises. Au moins, ce n’est pas comme si on n’avait rien fait. Par conséquent, c’est ce manque de direction stratégique des Etats occidentaux qui, premièrement, explique l’absence d’interlocuteurs pour la Russie, deuxièmement, détermine l’aspect erratique de la politique occidentale dont malheureusement il ne peut rien sortir de bon.
La VdlR. Pensez-vous que le sommet de l'OTAN qui se tiendra le 4 et le 5 septembre sera décisif par rapport à la stratégie ukrainienne des USA?
Pierre-Yves Rougeyron. Le sommet de l’OTAN a une visée particulière qui est, disent bien des gens à Bruxelles, d’ « obtenir la certitude que l’article V de l’alliance ne soit pas que du papier ». Or, historiquement, l’article V de l’alliance n’est que du papier. Il n’a quasiment jamais été mis en œuvre et ne le sera pas plus face à la Russie qui est, avec les armées française et britannique, les seules vraies armées du continent. La force réactive de l’OTAN, même poussée au maximum, ne peut pas défier l’armée russe. Je pense donc que ce sommet verra avant tout beaucoup de rodomontades, beaucoup de boniments pour rassurer les pays de l’Europe de l’Est qui à moins de 500 km d’un Russe ont des crises d’urticaire. Ce n’est pas tant le sommet que les manœuvres qui seront déterminantes. C’est en plus le caractère parallèle de manœuvres terrestres et maritimes qui m’effraie beaucoup plus. L’OTAN va vouloir apparaitre unitaire contre la Russie mais c’est peut-être la seule unité qui lui reste. Mis à part des promesses sur les contingents ukrainiens, je ne vois pas d’avancée militaire majeure d’une institution qui même vis-à-vis de ses membres et même vis-à-vis de ses protégés ukrainiens – Kiev a demandé un accord militaire direct avec Washington parce que la procédure d’entrée dans l’alliance leur apparait soit trop longue, soit incertaine – est loin d’être fiable. On l’a vu lors du dernier discours d’Obama dans les pays de l’Est, la priorité est donnée à l’escalade verbale qu’est la violence des lâches. Tant que la Russie gagnera la tête froide, c’est elle qui maîtrisera la situation surtout qu’arrive à grands pas un juge de paix de la crise ukrainienne que les Russes connaissent bien parce que dans leur stratégie il leur a été rarement infidèle, c’est le général Hiver. C’est lui qui va refroidir les protagonistes et notamment les ardeurs ukrainiennes. Je pense que le sommet de l’OTAN verra surtout une escalade de mots parce que c’est la seule grande puissance qui reste à l’Occident : parler et orienter les opinions. Quand on n’est pas capable de mieux, c’est tout ce qui reste ».