La question se pose si des maintenant la Suisse décide d'abandonner à tout jamais le principe de neutralité, pourtant fixe dans la Constitution. Ces mesures sont-ils juste la façade des choses, ou la Suisse a décidé d'agir dorénavant autrement…
Ce n’est pas le premier cas d’action des banques suisses vis-à-vis de ses dépositaires. On peut citer Evgueni Adamov, commissaire à l'énergie atomique en Russie qui s'est vu attaquer en justice par les Etats-Unis pour le détournement des fonds. Suite à la demande d’extradition de la part des Etats Unis, une demande similaire a été faite par la Russie. La, également, on est loin de l’impartialité : l'Office fédéral de la justice à un moment donné décidait d'extrader Adamov vers les USA et d'accorder la priorité à la demande d'extradition présentée par les Etats-Unis sur celle émanant de la Russie.
Sans prendre parti à l’appréciation morale des sources qui alimentent les comptes bancaires, il faut remarquer que la frontière suisse est devenue perméable, elle n’est plus hermétique comme elle était depuis toujours. Désormais, on peut demander et obtenir la levée du secret de comptes, du secret bancaire sur une commission rogatoire. Il reste encore les comptes chiffres, anonymes, mais les Etats-Unis sont sur le point d’avoir le gain de cause dans leurs disparaissions aussi.
Nous avons demandé de commenter la décision du Conseil Fédéral Suisse au politique suisse, membre de l'Union démocratique du centre et Le conseiller d'Etat valaisan Oskar Freysinger.
Oskar Freysinger. L’attitude de la Suisse durant toute cette controverse qui oppose la Russie à l’OTAN au sujet de l’Ukraine me semble hautement discutable par rapport à sa vocation première qui est la neutralité. C’est un principe qui est défini par notre Constitution. J’accuse mon gouvernement très clairement de trahir notre Constitution et de ne plus être neutre. Et de faire quelque chose qui est dommageable pour les intérêts du pays.
J’ai fait une pétition. J’ai fait une lettre ouverte. Je vais intervenir au Parlement. Parce que j’estime que la Suisse, si elle veut proposer ses bonnes services, elle doit être perçue comme absolument neutre.
Pour être absolument neutre, il faut être souverain. Nous sommes un pays souverain. Nous ne sommes pas membre de l’Union Européenne, ni membre de l’OTAN. Un pays souverain prend ses décisions souverainement. Et il est aussi maitre de son système bancaire.
Or, ce qui se passe depuis quelques années, les Américains attaquent systématiquement la place financière suisse. Des qu’ils ont des gros problèmes financiers et en vue que la place financière suisse à un moment donné gérait un tiers du patrimoine privé mondial. Il leur fallait détruire ça, parce que le petit pays qui gère autant d’argent, ne plait pas aux Américains. Malheureusement, les instituts bancaires suisses, actifs sur le marché américain, ont donné le bâton pour se faire battre aux Etats-Unis. Ce qui a fortement affaibli la place financière suisse.
De là, devenir aussi servile, se laisser dicter à ce point le comportement dans la politique étrangère par rapport à la Russie, avec qui nous avons les relations diplomatiques positives depuis une centaine d’années, on ne peut plus se dire neutres. (Il a eu, bien-sur la période du communisme, mais en dehors de ces années, les relations étaient positives.) On est systématiquement en train de designer le Mal d’un côté, et, par la définition même, considérer que le côté opposé est le Bien. Or, ce n’est pas ainsi que se présente la politique internationale. Le Bien et le Mal, et les considérations moralistes n’existent pas. Ce sont des groupes qui ont leurs intérêts propres et qui essayent de se placer de la manière géopolitique, financière, économique, militaire et autres. Le seul moyen pour le petit pays comme la Suisse, s’il veut avoir une valeur quelconque dans ce concert des nations, c’est d’offrir des bons services pour la négociation, c’est donner l’aide en cas de catastrophe, d’aider sur le terrain à travers la Croix Rouge, c’est d’avoir les relations diplomatiques avec tous les pays du monde. Pas seulement avec un certain groupe, mais avec tout le monde, au même niveau. Et d’avoir les relations économiques multilatérales.
C’est le seul moyen pour un petit pays comme la Suisse d’arriver à exister valablement dans ces zones de confrontation et de conflits. Or, le gouvernement suisse actuellement fait quelque chose qui est – pour moi – non seulement est injuste, qui est une trahison de la Constitution, mais, en plus, est profondément stupide.
La Voix de la Russie. Mais, existe-t-ils des preuves des pressions des banques américains sur les banques suisses pour la levée du secret bancaire….
Oskar Freysinger. Concernant les sanctions, on a perçu la pression à un moment donné. C’était surtout venant de l’Allemagne. Les Américains sont derrière, on le sait, parce que les Allemand ne font jamais rien sans les Américains. Mais je pense que les Allemands sont en train de se rendre compte que, peut-être les choses ont changé. Et que dans cette fameuse position prédéfinie qu’on a hérité de la guerre froide, et qui voulait qu’à l’Est était l’ennemie, et à l’Ouest était l’ami, je suis en train de me dire que les Américains ne sont pas nos amis, et les Russes ne sont pas les ennemis. J’arrive au moins à cette conclusion. A ce moment-là, la neutralité est une position la plus sage pour un pays comme le nôtre.
Or, annuler l’invitation pour le Président de la Douma qui devait venir à l’occasion de 200 ans des relations diplomatiques entre la Russie et la Suisse, équivaut pour moi à bafouer le principe même de la neutralité. Dans ce cas-là il faut arrêter toutes les relations que nous avons avec les pays de l’Union Européenne, l’OTAN, etc. Ou bien, on se désengage partout, ou bien – on s’engage partout…
Mais on ne peut pas gifler un partenaire, ou gifler un des belligérants et ne rien faire envers l’autre. La Suisse actuellement n’est pas neutre, elle se place clairement dans un camp. Et ce n’est pas le rôle de la Suisse. Je reviens toujours à cette position-là : (Il faut exister) sans juger ce qui se passe sur le terrain, sans juger qui a raison, qui a tort, ce n’est pas notre rôle. Par contre, nous avons beaucoup à offrir. Mais la condition pour pouvoir offrir, soit - a la Russie, soit – a l’OTAN, est que nous soyons perçus comme neutres. Dès le moment que nous ne sommes plus, notre rôle que nous aimerions jouer, qui serait profitable pour notre pays… on ne peut plus le jouer.
La Voix de la Russie. Il est opportun de citer encore une fois la presse helvétique : « Les émissions d'instruments financiers à long terme de cinq banques russes (Sberbank, VTB Bank, Gazprombank, Vnesheconombank, Rosselkhozbank) seront soumises à autorisation. » Mais il a, sur le fond de blocage de vente de certain matériel destiné à l’extraction du gaz et du pétrole, ainsi que du matériel militaire, une déclaration assez hypocrite au chapitre agricole : « le Conseil fédéral a tenu à souligner que la Suisse ne prenait aucune mesure étatique pour encourager les exportations de denrées vers la Russie.»
Oskar Freysinger. La Suisse est en train de travailler contre ses intérêts économiques, dans le premier temps, en insultant ou en « giflant » le Président de la Douma russe. Comment voulez-vous ensuite, comme Monsieur Schneider-Ammann, notre Ministre de l’économie le prévoit, aller négocier les contrats économiques avec la Russie ? Si vous avez d’abord bafoué cette personne… Ce n’est pas possible ! C’est contre-productif ! C’est complètement idiot !
Si vous voulez avoir des relations économiques avec quelqu’un, vous soignez les relations diplomatiques et vous vous comportez d’une manière correcte et polie. Ce n’est pas de cette manière qu’on traite un partenaire.
Maintenant, évidemment, cette position suisse est défavorable pour l’économie suisse. Ce qui nous sommes en train de faire maintenant, c’est simplement plier l’échine, d’avoir un comportement servile par rapport à l’OTAN.
Il y a un malaise terrible dans l’Union Européenne actuelle… Certains pays sont très mal à l’aise par rapport à ces sanctions, par rapport à la Russie. Autant que je sache, la Russie jusqu’à l’Oural fait partie de l’Europe. C’est la maison commune. Or, l’Union Européenne n’est pas l’Europe ! L’Europe c’est autre chose. C’est une entité historique qui va jusqu’à l’Oural. La Russie en a toujours fait traditionnellement partie de cette Europe-là. Je suis très mal à l’aise de voir que l’Europe se trouve aujourd’hui divisée avec une cacophonie pas possible au niveau de l’Union Européenne uniquement parce qu’on cède a la pression des Américains. On sait que les Anglo-Saxons ont une double morale incroyable : il suffit de voir ce qui se passe en Syrie, au Maghreb, dans tous les pays du monde où ils ont intervenus militairement. Je trouve leur comportement international depuis quelques années totalement irresponsable. Ce n’est pas ainsi que j’imagine le policier du monde, pour lesquels ils sont passés.
La Voix de la Russie. Pour terminer, on récite encore un passage de « La Tribune de Genève » : « Si l'UE a bloqué des avoirs, la Suisse s'est contentée d'ajouter onze noms à la liste des personnes et des entreprises avec lesquelles les intermédiaires financiers ne sont pas autorisés à nouer de nouvelles relations d'affaires et dont les relations d'affaires existantes sont soumises à déclaration. » Une précision est également donné par rapport à ce blocage, on cite les noms des personnes, dits « proches de Poutine » Sans entrer dans le détail d’analyse de chaque personnalité et le contenu des « affaires » des entreprises concernes, on y verrait un signe de partialité dans les décisions de Bern.
Oskar Freysinger. Un petit rappel historique : le secret bancaire suisse est issu des années qui ont précédés la Deuxième Guerre mondiale, lorsqu’il s’est agit de préserver les avoirs juifs devant les nationaux-socialistes allemands. Ça avait un sens tout à fait précis de protection de certains avoirs prives contre un Etat qui était à ce moment très clairement totalitaire. Et cet esprit-là, selon ce que vous venez de dire, est remis en question. Ca me gêne beaucoup.
l La Voix de la Russie.
Constitution fédérale de la Confédération suisse
du 18 avril 1999 (Etat le 9 février 2014)
Art. 173 Autres tâches et compétences
1. L'Assemblée fédérale a en outre les tâches et les compétences suivantes:
a. elle prend les mesures nécessaires pour préserver la sécurité extérieure, l'indépendance et la neutralité de la Suisse