Leader bénéficiant d'une bonne réputation, suffisamment ferme mais capable de trouver des compromis, le président turc Tayyip Erdogan, idéologue novateur, s'engagera à transformer le pays en république présidentielle, estiment les spécialistes interrogés par RIA Novosti.
La première élection présidentielle au suffrage direct s'est tenue en Turquie le 10 août. Elle a été remportée par le premier ministre Tayyip Erdogan avec 52% des voix, qui sera officiellement investi jeudi. La semaine dernière, le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu est apparu comme le candidat du Parti de la justice et du développement au pouvoir pour le poste de premier ministre.
Cette décision a été prise lors de la réunion du comité exécutif central à Ankara. Il est à la fois présenté comme l'unique candidat au poste de président du parti.
"Erdogan est indéniablement un leader déjà bien connu, à la réputation plutôt bonne", estime Viktor Nadeine-Raevski de l'Institut d'économie mondiale et des relations internationales de Moscou (IMEMO). Viktor Sergueev, de l'Institut et des relations internationales de Moscou (MGIMO) décrit le nouveau président turc comme "une personnalité relativement forte et autoritaire". "Erdogan est assez impulsif, souligne Viktor Nadeine-Raevski, mais en dépit de son intransigeance politique ou de sa capacité à défendre ses principes et ses priorités, c'est un homme qui a toujours su trouver certains compromis".
Les innovations idéologiques
D'après Viktor Nadeine-Raevski, Erdogan a fait un très grand pas en termes de transformation de l'idéologie turque en reconsidérant la voie de développement de la Turquie. "La transformation idéologique qui se déroule ces dernières années est un facteur crucial et décisif pour le développement futur du pays", note l'expert. Selon ce dernier, la Turquie acquiert progressivement une nouvelle conscience de soi dans l'esprit de la nouvelle tradition islamique – complètement différente des pays arabes où l'on assiste dernièrement aux élans de radicalisme.
"Erdogan a proposé un modèle foncièrement nouveau, élaboré en Turquie pendant de longues années. Il y a davantage de changements dans le processus de raisonnement, dans la perfection de soi, tout suit une autre tradition, soufie. C'est propre à la Turquie", affirme Viktor Nadeine-Raevski.
L'expert note également qu'Erdogan s'efforce de consolider la société sur des bases complètement différentes par rapport au gouvernement turc précédent. "C'est le retour à l'islam en tant que tradition nationale. La pratique modérée d'Erdogan peut être interprétée comme le respect des valeurs familiales, culturelles et religieuses, mais dans la lecture wahhabite comme en Arabie saoudite", pense Viktor Nadeine-Raevski.
Les experts soulignent également les innovations économiques du premier ministre turc — et leur succès. "Erdogan poursuit le développement de l'économie de marché, les biens publics sont en vente. Les Turcs cherchent à le faire avec un profit pour l'Etat, de manière à obtenir un effet dans tels ou tels secteurs vendus dans le privé", explique l'expert, notant que dans ces démarches on ressent clairement qu'Erdogan pense que l'Etat est un gestionnaire inefficace.
Selon Viktor Sergueev, la voie économique particulière de la Turquie lui a valu beaucoup de succès. "La Turquie se développe rapidement avec une croissance économique de 7 à 8% par an. Elle a choisi une voie de développement très originale: le pays mise essentiellement sur l'industrie légère et l'agriculture", déclare l'expert.
Le tandem turc
En évoquant le tandem du président et du premier ministre turcs, les experts soulignent que dans tous les cas Erdogan conservera le leadership, bien que les pouvoirs accordés au premier ministre par la Constitution soient largement supérieurs à ceux du président.
"Le premier ministre jouera le rôle d'une marionnette parce qu'après l'élection, Erdogan bénéficie d'un réel soutien. Il fera tout pour transformer au plus vite le système gouvernemental pour passer d'une république parlementaire à un modèle présidentiel. Le premier ministre actuel n'était pas un homme important ces derniers temps, et dans l'ensemble le contrôle réel est dans les mains d'Erdogan", estime Viktor Sergueev.
D'après Viktor Nadeine-Raevski, dans la concentration des pouvoirs significatifs entre les mains du président "Erdogan voit l'opportunité de renforcer le pouvoir central et de lutter contre la désunion et la division dans la République turque étant parlementaire".
Comme le fait remarquer l'expert, Davutoglu – professeur, enseignant universitaire, théoricien – a toujours été un collaborateur fidèle d'Erdogan. En outre, il est devenu l'un des principaux idéologues de son équipe.
"Le temps nous dira dans quelle mesure Davutoglu est capable de gérer l'économie de la république. Certes, il est plus connu comme une personnalité politique internationale, un théoricien. Mais c'est des professionnels qui travaillent au gouvernement, et sa tâche consiste à donner la ligne centrale, la stratégie de développement du pays. C'est ici que ses compétences principales peuvent être utiles", estime Viktor Nadeine-Raevski. Cependant, selon ce dernier, Davutoglu prendra très probablement ses décisions en consultant l'avis du président.