A ce propos, il n’y a pas l’ombre d’un doute que les licenciements de MM. Montebourg et Hamon sont plus ou moins corollaires au piteux état dans lequel se trouve l’économie française. Et comme le Président de la République n’a aucune connaissance pratique de la vie d’entreprise, il n’y a pas à s’étonner que l’Elysée semble être frappé de plein fouet par un virus de mutisme se taisant pudiquement sur la croissance zéro du PIB ou les foules des laissés pour compte qu’il faut loger, nourrir et amidonner pour qu’ils n’égorgent pas au moins les nantis de régime dans la rue. Le ballet interminable des changements gouvernementaux commencent déjà à bien faire par la répétition à l’infini. Vous pensez bien : le quatrième gouvernement hollandiste à former sous son mandat présidentiel. Alors la question à 100 balles : saura-t-on profiter de l’opportunité pour mettre dans la foulée à la porte non seulement les pauvres ministres de l’Education Nationale et de l’Economie mais également une Taubira et une Filipetti ? Bien malheureusement, la réponse serait négative. On ne pense pas à la réforme : on pense à l’intégrité et la cohésion du groupe social se trouvant aux commandes du paquebot « France ».
Jacques Sapir, lui, n’a pas froid aux yeux : non seulement il coopère avec les Russes, mais aussi il nous offre des jugements de valeur sans se faire démonter par les Atlantistes de l’acabit d’un Alain Juppé.
La Voix de la Russie. C’était pour s’entretenir sur ce qui vient de se passer en France. Parce qu’en fait il y a eu cette scission du gouvernement, en fait le gouvernement est parti et il doit bien y avoir un autre qui va être rapidement formé. Mais on se pose beaucoup de questions sur les raisons que l’on croit être parfaitement économiques, à en croire la presse française, allemande et tous ceux qui ont déjà eu le temps de réagir, mais sans que l’on connaisse vraiment tous les tenants et les aboutissants. Qu’en dites-vous ? A quoi tient ce départ un peu précipité de cette équipe de Manuel Valls ?
Jacques Sapir. Alors tout d’abord techniquement, on a effectivement une démission du gouvernement suivie du fait que le Premier Ministre a été renommé par le Président, M. François Hollande, et on lui a demandé de constituer un nouveau gouvernement. Sur le fond, si vous voulez, cette crise politique survient après que le Ministre de l’Economie ait dit ouvertement qu’il était en désaccord avec les orientations du Premier Ministre et du Président de la République, et qu’il souhaitait qu’il y ait une grande explication et même une explication très franche entre la France et l’Allemagne quant à la politique menée dans la zone euro. C’est ce qui a provoqué, si vous voulez, cette crise politique et on voit bien que François Hollande va chercher à constituer un gouvernement qui serait maintenant homogène sur sa ligne politique d’austérité. Mais le problème qui va se poser est : est-ce qu’il y aura une majorité au Parlement ?
LVDLR. Merci de cette réponse ! On vient juste de recueillir les commentaires de Jacques Myard, député à l’Assemblé Nationale et donc maire de Maisons-Laffitte, qui nous a dit qu’en fait toute la ligne économique de la France, selon lui, bien sûr, était périmée et qu’il fallait peut être même revenir à l’idée de renoncer à l’euro. Parce qu’en fait ça mène la France à sa fin, à sa faillite économique, et que peut être le départ du gouvernement était plus ou moins en corrélation avec cette thématique-là. Est-ce que vous croyez que ça a du sens ce que Mr Myard vient de nous livrer ?
Jacques Sapir. Oui, certainement ! Et de ce point de vue-là, je partage complètement l’analyse faite par Jacques Myard. Tout le monde savait qu’Arnaud Montebourg avait, au minimum, des doutes et même des doutes très importants sur l’efficacité de l’euro pour l’économie française. Simplement, jusqu’à maintenant, il n’avait pas exprimé ouvertement ses doutes, mais aujourd’hui, ou plutôt hier, il les a exprimés ouvertement. Il a dit qu’il fallait que la France rentre dans une espèce de conflit avec l’Allemagne et surtout il a catalysé autour de sa personne toute une série de ministres, Benoit Hamon, le Ministre de l’Education nationale, mais aussi Aurélie Filippetti, la Ministre de la culture, et même Christiane Taubira.
Donc, de ce point de vue-là, ce n’était plus simplement l’opinion d’un ministre isolé : c’était l’opinion d’une fraction au sein du gouvernement. Par ailleurs, il faut dire que ceci vient à un moment où la politique économique générale menée par la France et par François Hollande est très durement contestée, à la fois à droite et à gauche parce qu’elle ne marche pas. Aujourd’hui on voit bien que quand le gouvernement prévoyait que nous aurions pour 2014 une croissance de 1,2%, nous aurons en réalité une croissance de 0,5%, voir même de moins. Donc il y a bien un échec économique du gouvernement, mais cela François Hollande refuse de l’admettre, et d’une certaine manière il préfère changer de ministre que changer de politique. Le problème c’est qu’il peut peut-être réduire Arnaud Montebourg au silence, il ne réduira pas les problèmes économiques auxquels la France fait face au silence aussi facilement.
La Voix de la Russie. Merci de cette réponse. La dernière question à vous poser : est-ce que ce changement de gouvernement ne remettrait pas en question l’exécution du contrat sur la livraison des Mistrals à la Russie ?
Jacques Sapir. Non, pour l’instant il n’est pas du tout question de cela ! Et sur ce point si vous voulez, qu’il s’agisse de Manuel Valls ou qu’il s’agisse de François Hollande, ces deux dirigeants, donc le Premier Ministre et le Président de la République, ont toujours dit que le contrat serait exécuté et que ce contrat ne serait pas touché par les sanctions qui ont été prises par l’Union Européenne contre la Russie à propos des événements d’Ukraine. Donc là si vous voulez, il est très clair qu’il n’y aura pas de changements dans la politique française. Mais ce que l’on peut aussi dire, c’est que nous allons rentrer dans une situation de crise politique larvée. Il va falloir trouver une nouvelle majorité qui soit capable de porter à la fois ce gouvernement, mais aussi de porter les différentes lois, les différentes réformes que ce gouvernement veut faire passer au Parlement. Et on risque d’être dans une situation extrêmement confuse politiquement. Ce qui fait qu’on peut penser que l’on arrivera à des élections législatives anticipées en hiver. Alors je ne sais pas quand, je ne peux pas exactement prévoir sur quel point on aura le dénouement de cette crise politique, mais je pense qu’il est extrêmement probable que d’ici le printemps prochain, d’ici mars prochain, nous aurons très certainement des élections législatives anticipés.
La Voix de la Russie. Jacques Sapir, merci de vos réponses comme toujours très édifiantes et très fournies. On espère vous retrouver encore et encore sur nos ondes !
Commentaire de l’Auteur. La mise de François Hollande n’est pas encore complètement perdue. Il peut penser à rétablir la situation en provoquant soit la cohabitation et partageant la responsabilité avec un gouvernement venu de la droite, soit à faire promouvoir une personne de la taille de Laurent Fabius, comme l’avait préconisé notre expert politique Ivan Blot. L’ennui est que pour cela il faut faire preuve d’une approche peu conventionnelle et savoir jongler avec les partis. Or François Hollande reste inébranlable. Son attitude tient beaucoup plus d’un notaire que d’un chef d’entreprise en péril. Il obéit à l’esprit et la lettre du Missel socialiste. Redonner un nouveau souffle à une économie moribonde serait une œuvre noble qui resterait gravée dans la mémoire collective. On pourrait bien imaginer la manœuvre d’un transfert massif des technologies en direction de la Russie avec ouverture des nouvelles usines dans l’immensité des steppes slaves déjà bien civilisées. Mais pour réaliser une telle prouesse, il faut bien avoir la carrure du Général et point celle d’un Monsieur Bricolage.