Jean Jaurès est assassiné !

Jean Jaurès est assassiné !
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Jean Jaurès est mort assassiné il y a tout juste 100 ans. Cela s’est produit à Paris, au «Café du Croissant» un vendredi 31 juillet 1914.

Dans son dernier discours, bien connu bien entendu, il y a des choses que l’on ne peut pas passer sous silence. Quand il commence « Je veux vous dire ce soir que jamais nous n'avons été, que jamais depuis quarante ans l'Europe n'a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l'heure où j'ai la responsabilité de vous adresser la parole ».

Ça nous fait penser bien entendu à la situation de l’Europe actuelle, de 2014… ou encore, il dit « Chaque peuple paraît à travers les rues de l'Europe avec sa petite torche à la main et maintenant voilà l'incendie », et nous pensons à tous les foyers d’incendie cuvée 2014… On ne peut pas s’empêcher de considérer ces paroles comme prophétiques… Est-ce que notre Humanité ne tire pas de leçons de ces prophéties de ces grands Hommes qui parlent honnêtement aux citoyens ?

Nous avons cette question au journaliste, essayiste et philosophe Bernard Antony.

Bernard Antony. Je vais être, en tout amitié, un peu en désaccord avec vous. Je vis au cœur du pays de Jaurès, j’ai écrit ce livre « Jaurès, le mythe et la réalité », parce que Jaurès est devenu chez nous un mythe. Il y a une idolâtrie de Jaurès. Or Jaurès est tout sauf un prophète, parce que le dernier discours de Jaurès d’accord, mais il est accablant pour lui. Parce que Jaurès s’est refusé à voir, à accepter le fait que le peuple allemand quasi-unanime, pas entièrement mais quasi-unanime, allait rentrer en guerre. Jusqu’au bout, méprisant les avis de son ami socialiste, ou communiste comme on veut, parce que Jaurès utilisait un différent socialisme du communisme, jusqu’à refuser de voir l’inéluctabilité de la guerre. Or, Charles Andler, qui a traduit Marx en français, lui disait « je t’assure, camarade Jaurès, que nos camarades socialistes allemands sont tous partisans de cette guerre et qu’ils ne vont pas la faire échouer ».

Donc, pour moi Jaurès n’est pas un prophète, ce n’est que quelques jours à peine avant qu’il a entrevu ce qu’il ne voulait pas voir.

LVdlR. En fait, étant martyre d’un déséquilibré, il devient carrément un martyre d’une idéologie.

Bernard Antony. Oui. Comme vous le dites très bien d’ailleurs, Raoul Villain était un déséquilibré. Parce que j’entends sur les radios de la désinformation française que c’était un militant nationaliste. Je rappelle que le grand nationaliste français de l’époque était Maurice Barrès, qui est un grand ami de Jaurès par-delà leurs différences et leur division. Je décris dans mon livre comment, à peine Jaurès transporté chez lui à Meudon, Maurice Barrès se précipite chez lui est y est accueilli par Léon Blum, qui sera le grand continuateur de Jaurès, qui le prend dans ses bras, parce que à l’époque entre hommes politiques français d’un certain niveau il y avait un autre mode de relation que ce qu’il y a aujourd’hui. Donc Jaurès a été assassiné, c’est la chance de sa vie. Je dis ça avec une certaine ironie, parce qu’il est mis au Panthéon, il devient le héros national, que tout le monde s’exalte - de l’extrême de droite à l’extrême de gauche, au Front National comme au Parti communiste, avec des incohérences qui relève de la récupération politicienne.

Mais si Jaurès n’avait pas été assassiné, à 95% de chance il serait lié à l’Union Sacrée, comme d’ailleurs les plus grands pacifistes. Je pense avoir lu l’essentiel de lui, ce personnage n’est pas un prophète, il s’est lourdement trompé, il rêvait toujours, c’était un utopiste. Et pour la guerre de 1914, il a surtout fait l’erreur de ne pas vouloir la préparer, ce qui l’aurait peut-être dû éviter. Il n’y a rien de pire que les pacifistes qui ayant tout fait pour éviter la guerre, s’y rallient au dernier moment.

LVdlR. Je dis qu’il devient un martyre de l’idéologie parce que 100 ans plus tard, les socialistes surtout, tentent de récupérer la figure de Jaurès pour proposer un Jaurès tel qu’ils le voient à travers l’idéologie. Est-ce que vous pensez que le Jaurès d’aujourd’hui serait d’accord avec les idées socialistes actuelles ? Je ne demande même pas de ce qu’il aurait pensé du mariage pour tous, mais pour d’autres lignes…

Bernard Antony . C’est une très bonne question, je vois que vous connaissez bien. Il est vrai que Jaurès se dit, utilisant indifféremment plusieurs mots : socialiste, collectiviste et communiste. Il siège au bureau socialiste international avec Lénine, Trotski, Rosa Luxembourg, c’est dire quand même qu’il est sur une ligne révolutionnaire. Bien évidemment, il n’avait pas encore vue les effets du communisme, il n’avait pas bien perçu ce qu’était le bolchévisme… Alors il n’aurait pas été dans la ligne communiste léniniste.

Par ailleurs, ce que vous dites est vrai, Jaurès est comme tous les français adultes à l’époque, a une pensée ordonnée autour du travail, famille et Patrie, dont on croit toujours que c’était la devise du gouvernement du maréchal Pétain à Vichy. Mais en réalité, presque toute la classe politique se retrouvait autour de ces valeurs du travail, de la famille, de la Partie. Pour ce qui est de la famille, je connais encore bien ce qui reste de la famille de la mère de Jean Jaurès, les Barbaza… Jaurès n’aurait pas été DSK. On peut le penser, parce qu’il était très rigoureux, bien qu’il n’était pas catholique, ni chrétien. Il était férocement antichrétien, et c’est ça que nul ne dit, or il suffit de dire son histoire aux socialistes de la Révolution française. Il est férocement antichrétien, et voilà ce qu’il dit : « Il faut non seulement la laïcité complète de l’Etat, mais la disparition de l’Eglise, et même du christianisme » Je peux vous lire comme ça des dizaines de citations de Jaurès. Il est gnostique, il est cabaliste, il est platonicien, il est tout ce qu’on voudra, mais pas chrétien.

LVdlR. Et pourtant vous qui êtes farouchement chrétiens, vous vous intéressez à cette personnalité, pourquoi ?

Bernard Antony. Je m’y suis intéressé parce que j’aime l’histoire des idées, l’histoire des personnages, parce que je vis au cœur d’un pays où il y a un véritable culte de Jaurès.

Mais j’ai écrit « Jaurès, le mythe et la réalité ». Et la réalité de Jaurès ce n’est pas celle du mythe que l’homme exalte aujourd’hui. Alors Jaurès comme vous les dites très bien, d’un point de vue de la conduite personnelle, il est très moral, moraliste même. Par exemple, je cite dans mon livre les propos qu’il tient à l’égard d’une jeune assistante d’un député socialiste qui est devenue sa maîtresse. Cela met Jaurès hors de lui. Imaginez cela aujourd’hui au Parti socialiste français ou même dans n’importe quels parti ! Aujourd’hui, il n’y aurait pas un seul député de l’extrême droite à l’extrême gauche qui s’aviserait de condamner une jeune femme, parce qu’elle est la maîtresse d’un député. Jaurès de ce côté-là est encore très profondément imprégné des valeurs chrétiennes, et notamment, à propos du mariage. Alors on peut imaginer en effet combien il aurait été hostile au « mariage pour tous ».

LVdlR. Mais même le Président donne un exemple qui n’a rien de chrétien, ni de catholique, dans le domaine du mariage…

Bernard Antony. J’ai fait ce livre, seul livre à contrecourant, pour ne pas distiller les mensonges. Sur Jaurès, j’entends en ce moment sur les radios un travestissement de la réalité du personnage. Les socialistes bien sûr le tirent vers eux, parce que c’est quand même le fondateur du Parti socialiste, le fondateur de la SFIO, c’est le fondateur du journal L’Humanité, qui a été pris ensuite par les communistes, après la scission et quelques années après la mort de Jaurès.

Mais il est certain qu’on n’imagine pas un Jaurès admirer un François Hollande, parce que Jaurès, dont je combats les idées pour ma part, tout en reconnaissant bien sûr que c’est un grand orateur, il est très cultivé. Mais je sais pertinemment qu’il aurait méprisé quelqu’un comme François Hollande.

LVdlR. J’éprouve toujours une certaine frustration quand il m’arrive d’écrire sur des personnes illustres – c’est de ne pas pouvoir un retour sur les impressions parfois très personnelles. C’est tellement facile de passer pour un « vautour » en vue des défunts illustres. Mais la figure de Jaurès reste à part, bien que toujours convoitée par les récupérations de tout bord. Et c’est une grande force - de la résistance, de l’indépendance. De ne pas devenir une effigie d’un mouvement quelconque, ni même pas un « dénominateur commun » des mouvements politiques.

Mais juste un Homme. Un Politique.

100 ans ont passé. On parle toujours de Jean Jaurès.

Et, en dépit de tous les débats, tout le monde se met d’accord : c’est une grande Personnalité.

Jean Jaurès est assassiné. Mais il n’est pas mort.

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