En général, il est difficile pour les contemporains d'un événement de savoir s'ils assistent à un tournant historique, écrit jeudi le quotidien Vedomosti.
Même en suivant l'actualité et en comprenant que quelque chose va de travers, chacun continue de vivre sa vie. Dans quelques mois tout pourrait radicalement changer et l'époque que nous vivons restera comme le souvenir d'une période révolue, celle de la vie dans un grand monde ouvert. La nouvelle Guerre froide qui s'annonce sera bientôt une réalité irréversible. Les sanctions économiques de l'UE qui seront adoptées prochainement ne rendront pas la Russie plus conciliante: le cercle vicieux des sanctions et réactions est donc bien enclenché.
Les mesures adoptées aujourd'hui par l'UE s'étendront sur des années, voire des décennies. Elles resteront en vigueur même quand le dossier ukrainien aura perdu toute pertinence.
Dans les mois à venir la Russie devra passer à un nouveau système de mobilisation du développement, correspondant aux réalités de cette nouvelle Guerre froide. Cela nécessitera une révision de la politique macroéconomique, des principes de gestion financière, de l'ensemble des liens économiques extérieurs, sans parler de l'idéologie et de la politique nationale.
La Russie devra vivre selon des nouvelles règles pendant de longues années. La présence d'un ennemi flagrant - les USA - et l'effusion de sang russe dans l'est de l'Ukraine a conduit à la mobilisation de la population autour des autorités.
Toute pression américaine directe sur la Russie ne fera que renforcer les positions du gouvernement russe. L'effondrement de l'URSS ne s'est pas produit en pleine confrontation américano-soviétique au début des années 1980, mais après la normalisation des relations bilatérales.
Il est peu probable que la seconde Guerre froide se solde par une défaite de la Russie, surtout pas au niveau militaire. La confrontation politique, elle, renforcera le gouvernement russe. Quant à l'économie, après une période de transition relativement difficile elle se relancera à nouveau. L'expérience historique indique que la Russie est capable, comme aucun autre pays, de vivre pendant des décennies et de se développer dans le cadre d'une mobilisation et d'un environnement hostile. C'est en situation d'Etat voyou que l'URSS avait réalisé sa plus grande percée dans le développement industriel, scientifique et technologique.

Enfin, de toute évidence, la Russie peut compter sur sa coopération avec les pays des Brics, notamment la Chine.
On se questionne au sujet de la croissance économique dans le cadre d'une mobilisation, mais surtout sur sa qualité, pas son rythme. Cette croissance a pour résultat d'importantes disproportions, ainsi que l'apparition de nombreux secteurs et entreprises non compétitifs qui nécessitent, par la suite, des restructurations douloureuses. Durant la nouvelle Guerre froide, au cours des premières années la Russie, surmontera héroïquement les difficultés, remportera des victoires, puis nos petits-enfants devront payer pour ces victoires. De la même manière que la Russie paie encore pour les disproportions de la base industrielle soviétique créée pendant l'époque de l'industrialisation.
La première Guerre froide était le produit d'une confrontation totale de deux systèmes. L'un des deux systèmes était voué à disparaître.
La seconde Guerre froide est le produit d'un conflit entre les intérêts russes et américains dans une région stratégique (l'Europe de l'Est), d'un conflit qui a échappé au contrôle à cause des erreurs politiques, de l'arrogance et l'imprévoyance des deux parties.
L'inutilité de la confrontation va finalement se révéler flagrante et les parties entreprendront alors des mesures pour normaliser leurs relations.