La diplomatie occidentale n’existe plus

La diplomatie occidentale n’existe plus
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"Je ne comprends guère pour quelle raison l’Europe suit bêtement, béatement les injonctions de Washington. C’est un mystère."

Heureusement que le ridicule ne tue pas. Sans quoi, il y en aurait des pertes au front Ouest ! Il est curieux de voir à quel point des gens parfaitement cravatés et doués de bon sens se décarcassent pour inventer de nouvelles sanctions contre la Russie.

Entre-temps, les principaux mécontents ne sont pas des Russes mais bien plutôt de grandes entreprises étrangères implantées en Russie ou en passe de s’y implanter. Cette sottise, passez-moi l’expression, renvoie à l’aventure tumultueuse des Mistrals dont la livraison devait être suspendue à condition que les Britanniques gèlent les avoirs des oligarques russes. On connait la réaction (plus que prévisible) de l’Albion : non et cent fois non ! S’en sont suivies la riposte des syndicats français et la vague d’indignation des ouvriers de Saint-Nazaire qui ont en partie conditionné le revirement de la diplomatie française.

Dans l’ensemble, toutes les tentatives déployées par les USA pour séparer la Russie de l’Europe « punissent » bien davantage cette dernière que la Russie ce qui donne tout son sens au constat formulé récemment par Poutine : « La Russie n’est pas entre l’Orient et l’Occident. Ce sont eux qui sont à gauche et à droite de la Russie ».

En attendant, persistant dans son suivisme, l’Occident ne veut pas se rendre compte que la Russie n’est pas l’Iran qui, quoique courageusement attaché à sa souveraineté, ne peut se permettre de faire abstraction des sanctions américaines. Idem pour la Serbie. Les USA, toujours très en avance sur leurs satellites, ont quant à eux exprimé leur intention de restituer à Kiev son statut de puissance nucléaire … car il faut bien se faire entendre quand leurs leçons de morale n’aboutissent pas à l’effet recherché.

Pascal Mas, conseiller du représentant du Tatarstan en France, nous a livré une critique tout à fait musclée des mesures américaines et de la façon dont celles-ci sont aveuglément reprises par le Vieux Continent.

La Voix de la Russie. Ne vous semble-t-il pas que les sanctions infligées à la Russie sont hautement absurdes dans la mesure où ceux qui sont principalement concernés sont, de un, les oligarques russes qui sont pour la plupart extrêmement loyaux à la politique bruxelloise, de deux, les hommes d’affaires occidentaux qui ont un business en Russie ?

Pascal Mas. Je considère le principe des sanctions comme grotesque en soi. On a affaire à une hyperpuissance qui se croit capable de gérer tout ce qui doit se faire sur l’ensemble de la planète comme si nous étions dans une cour de récréation avec l’institutrice et son auxiliaire, l’Europe, qui distribuent des bons points ou des sanctions aux mauvais élèves. Je pense que la Russie est un pays autrement plus important qu’un petit enfant capricieux. Je trouve donc que le principe de représaille adopté est grotesque. Pour répondre à votre question : bien entendu, les mesures prises par les USA et l’Europe vont essentiellement toucher une poignée d’oligarques dont la plupart réside en Angleterre (ce qui manifestement ne dérange personne) et très faiblement la population russe en elle-même. Là où vous avez parfaitement raison, c’est que ce sont les entreprises et les intérêts occidentaux qui risquent d’en être les premières victimes. Des entreprises qui avaient prévu des investissements en Russie ou des coopérations avec cette dernière vont se retrouver dans une situation ambigüe. Il y a fort à craindre que les banques ou autres organismes qui en général sont chargées d’aider ces entreprises dans leur développement soient plus frileuses et les laissent tomber au dernier moment.

LVdlR.Pensez-vous que la Russie doive réagir à ces sanctions ? On a entendu le ministre des Affaires étrangères russe, M. Lavrov, dire tout récemment qu’il était « indigne d’un si grand pays qu’est la Russie de se rabaisser au niveau de ceux qui sanctionnent ». Il s’agit d’une phrase qui n’est pas dénuée de bon sens. Ceci dit, qu’en est-il dans la pratique ?

Pascal Mas. Je suis sur la même voie que M. Lavrov en précisant qu’il n’y a pas à se rehausser ou à se rabaisser par rapport à une autre puissance. Cet aspect sémantique tiré au clair, je pense que les mesures adoptées par les USA et l’Europe sont complètement suicidaires parce qu’elles ne font que justifier et donc renforcer le principe même d’eurasisme dont nous avions parlé lors de ma dernière intervention. On le voit à l’exemple de la conférence des BRICS qui a eu lieu à Fortaleza le 15 juillet avec les pays émergents plus 11 pays latino-américains qui ont été invités et à laquelle ont assisté de nombreux économistes pour la naissance de la Banque de développement des BRICS et de multiples accords de partenariat industriels, etc. Il n’y a donc pas besoin de faire de rétorsions. C’est le développement même de ce principe de coopération entre les BRICS, la consolidation interne de l’Eurasie qui va répondre à ces mesures totalement absurdes.

LVdlR. Comment expliquer la dépendance diplomatique de l’Europe vis-à-vis des prises de position américaines si dangereuses soient-elles ? On a l’impression que l’Europe a perdu toute la brillante culture diplomatique qui la caractérisait pendant des siècles !

Pascal Mas. C’est un mystère dans la mesure où les intérêts des USA ne sont évidemment pas ceux de l’Europe. M. Obama est à la moitié de son deuxième mandat et comme il ne peut pas se représenter pour pouvoir masquer les échecs de sa politique intérieure, il fait le va-t-en-guerre comme souvent les Présidents américains ont l’habitude de la faire sachant qu’ils ne seront pas responsables des conséquences des décisions qu’ils auront prises au cours de leur mandat. M. Obama peut donc engager ses alliés dans des impasses sans en être responsable d’ici deux ans. Maintenant, que l’Europe se mette à plat ventre devant la diplomatie américaine, voilà qui est bien plus préoccupant. Parce que d’abord l’Europe dont on nous a dit que c’était un ensemble homogène n’existe pas. On le voit entre autres au niveau économique, les sanctions dont nous avons précédemment ne touchant pas le gaz car l’Allemagne est directement concernée, ne touchant pas les livraisons des Mistrals parce que la France s’y était opposée. En somme, je ne comprends guère pour quelle raison l’Europe suit bêtement, béatement les injonctions de Washington. C’est un mystère, je n’ai aucune réponse à cela ».

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