Qui jette de l’huile sur le feu de la guerre en Ukraine

Qui jette de l’huile sur le feu de la guerre en Ukraine
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Récemment, dans les pages du Le Courrier des Balkans je suis tombé sur quelques lignes, datées du mars dernier : « Si la situation en Ukraine devait se transformer en guerre ouverte, peu importe qui la gagnera, les perdants seront comme toujours les gens ordinaires, les petites gens, ceux à qui on n’aura jamais rien demandé. » Ce portail électronique francophone qui traite de l'actualité des pays de l’Europe du Sud-Est a été créé en septembre 1998 par le journaliste Jean-Arnaud Dérens qui continue d’y assumer les fonctions de rédacteur en chef.

Ces paroles se sont révélés prophétiques, hélas ! Les experts russes et même internationaux confirment le danger imminent de la crise humanitaire en Ukraine : les refugies arrivent par centaines. Et, bien entendu, les premières questions que j’ai posées à Jean-Arnaud Dérens concernaient la couverture du conflit en Ukraine par les medias européens et français.

La Voix de la Russie. L’impression que nous avons, est: qu’on en parle que très peu en Occident. A votre avis, pourquoi ?

Jean-Arnaud Dérens. Je suis très surpris, parce que cela fait la une de tous les journaux.

LVdlR. J’ai l’impression qu’on parle surtout des sanctions qui sont prises à l’encontre de Vladimir Poutine, mais que l’on parle peu de l’essence même du conflit. Elle est « passe à la trappe », qu’on a passé à d’autres appréciations…

Jean-Arnaud Dérens. Ce n’est pas mon impression. Il y a un traitement divers : cela dépend des jours et cela dépend des médias, naturellement. Mais non, je n’ai pas cette impression-là.

LVdlR. Nous sommes dans une situation encore différente aujourd’hui, à cause de l’avion qui est tombé, bien que ce soit bien sur trop tôt pour se prononcer, les versions sont très différentes. Est-ce qu’il y a la possibilité d’arrêter l’escalade de cette opposition ? Parce qu’il y a deux partis, chacun a ses propres buts. Par exemple, les opposants disent « maintenant qu’il y a les pertes dans les populations civiles, nous ne faisons plus marche arrière », leur opinion est « on ne peut pas négocier avec ceux qui nous tuent » A votre avis est-ce qu’il y a une possibilité (de sortir de cet affrontement)?

Jean-Arnaud Dérens. C’est une question à la fois très simple et universelle quel que soit le contexte. Il est toujours possible de négocier, dans n’importe quel conflit, à n’importe quel moment. Le tout est d’avoir la volonté politique de le faire. Ça veut dire que l’on peut négocier… cela dépende avec qui, sur quoi, sur quelles bases, comment ? Il y a une infinité de questions qui se posent, mais naturellement il est toujours possible à tout moment de négocier. Ceux qui disent que ce n’est pas possible sont des gens qui veulent la guerre, peut-être pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Il est toujours possible de négocier, bien évidemment.

LVdlR. Et en règle générale, les journalistes qui sont envoyés dans les lieux où il y a la guerre – alors que d’habitude il y a une sorte de protection du travail des journalistes - subissent des pertes. Mais on accuse beaucoup de pouvoir de Kiev de ne pas tenir compte de la nécessité pour les journalistes de faire leur travail. Vous savez très bien qu’il y a cinq journalistes russes qui ont péris, et il y a un journaliste italien… Qu’est-ce que vous en pensez ? Y a-t-il une particularité à cette crise en Ukraine, elle est sans règles ? Ou c’est un hasard ?

Jean-Arnaud Dérens. On est dans la pire situation qui est celle du début d’un conflit, en espérant que ça en restera qu’au début et que ça ne va pas continuer. Ça me fait penser très fortement à la situation en Croatie, au début des combats du printemps à l’été 1991. Donc dans une situation où on est dans une guerre non déclaré, dans un sorte d’état un petit peu incertain. C’est toujours ce genre de situations qui sont les plus dangereuses pour les journalistes. Bien évidemment, c’est est de la responsabilité de tous les belligérants : de respecter les conventions internationales et de respecter le travail de la presse.

Sur les cas des collègues qui ont été tués ou blessés, il faudrait… dans certains cas on ne sait pas ce qu’il s’est passé et je doute de toute façon que l’on puisse faire la totale lumière sur l’ensemble de ces cas. Mais la situation est celle d’un conflit extrêmement dangereux, parce que on est dans cette zone, cette situation un petit peu incertaine, où on ne sait pas vraiment si on est en guerre ou pas vraiment… Ce qui est toujours le pire pour les journalistes.

LVdlR. Dès qu’il y a quelque chose, les premiers qu’on accuse est la Russie, et les sanctions sont pris également contre la Russie. Tandis ce que pour l’instant, la guerre est Ukraino-Ukrainienne, entre le pouvoir en Ukraine qui décide de faire une opération contre les « terroristes », et ceux qui veulent avoir leur indépendance au sein de leur autonomie. Cela vous semble-t-il normal que la Russie soit systématiquement pointé du doigt ? Ainsi que les sanctions qui sont prisent à l’encontre de ses personnalités ?

Jean-Arnaud Dérens. Ecoutez, je n’ai pas envie de répondre à cette question.

Par contre, il y a une totale irresponsabilité du côté de l’Union-Européenne. Je ne vais pas parler des Etats-Unis parce qu’ils sont très largement aux abonnés absents. Les Etats-Unis ne veulent pas s’impliquer dans une crise qui se déroule sur le continent européen.

Par contre, l’Union-Européenne est totalement irresponsable, elle ne prend pas ses responsabilités. « Prendre ses responsabilités » se serait avant tout prendre la mesure de la crise qui se passe en Ukraine et ne pas se contenter de faire des discours généraux et creux, mais de constater qu’il y a bien un problème très grave en Ukraine, et à partir de là de définir les stratégies, politiques avant tout, pour sortir de cette crise. Aujourd’hui, malheureusement il n’y a pas cette volonté politique de l’Union Européenne. Il n’y a pas les moyens politiques - je ne sais pas si c’est une question de manque de volonté ou de moyens - mais le constat malheureusement il est là.

Du côté de la Russie, il est certain que la frontière - et je pense que tout le monde sera d’accord là-dessus - la frontière entre l’Ukraine et la Russie est ouverte. Ce qui est un autre problème. Il y a des armes partout en Ukraine. Je n’ai pas la naïveté de penser qu’il faut aller chercher des armes en Russie, puisqu’il y a déjà beaucoup d’armes qui sont présents en Ukraine. Ce qui me semble certain, c’est ce que tout le monde dit, que la frontière entre l’Ukraine et la Russie est ouverte. Donc, il y a aussi une responsabilité politique de la Russie par rapport à cela. Je dirais d’une manière plus fondamentale, que si la Russie veut la paix (ce que j’espère, ce que je souhaite) il faudrait que la Russie s’engage dans une démarche constructive avec son partenaire naturel qui est l’Union Européenne pour contribuer à discuter. Le président Poutine a rencontré son homologue Porochenko à plusieurs reprises les deux derniers mois, je crois que c’est important. Je crois que c’est par ce type d’initiative que l’on pourra arriver à une solution.

LVdlR. Je partage votre avis sur l’absence de l’Union Européenne, parce qu’au départ, le désaccord qui a mené à Maïdan, était la proposition de l’Ukraine de s’associer à l’Union Européenne. Et on a l’impression que ce point de départ est déjà oublié, que cet accord n’est plus à l’ordre du jour, bien sûr il y a des choses plus urgentes à régler.

Jean-Arnaud Dérens. Oui, malheureusement je suis très largement d’accord avec vous ! « Malheureusement », parce que je regrette cette situation qui est tout à fait tragique, tragicomique par certains aspects. Effectivement, il y a eu du côté européen beaucoup de promesses qui ont été faite à l’Ukraine, mais aujourd’hui alors que l’Ukraine se trouve dans une situation très compliquée, il n’y a pas une réponse politique de la part des européen à la hauteur des promesses qui ont été faites.

Cela s’explique par différents facteurs. J’en vois au moins trois : l’un c’est très certainement que les Européens ont totalement sous-estimé la situation politique en Ukraine, la manière dont cette situation politique en Ukraine allait être ressentie en Russie. Il y a une sous-estimation de la situation, je pense au début de l’année, en janvier-février. Depuis que la crise a pris une tournure militaire dans l’Est de l’Ukraine, peut-être, avec des gens qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ne reconnaissent pas le gouvernement de Kiev.

Crise dans laquelle la Russie n’a pas joué un rôle positif, mais a au moins contribué à mettre de l’huile sur le feu.

Les Européens n’ont pas pris la mesure de la crise, ils n’ont pas donné les moyens politiques d’y répondre. Ce qui est injuste pour les dirigeants ukrainiens qui ont fait confiance aux Européens. Et qui se retrouvent finalement dans une situation où ils sont extrêmement seuls.

LVdlR. Vous parlez de mettre de l’huile sur le feu, et vous avez parlé aussi de la transparence de la frontière entre l’Ukraine et la Russie… Mais est-ce que vous savez que les Etats-Unis, que vous considérez comme absents, ont quand même pris la décision de fournir « l’équipement non-létal » à l’armée Ukrainienne ?

Jean-Arnaud Dérens. Tout à fait ! C’est aussi mettre de l’huile sur le feu. Dire que les uns le font, ne veut pas dire que les autres ne le font pas. Quand je dis que les Etats-Unis sont absents, c’est sur le plan politique.

LVdlR. Plusieurs remarques sont, quand même, nécessaires.

Effectivement, on peut facilement dire que « Ceux qui disent que négocier n’est pas possible, sont des gens qui veulent la guerre » C’est une remarque tout à fait juste pour les observateurs. Pour nous, tous, qui restent à l’écart du feu de l’action. Mais le pouvoir ukrainien a passé outre ses promesses du cessez-le-feu a plusieurs reprises. Et, pourtant… Une des idées du Légisme affirme : « Le dirigeant sage ne laisse pas se développer le mécontentement, mais s’empare du pouvoir, met en place les lois et à travers ces lois mets de l’ordre. » On peut discuter de la possibilité d’appliquer de nos jours et dans un pays occidental les principes chinois du VIIIème siècle… Mais le mot-clé de cette doctrine - « lois » - devrait être un principe universel. Or, on voit s’appliquer des standards assez floues dans bien des domaines, y compris dans les appréciations du conflit Ukrainien…

Et, il m’est reste comme une ombre d’amertume… la réponse de Jean-Arnaud Dérens à la question « pourquoi le premier qu’on accuse est la Russie » a failli rester sans suite. Et puis, la réponse est donné, mais comme à contrecœur, prudente... dans le style « je ne mens pas, mais je ne dis pas la vérité » Et je pense que cette prudence est une illustration la plus flagrante du fait qu’on est souvent prisonniers des cliches et des habitudes.

Un grand point d’honneur quand-même, sur le compte de Jean-Arnaud Dérens est d’admettre que les Américains ne se gênent pas non plus de mettre de l’huile sur le feu… Merci pour cela, confrère !

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