Berlin-Pékin: les affaires, rien que les affaires

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Lundi dernier, la chancelière allemande Angela Merkel a fermement critiqué le recrutement d'un agent des renseignements allemands par les USA, mais peu d'observateurs ont souligné que cette conférence de presse se déroulait à Pékin.

Lundi dernier, la chancelière allemande Angela Merkel a fermement critiqué le recrutement d'un agent des renseignements allemands par les USA, mais peu d'observateurs ont souligné que cette conférence de presse se déroulait à Pékin.

Que faisait Angela Merkel en Chine? La réponse vient du président chinois Xi Jinping, qui l'a reçue: les deux chefs d'État ont "cimenté le partenariat entre les deux pays".

Une coïncidence

Le public apprécie généralement la partie symbolique des visites de chefs d'État à l'étranger. Cependant, cette passion induit le plus souvent les observateurs en erreur.

Par exemple: était-ce un hasard que la chancelière allemande se rende en Chine justement au moment où les relations entre Berlin et Washington sont soumises à l'épreuve d'une nouvelle "crise d'espionnage"? Oui.

Est-ce une coïncidence si, le dernier jour de sa visite, le secrétaire d'État américain John Kerry et le secrétaire au Trésor Jack Lew se rendront mercredi au sixième dialogue stratégique annuel sino-américain? Oui, il n'y aucun lien entre ces événements.

Même si le dialogue entre les États-Unis et la Chine n'a jamais été aussi tendu depuis son rétablissement en 1972 et que les Européens pourraient en tirer des conclusions.

La rencontre de Merkel avec Xi le jour où ce dernier prononçait un discours sur le 77e anniversaire du début de la guerre entre le Japon et la Chine? Encore un hasard. Il y a 70 ans se formait l'axe Berlin-Tokyo - aujourd'hui on parle plutôt d'une coopération Berlin-Pékin.

Et cet axe est purement économique, sans aucun lien avec le "ralentissement
américano-japonais" de la Chine ou d'autres circonstances.

Enfin, existe-t-il un lien entre la politique européenne de la Chine et la politique européenne de la Russie? En particulier, avec les tentatives russes d'influer sur les Européens raisonnables dans la crise ukrainienne, de les aider à ne pas dépendre de la politique subversive des USA en Europe? Il n'existe aucun lien de ce genre. De la même manière que les Chinois, les Européens s'efforcent de feindre qu'ils ne font que commercer en esquivant les litiges politiques qui gênent le processus. Avec un respect et un profit mutuels, comme disent les Chinois.

Pour l'instant, ils y arrivent très bien. Et cette fois la chancelière allemande est venue pour signer des accords nombreux et concrets avec la Chine.

Les sauveurs de l'Europe

Selon le premier ministre Li Keqiang, qui a passé la majeure partie de l'entretien avec la chancelière, l'accent de la coopération avec l'Allemagne sera mis sur les innovations et la protection de l'environnement. Les parties ont convenu que Pékin accorderait aux Allemands un quota de 13 milliards de dollars dans le cadre du programme d'aide aux investisseurs étrangers. Traduction: beaucoup souhaitent investir en Chine, mais certains font partie des privilégiés et on les aide à haut niveau.

Pour sa septième visite en Chine, Merkel était accompagnée des dirigeants de Siemens, Volkswagen, Lufthansa, Deutsche Bank et Airbus, qui travaillent activement avec ce pays depuis longtemps. Les échanges commerciaux (presque 162 milliards de dollars) représentent près du double de ceux entre la Russie et la Chine. Par conséquent, la Chine est le important partenaire commercial de l'Allemagne, sachant que cette dernière joue également le rôle de leader dans le commerce chinois avec l'UE. En particulier, elle protège Pékin des litiges commerciaux avec les Européens.

Difficile de contester ce rôle particulier de l'Allemagne - mais beaucoup s'efforcent de le faire. On assiste en Europe à une véritable bagarre pour attirer l'attention de la Chine, d'autant plus d'actualité après l'annonce des statistiques de cette année, qui montrent que l'économie chinoise ne ralentit pas mais accélère à nouveau.

Les Français cherchent à rattraper les Allemands dans la course pour le marché chinois, mais ce sont encore les Britanniques qui y parviennent le mieux. Le mois dernier Li Keqiang s'est rendu en Europe pour signer avec les Britanniques un contrat de 14 milliards de dollars et de 4,6 milliards avec… la Grèce. Il est donc probable que des ports commerciaux "chinois" apparaissent en Méditerranée.

Souvenez-vous de la crise financière grecque et des débats pour savoir qui sauverait ce pays. Cette fois, on sait qui.

Cette remarque vaut pour toute l'Europe. Nous avons évoqué les investissements allemands en Chine mais voici le tableau des investissements chinois à l'étranger. Plus précisément le nouveau livre à ce sujet, "China Goes West" de Joel Backaler. Les critiques ne sont pas très réjouissantes: quelle est la découverte faite par l'auteur – que les entreprises chinoises rachètent les compagnies occidentales à un prix que personne d'autre ne peut se permettre? Ou que les entreprises chinoises ont de telles capacités d'écoulement des sociétés qu'elles viennent d'acheter que les Occidentaux en meurent de jalousie?

On assiste à l'une des plus intéressantes tendances de la politique mondiale: comment la Chine et l'Europe se rapprochent économiquement en douceur tout en évitant habilement les scandales politiques internationaux. On se demande alors si les problèmes causés à Pékin par les Américains en Asie, y compris militaires, sont simplement une politique antichinoise ou s'ils témoignent d'une stratégie antieuropéenne.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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