Les mystères de la crise abkhaze

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Le président abkhaze Alexandre Ankvab a annoncé sa démission, motivant sa décision par la nécessité de maintenir la paix et la stabilité politique dans le pays. Il a ainsi réagi aux manifestations antigouvernementales à Soukhoum, ainsi qu'à la décision presque unanime du parlement républicain de soutenir sa démission.

Le président abkhaze Alexandre Ankvab a annoncé sa démission, motivant sa décision par la nécessité de maintenir la paix et la stabilité politique dans le pays. Il a ainsi réagi aux manifestations antigouvernementales à Soukhoum, ainsi qu'à la décision presque unanime du parlement républicain de soutenir sa démission.

L'élection présidentielle anticipée est prévue an Abkhazie en août - la deuxième depuis la fin du conflit avec la Géorgie en septembre 1993. Mais si la première campagne de 2011 était associée au décès du président Sergueï Bagapch, la démission d'Alexandre Ankvab est un précédent de départ du chef de la république sous la pression de l'opposition politique.

Quels mécanismes sont en jeu dans la crise abkhaze actuelle? De quels problèmes héritera le nouveau gouvernement? Et dans quelle mesure cette situation menace les intérêts russes dans le Caucase?

Peut-on comparer l'Abkhazie à l'Ukraine?

Les manifestations d'opposition dans la capitale abkhaze se sont déroulées peu de temps après le Maïdan de Kiev, le renversement du président Viktor Ianoukovitch et l'escalade rapide de la guerre civile ukrainienne. Par conséquent, on est tenté de chercher des parallèles entre la situation en Ukraine et en Abkhazie.

Cependant, la similitude apparente du Maïdan de Kiev et des manifestations de Soukhoum ne doit pas induire en erreur.

En analysant la dynamique politique dans les États de l'espace postsoviétique, on constate une situation paradoxale depuis des années: d'une part, beaucoup de livres ont déjà été écrits à ce sujet mais de l'autre, peu s'y intéressent. On ne les cite que dans le contexte de la concurrence géopolitique entre la Russie et les États-Unis ou de ce qu'on appelle le "précédent kosovar".

Et ce malgré l'existence de ces républiques depuis près de deux décennies. Chacune d'elles a créé son propre régime politique, a vécu un conflit armé, des blocus, des changements de dirigeants et plus d'un cycle électoral. Mais surtout, elles ont affirmé leur légitimité auprès de leurs "citoyens non reconnus".

Par ailleurs, dans cette sorte de compétition entre des entités et des pays dont ils font officiellement partie, ceux qui sont membres de l'Onu ne gagnent pas forcément toujours. Ainsi, en Géorgie, le premier passage du pouvoir d'un président à l'autre dans le cadre d'une élection - et non après un coup d'Etat ou une révolution - ne s'est produit qu'en 2013. Alors que cela s'est produit en Abkhazie huit ans plus tôt, en 2005.

Et ce n'est pas la concurrence de projets de politique étrangère qui est la cause initiale de la situation abkhaze actuelle, mais des processus intérieurs. Contrairement à l'Ukraine, l'Abkhazie n'a aucun choix entre l'Occident et la Russie. Pour Soukhoum, l'Occident rime avec la Géorgie dont l'Abkhazie n'a aucune intention de faire partie. Et il serait difficile d'imaginer une autre option, étant donné que les Abkhazes ont perdu 4% de leur population pendant le conflit de 1992-1993.

Ajoutez à cela les dernières tentatives de "dégeler" les conflits entrepris par Tbilissi en mai 1998, en automne 2001 et en été 2006. Résultat des courses: on assiste à une absence de forces politiques qui pourraient soutenir l'adhésion à l'État géorgien, dont la ligne stratégique vise l'intégration avec l'Otan et l'Union européenne.

Entre temps, Tbilissi et Bruxelles signeront prochainement un accord d'association entre la Géorgie et l'UE. Théoriquement, les autorités abkhazes et l'opposition pourraient étudier les options de coopération avec l'Occident mais à condition que les USA et l'UE renoncent au soutien inconditionnel de l'intégrité territoriale géorgienne.

Cette option semble impossible à l'heure actuelle. Seul un ignorant pourrait donc voir les opposants abkhazes comme une "main de l'Occident".

Pourquoi l'opposition est allée au conflit

La crise politique qui a éclaté dans la république en mai a montré à quel point la ligne qui sépare le gouvernement de l'opposition était mince. Après tout, le président Ankvab, qui quitte son poste, a été considéré pendant plus d'une décennie comme le principal opposant de la république. Puis il est arrivé au pouvoir pour occuper successivement les postes de premier ministre, de vice-président, puis de président. Son expérience et ses compétences pourraient encore être requises, dans un certain temps, par les habitants de l'Abkhazie.

Aux premiers rangs de l'opposition, on retrouve Raoul Khajimba, ancien chef du service de sécurité abkhaze, ex-premier ministre et ancien vice-président, et Vitali Gabnia, président de l'organisation des vétérans du conflit abkhazo-géorgien Aruaa.

Qu'est-ce qui a donc poussé l'opposition à sortir le grand jeu?

Commençons par dire que les manifestations de mai n'étaient pas spontanées. La colère montait en Abkhazie depuis des mois. Alexandre Ankvab, un homme politique ferme et indisposé au large dialogue avec l'opposition, y a lui-même contribué. 

Le problème de la délivrance des passeports pour les habitants de la région de Gal, dans l'est de l'Abkhazie, s'est aggravé en automne dernier. L'intégration de cette région peuplée par des Géorgiens est difficile, depuis la fin du conflit avec Tbilissi. Sans aucun sens stratégique clair. Et les autorités n'ont pas réussi à déterminer comment interagir avec les représentants de cette nation "non titulaire".

Précisons que dans le problème des passeports, ceux qui critiquaient Ankvab n'étaient pas motivés uniquement par des phobies et des craintes. Ils protestaient contre les méthodes de couloir dans le règlement de cette question, ainsi que le risque potentiel de transformation de la "question des passeports" en technique de manipulation aux élections.

Or les campagnes électorales en Abkhazie sont généralement très actives. En 2011, personne n'osait prédire le nom du vainqueur de la course électorale, et en 2012 seul un tiers du parlement avait été élu au premier tour.

Les Jeux olympiques de Sotchi et la crise politique ukrainienne ont poussé l'opposition à marquer une pause dans leurs exigences, sans pour autant les renvoyer aux calendes grecques

Les relations avec la Russie sont une priorité aussi bien pour le gouvernement sortant que pour l'opposition

Aujourd'hui, de nombreux électeurs sont préoccupés par la réaction relativement calme de Moscou au départ d'Alexandre Ankvab, considéré comme l'intermédiaire de ses intérêts en Abkhazie. Mais cela n'a rien d'étonnant.

Il faut savoir avant tout que le gouvernement russe n'est pas une sorte d'antagoniste universel aux changements intérieurs. Il s'oppose à leur utilisation au détriment des intérêts de la Russie – soit par diverses élites du pays en question, soit par les acteurs extérieurs.

Dans le cas de l'Abkhazie, aucun changement d'axe géopolitique n'est observé.
Le gouvernement et l'opposition de la république souhaitent tous les deux coopérer avec la Russie. Dans ce sens, le rejet du dialogue et le soutien d'un seul des camps est susceptible de causer des problèmes à la politique russe.

Toutefois, la crise abkhaze ne se limite pas au départ d'Ankvab. L'élection à venir est également porteuse de problèmes éventuels.

A l'heure actuelle, deux leaders de l'opposition, Vitali Gabnia et Raoul Khajimba, semblent avoir les meilleures chances de l'emporter. Bien qu'une surprise puisse se produire. Cependant, quelles que soient les surprises qui attendent la république et quel que soit le vainqueur de la présidentielle en août, le gouvernement abkhaze devra faire face à des priorités telles que le développement actif des institutions publiques (parlement, gouvernement, administration présidentielle, organismes de sécurité); l'harmonisation des relations interethniques (la communauté arménienne, les Géorgiens de la région de Gal) et la lutte contre les dispositifs ethnocratiques; le dialogue avec Tbilissi sur les aspects humanitaires et la prévention d'incidents frontaliers pour déboucher sur une normalisation politique, ainsi que l'établissement de relations stratégiques avec la Russie.

Il ne faudra pas s'attendre à un succès sérieux sans progresser sur tous ces plans complexes.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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