L’Ukraine est bien partie. Le roi du chocolat a été félicité par Barack Obama. S’étant joint aux félicitations, John Kerry a précisé que les insurgés pro-russes avaient essayé de perturber les élections et que, très certainement, il existait un lien tout à fait préoccupant entre les fauteurs de trouble et la Russie.
Fort bien ! Comme c’est à nous de jouer, parlons nous aussi de liens. Nous aimerions savoir qui donc se cache derrière les violeurs de deux jeunes filles place Maïdan, l’une étant morte par la suite ? Qui se cache derrière les snipers anonymes de ce même Maïdan ? Qui se cache derrière les flots de sang répandus hier encore à Donetsk (j’ignorais qu’une babouchka allant chercher sa retraite puisse dissimuler une redoutable terroriste) ? Qui donc se cache derrière l’exécution massive du 2 mai à Odessa et derrière les tortures d’un prêtre qui, voulant arrêter les nazillons tassés autour de la Maison des syndicats, avait été amputé des deux mains ? Il y a tout de même une étrange similitude entre les « chefs-d’œuvre » des rebelles takfiristes gavés de propagande et de pétrodollars en Syrie et les agissements des émissaires de Kiev.
Pour arrêter de s’étonner, peut-être faudrait-il faire un peu confiance à Paet et à Ashton, à Nuland et à Pyatt qui nous ont déjà plus d’une fois révélé – certes à leur insu ne se sachant pas écoutés – quels sont les liens auxquels il conviendrait de faire attention. Mais M. Kerry a son propre système de pensée qui de loin dépasse les limites fixées par Martin Dempsey, chef d’état-major des armées US. Washington, a-t-il confié à une journaliste de Ria Novosti, n ’« a pas intérêt à se lancer dans une nouvelle Guerre froide contre la Russie » dans la mesure où « il collabore avec Moscou dans un grand nombre de domaines allant du futur de l’Arctique à l’espace, en passant par la lutte contre le « narcotrafic et la piraterie ». Par conséquent, le déploiement de l’OTAN en Pologne et dans les Pays Baltes serait une grave erreur stratégique. Cette prise de conscience assez peu partagée par une grande partie des manitous de la Maison-Blanche est d’autant plus gênante qu’elle se double d’un réveil citoyen en Allemagne où un grand nombre d’opposants au nazisme ont dénoncé haut et fort les discours de l’ancien chef du renseignement, M. Steinmeier, celui-là même qui après avoir soutenu la mouvance terroriste de l’UCK au Kosovo a soutenu Svoboda et le Praviy Sector.
L’Europe se réveille progressivement. Manifs en Allemagne, manifs en Italie, scepticisme en France … néanmoins, jour après jour, des gens meurent pour les mêmes raisons qu’il y a 70 ans mourraient les soldats de l’Armée Rouge ou les Résistants français. No Pasaran, avait-on dit en 1936? Le nazisme nous revient des décennies plus tard de la Galicie nourri à satiété et instrumentalisé par ceux qui arment les égorgeurs soi-disant musulmans.
Alexandre Sivov, journaliste de gauche bien connu en Russie, installé à Odessa, nous a relaté la réalité du terrain. Son témoignage est d’autant plus précieux que toutes les chaînes de transmission alternatives sont bloquées par les démocrates de Kiev.
La Voix de la Russie. « Comment est-ce que selon vous l’élection de M. Porochenko influera sur la guerre civile qui mine en ce moment les régions de l’est de l’Ukraine ? Doit-on s’attendre à ce que le nouveau Président laisse les régions de Donetsk et de Lougansk mener leur processus de fédéralisation jusqu’au bout ? Si oui, quelle sera la politique adoptée à l’égard des mouvements radicaux tels que le Praviy Sector ?
Alexandre Sivov. Premièrement, M. Porochenko est un « petit mec » dont le taux de popularité ne dépassait pas les 4% l’année dernière. Or, tout à coup, il est élu au premier tour des présidentielles. Qu’a-t-il donc fait durant l’année en cours ? Rien. Quelles seraient ses grandes œuvres à l’égard de l’Ukraine ? Il n’y en a guère. Il s’agit de quelqu’un dont l’importance a été hypertrophiée d’une manière artificielle par les médias ukrainiens, rien de plus. Que pouvait-il faire sur le plan pratique pour l’Ukraine en sa qualité d’oligarque ? Il est bien calé dans sa chocolaterie et manifestement bien trempé dans l’art de la corruption. En dehors de ces aptitudes, quelle est sa vision de l’avenir politique et énergétique de l’Ukraine? Il n’en a pas. Que peut-il entreprendre sur le plan militaire ? Il n’est pas militaire, il ne peut rien faire. Que peut-il entreprendre vis-à-vis du Praviy Sector ? Rien, parce que c’est précisément le Praviy Sector qui est au pouvoir en Ukraine. Si M. Porochenko déplaît au Praviy Sector, il le fera virer tout comme il l’a fait avec Ianoukovitch. Je répète, le pouvoir des rues, c’est le Praviy Sector.
La VdlR. Ce mouvement, loin d’être marginal, est donc très important ?
Alexandre Sivov. C’est un mouvement armé. Et comme le disait à l’époque le Président Mao à la Chine, «Le pouvoir est au bout du fusil ». Par ailleurs, vous avez employé le terme « fédéralisation ». Ce terme est actuellement très à la mode dans la presse russe. Je dois cependant vous rappeler que le terme de fédéralisation était employé en Ukraine au mois de février. Il est caduc à l’heure qu’il est. On ne parle plus de fédéralisation mais d’indépendance la plus totale.
La VdlR. Vous êtes donc plutôt pessimiste quant à l’indépendance totale des régions de l’Est puisque c’est le Praviy Sector qui a monopolisé le pouvoir ?
Alexandre Sivov. Il y a trois jours, Lougansk et Donetsk se sont associé à un Etat fédéral appelé « Novorossia », un Etat très bien organisé sur le plan militaire et sachant mener la guerre conformément aux lois qui lui sont propres. Ce que nous observons en ce moment, ce sont les misères que font les insurgés à l’armée ukrainienne et plus particulièrement à la garde nationale dont on dit que c’est « un troupeau promis à l’abattage ». Ils ne savent pas faire la guerre et deviennent automatiquement de la chair à canon.
La VdlR. Il y a donc beaucoup de victimes des deux côtés ?
Alexandre Sivov. Pour 1 victime du côté des insurgés, il y en a en moyenne 10 du côté de l’armée. Cela s’explique par le fait qu’il y ait pas mal de militaires de profession dans le camp des insurgés.
La VdlR. Vous critiquez la politique de non-ingérence de Poutine dans ces régions. Mais n’avez-vous pas l’impression qu’une éventuelle introduction des troupes russes sur le territoire pourrait combler les attentes de Washington qui ne sait quel prétexte trouver pour envoyer l’OTAN « à la rescousse » ?
Alexandre Sivov. Je pense qu’une solution qui serait purement militaire n’est pas la seule solution envisageable du côté de la Russie. Si vous écoutez bien les médias russes, vous sentez quand même qu’il y a, suite aux élections, une tentative de légitimisation de la junte kiévienne. La Russie a reconnu que Porochenko était « le vrai » Président et qu’il s’agissait d’une personnalité capable de changer les choses pour le mieux en laissant les régions concernées se fédéraliser. J’insiste sur le fait que ce dernier terme si cher à la presse russe reflète certes une certaine réalité qui est celle d’une Russie voulant voir une Ukraine partiellement fédérale, modérément dépendante, mais l’indépendance totale de l’Est de l’Ukraine n’est pas ce qui est voulu par Moscou. En plus, il ne faut pas oublier que l’Ukraine de l’Est est gouvernée par des personnes issues de l’extrême-gauche hostiles à Poutine et qui réclament l’indépendance de leurs régions. La Russie risquerait donc d’être contaminée par certains groupuscules de l’extrême-gauche, cela d’autant plus qu’il y un certain nombre d’organisations en Russie, assez marginales mais très actives, considérant que le leader du PC russe, Gennady Zuganov, est un traître, dont les membres partent en Ukraine de l’Est pour y mener la guerre. C’est là qu’ils auront et de l’argent, et des armes, et de l’influence. Cette situation devient de plus en plus dangereuse pour la Russie ou, tout au moins, pour M. Poutine.
La VdlR. Vous habitez Odessa. Comment est-ce que l’opinion publique a évolué depuis la tragédie du 2 mai ? Est-ce qu’il y a eu un abstentionnisme marqué le jour des élections ou des manifestations quelconques ?
Alexandre Sivov. Symptomatiquement, le taux de participation réel était à 50 %, ce qui est considérable surtout si l’on sait qu’à Odessa les élections municipales eurent lieu le même jour. Le contexte fut très controversé étant donné qu’il s’est agi d’une lutte entre les clans influents de la ville et que, par conséquent, les municipales sont toujours perçues comme un évènement de première importance. C’est ce qui explique peut-être que le nombre d’électeurs n’ait pas dépassé la moitié de la population. Mais il y a un autre aspect à relever. Il est faux de parler, dans le cas d’Odessa, d’un clivage Russes/Ukrainiens ou même d’un clivage plus largement politique. Il serait plus exact d’évoquer un clivage informationnel dont la particularité tient aux sources médiatiques exploitées par telle ou telle partie de la population. Les couches les plus aisées et les plus actives regardent les programmes TV par satellite, c’est-à-dire entre autres les chaînes russes dont la transmission est interdite en Ukraine, à savoir par câble. Ceux qui n’ont pas la possibilité d’installer une télévision par satellite se contentent de regarder la télé ukrainienne qui véhicule une version des faits ouvertement fasciste. Quand j’emploie le mot « fasciste », j’entends en fait hitlérien.
Les escadrons de la mort sillonnent Odessa, des gens désarmés sont traqués par le Service de sécurité ukrainien. Si maintenant j’ai la possibilité de vous accorder cette interview par téléphone, je ne suis pas sûr de pouvoir vous parler aussi librement dans un mois. Je tiens aussi à préciser que ceux qui regardent les chaînes ukrainiennes peuvent ne pas savoir ce qui se passe réellement à Odessa. J’ai eu l’occasion de rencontrer dans un café trois jeunes étudiantes du Conservatoire d’Odessa. Il s’agissait de trois filles très intelligentes qui ne s’étaient jamais rendues à la Maison des syndicats pour voir de leurs propres yeux ce qui s’y était véritablement passé. Elles connaissent la version des faits par le biais des informations véhiculées par la TV ukrainienne et qui, on le sait, n’a rien à voir avec la réalité. Vous voyez donc que le clivage relevé découle de la façon dont l’information est transmise par les médias et non pas d’une division réelle de la population sur des questions politiques ».