Nous sommes loin d’imaginer que les évènements en Ukraine peuvent changer la carte de l’Europe…. Quoi que… Ce dernier temps les voix qui demandent de rétablir les frontières dans l’Espace Schengen se font entendre de plus en plus fort. Certains vont même jusqu’à se mettre en faute vis-à-vis la loi et faire la démonstration de la dangereuse perméabilité des frontières. Tel est le cas du « Debout la République », le parti de Nicolas Dupont-Aignan, dont quelques membres ont franchi la frontière franco-italienne avec une kalachnikov dans le coffre de leur voiture. « Assez du laissez faire ! Vite des frontières, » - disent-ils.
Et, si les autorités européennes étaient censées, ils auraient pris au sérieux l’augmentation de l’activité souvent franchement néo-nazie sur le territoire ukrainien… Donc, ils auront pensé de fermer les frontières. Ou, au moins, n’ont pas songe de chercher un « accord » avec le pays qui n’arrive pas à éradiquer ce fléau. Et ça, c’est déjà, si n’est pas la « scission », mais encore un remaniement de la carte européenne.
Mais, est-ce de ces changements et de cette « scission » que parlait le Ministre des affaires étrangères allemand ? Nous avons posé la question au Directeur de recherche CNRS du Centre de recherches sur l’action politique en Europe, Romain Pasquer.
Romain Pasquier. Il voulait sans doute sous-entendre que la crise ukrainienne peut révéler des tensions au sein de l’Union, parce que la crise ukrainienne révèle les capacités de l’Union Européenne de réguler une crise majeure dans son voisinage immédiat. On a vu que les acteurs en présence jouent sur des divisions internes à l’UE. C’est l’Allemagne, en particulier, qui entretient les relations privilégiés avec la Russie, et qui n’est pas toujours sur la même longueur d’ondes que les autres partenaires, comme la France ou la Pologne. Je pense que du point de vue de l’Allemagne il y a la volonté de dramatiser un peu la crise ukrainienne pour forcer à la négociation avec la Russie.
La Voix de la Russie. En fait, la frontière de cette scission va passer dans l’aspect idéologique ?
Romain Pasquier. Je ne vois pas la crise ukrainienne modifier les frontières d’Europe. A moins qu’on réfléchisse sur le fait si l’Ukraine ou une partie de l’Ukraine devrait faire partie de l’Europe… Sauf que cela n’a jamais fait partie du débat. Puisqu’il était question plutôt du partenariat avec l’UE.
La vraie frontière en Europe passe aujourd’hui là, où tel ou tel pays fait partie de l’OTAN, ou pas. Et ça risque de se durcir dans les mois et les années qui viennent. Les pays – membres de l’OTAN et de l’UE ont une sorte de sécurité garanti par l’alliance. Ceux qui n’en font pas parti, comme l’Ukraine et quelques autres, sont soumis à des tensions plus fortes vis-à-vis de leurs grands voisins russes.
LVdlR. Peut-on dire que l’histoire Europe-européenne n’existe plus ? Et qu’il y a à chaque fois la participation du « grand frère » ou « partenaire », on choisit le nom qu’on veut, des Etats-Unis ?
Romain Pasquier. Non. Je crois que traditionnellement l’Europe a un lien fort avec les Etats-Unis. Sur beaucoup de questions internationales ils marchent de confrères, même s’il y a des tensions. C’est toujours un jeu à plusieurs voies, une stratégie à plusieurs niveaux et avec plusieurs acteurs. La résolution de la crise ukrainienne est interne à l’Ukraine, c’est une question européo-ukrainienne, dans un dialogue avec la Russie. Ça touche évidemment également l’alliance avec les Etats-Unis, puisque les Etats-Unis sont le pivot stratégique et militaire avec l’OTAN.
LVdlR. Sur le fond de permanents conflits politiques et souvent géopolitiques, la question reste entière : l’Humanité, trouvera-t-elle une voie plus noble et plus sereine dans son développement ? Ou nous sommes condamnés à suivre cette route, tel un cheval minier semi-aveugle, condamné de tirer toute sa vie une charrette chargée du charbon? Trouvera-t-on la force humaine ou élan humaniste pour arrêter des conflits, pour créer un mouvement conjoint ?
Romain Pasquier. Ne soyons pas trop utopiques. Depuis le début de l’Humanité dans toute relation internationale, dans toute relation entre les groupes humains, entre les pays, il y a des idéaux affichés et des arrière-pensées stratégiques et politiques. D’une certaine manière, des enjeux énergétiques ou économiques sont les enjeux nobles. Parce que cela suppose garantir un certain niveau de vie à des populations, cela permet aux pays de se développer. Il faut trouver des équilibres. Qu’on y gagne, et qu’on n’y perd pas. Que les accords passés à travers les conflits soient gagnant-gagnant, qu’il n’y a pas d’humiliation dans ce type de crise. Il faut que des règlements internationaux permettent une régulation des conflits.
Les conflits, malheureusement, qu’on le veuille ou non, font partie de l’histoire des relations internationales. Ce qu’il faut, c’est trouver les moyens, les procédures, les dispositifs de régulation de ces tensions et que les accords respectés par toutes les parties permettent d’éviter des humiliations et des sorties par le haut de ce type de crises.
LVdlR. Pensez-vous que dans la France actuelle on peut trouver une figure emblématique telle qu’était Anne de Bretagne qui a toujours défendu son territoire, son Duché, ou Jeanne d’Arc ? Y a-t-il dans la politique française aujourd’hui une figure, homme ou femme, qui puisse s’y égaler dans cette aspiration de défendre son peuple ? On compare souvent Marine Le Pen à Jeanne d’Arc, mais est-ce que c’est vraiment le cas…
Romain Pasquier. Vous parlez d’un homme ou d’une femme providentiels… Je crois que dans les démocraties matures on n’a pas besoin d’homme providentiel. On n’a pas besoin de femme providentielle. On ne sera pas sauvé par un homme ou une femme. On arrivera à mettre le pays en ordre et en ordre de marche, organiser le pays pour qu’il retrouve une croissance économique, un modèle partagé par tous à partir du moment où les décisions de réforme sont prises, où tout le monde décide d’aller vers la reforme.
Je pense que le décideur quel qu’il soit doit avoir la reforme d’un modèle économique et social au cœur de sa politique. Un pays en marche, un pays qui avance toujours n’est pas forcément avec un homme ou une femme providentielle. C’est un pays qui a la croissance économique, qui n’a pas de chômage... Si vous avez un homme providentiel, mais à côté votre économie s’effondre, je ne suis pas sûr que le pays ait beaucoup d’avenir.
Je crois beaucoup plus à la dynamique collective d’un pays qu’à un homme ou une femme providentielle.
LVdlR. Madame Christine Boutin récemment a dit que les bretons vont surprendre les Français. Est-ce que ça serait de rétablir le Parlement de Bretagne ?
Romain Pasquier. J’espère que la Bretagne va montrer la voie pour reformer la France. Il y a, sans doute, en Bretagne les pistes qui sont à explorer pour essayer de reformer notre organisation d’administration publique, organisation territoriale pour faire de la France et de la Bretagne un pays plus efficace, plus moderne, plus démocratique. J’espère que le gouvernement entendra cette voix bretonne.
LVdlR. Cela ne veut pas dire que les Bretons vont passer par-dessus la tête de la France ?
Romain Pasquier. Pas du tout ! Les Bretons sont très français.
LVdlR. Effectivement, la notion de « l'homme providentiel », venue des origines de l’histoire française est disparue de son paysage politique actuellement. Tous ceux qui incarnaient cette figure, Clemenceau, de Gaulle... ont laissé dans l'histoire, le souvenir inégal. Mais, si on les a décoré de ce titre d’ « homme providentiel », c’est parce qu’ils ont su répondre à l'attente du pays et incarner l'image du chef capable de rassembler les Français, reformer l'Etat et représenter l'avenir.
Difficile d’imaginer les dirigeants français actuels en « sauveurs ». Est-ce que maintenant il faut s’attendre aux collectifs d’ « homes providentiels » ? Bretons, Alsaciens, Bonnets Rouges ?
Cela ne changera pas les frontières, mais cela peut changer la donne pour le pays.