Alors que les socialistes, inquiets de la percée UMP/FN appellent les Français à « ne pas se tromper de colère », l’Histoire semble se jouer sur deux échiquiers à la fois : celui des oligarchies supranationales contre les partis et mouvements souverainistes versés dans la réinformation, celui des partis pro-américains contre des peuples occidentaux que l’on veut dupes mais qui pour l’heure se réfugient dans l’abstention. Et le Traité de libre-échange transatlantique dans tout cela ?
Deux aspects intéressants encadrent l’éventuelle ratification du Traité :
- A moins de mener une enquête plus ou moins poussée, on ne comprend pas grand-chose à son sens réel ou pratique. Il semble au mieux que sa visée soit infiniment éloignée des intérêts terre-à-terre de nos sociétés et qu’il est par conséquent inutile d’aller chercher plus loin.
- Les promoteurs du Traité n’envisagent pas de consulter les populations concernées car il faudrait alors leur expliquer les tenants et aboutissants de cette initiative. Si une telle explication était donnée en termes simples, un « non » résolu aurait été sans conteste à prévoir. En principe, pourquoi pas ? On a bien fait passer le traité de Lisbonne pour vite fait bien fait compenser l’échec de Rome II malgré le « non » de certains pays dont la France. Sauf que cette fois-ci, trop, c’est trop. A quoi bon défier une fois supplémentaire des peuples déjà excessivement sceptiques ?
Alors non seulement on occulte avec le plus grand soin l’essence même du Traité, mais en plus on nous raconte que son adoption profitera aux familles françaises qui y gagneront annuellement près de 545 euros. Ce chiffre plutôt sympathique aurait été confirmé par une étude indépendante réalisée dans un centre de recherches situé à Londres. Si l’on est un peu plus curieux que de coutume en s’intéressant à la composante du conseil d’administration chargé desdites « études », on s’apercevra que son président s’appelle M. Guillermo de la Dehesa. Or, ce dernier n’est autre que le vice-président de la Goldman Sachs, celle-là même qui suggéra une diminution d’un tiers des salaires en France en vue de restaurer la compétitivité du pays … ajoutant aussitôt que cela était « politiquement impossible ». Ce conseil aussi « généreux » ne devrait d’ailleurs pas nous surprendre si l’on sait en plus que le fondateur de ce centre de recherche providentiel s’appelle Richard Portes et qu’il est l’un des plus proches conseillers du président de la Commission européenne, M. Barroso. Devrait-on encore se poser des questions ? Je ne crois pas.
Il semble donc normal que l’harmonisation des normes industrielles, agricoles, médicales et j’en passe dont on nous parle – quand on en parle, chose rarissime et sans doute louable ! – n’aura d’autre point de repère que les normes étasuniennes. S’il faut un exemple révélateur, le voici : membre de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), le Québec a néanmoins osé suspendre l’exploitation du gaz de schiste. Résultat : les grandes compagnies américaines ont poursuivi en justice le gouvernement québécois. Pour ce faire, ils ont eu recours à un tribunal arbitral spécialement mis en place pour ce type de procédure. Quel beau cadeau pour une Europe que l’on veut démocratique ! Quel beau cadeau aux Français – et pas seulement à eux, mais comme chacun pense à sa peau … – qui vont devoir consommer des tonnes d’OGM parce que les Américains ont l’habitude de manger du porc génétiquement modifié ! Quel beau cadeau aux industries européennes qui ne pourront jamais concurrencer cette hyperpuissance économique que sont les USA. Mais que nous fait tout cela s’il s’agit d’aider les USA à étouffer la Chine ! Manifestement, une fois de plus, nous sommes prêts à nous sacrifier. Au nom de l’impérialisme financier. Au nom des racines étasuniennes de l’UE dont on parle peu mais qui, héritées de Schumann, pèsent lourdement sur une Europe que l’on veut dépouillée de ses nations.
Eric Dor, docteur en sciences économiques et professeur associé d’économétrie à l’IESEG School of Management a bien voulu exposer pour La Voix de la Russie sa vision du Traité transatlantique. En voici des extraits.
La Voix de la Russie. Est-ce que vous pourriez nous expliquer en tant qu’économiste à quelles fins pratiques veut-on faire passer le Traité transatlantique ? Est-ce que l’UE pourra vraiment en tirer profit ?
Eric Dor. « La Commission européenne et les dirigeants européens favorables au Traité veulent persuader les citoyens européens que le Traité sera très profitable à plusieurs points de vue et essentiellement en matière d’emploi. Par exemple, en juin 2013, le Premier ministre britannique, Cameron, promettait que le Traité de libre-échange transatlantique créerait 2 millions d’emplois. Le Commissaire de Gucht en octobre 2013 parlait lui aussi d’un million d’emplois pour l’UE. En réalité, d’’autres chercheurs éminents, y compris au Collège européen de Bruges, critiquent la méthodologie qui a été utilisée. De par le passé, on a observé que ce genre de calculs ont toujours été trop optimistes. C’était le cas pour le NAFTA (l’accord nord-européen du commerce), c’était vrai pour l’Europe 92, c’est-à-dire le grand Marché européen. Il faut donc rester extrêmement prudent à l’égard de ces chiffres. La Commission européenne se targue aussi d’une étude du Centre for Economics and Policy Research selon laquelle une famille moyenne européenne bénéficierait d’un surplus de pouvoir d’achat de 500 euros par famille et par an dû au fait qu’une série de prix en Europe s’alignerait sur les prix meilleur marché aux USA. Mais à nouveau, c’est un calcul qui ne fait pas mention des effets indirects, par exemple si un travailleur perd son emploi parce que l’entreprise a été délocalisée Outre-Atlantique, il ne bénéficie plus de la baisse des prix induite. La conclusion générale est donc la suivante : il faut rester prudent. Par ailleurs, on sait qu’il y a certains secteurs qui pourraient beaucoup souffrir du Traité. En moyenne, les droits de douane sont déjà très faibles entre les USA et l’Europe. Mais sur certains secteurs ils restent élevés. C’est le cas par exemple de l’agriculture. On sait que si l’on supprime les droits de douane sur l’agriculture européenne, certains secteurs vont fortement souffrir. En France, on peut parler des éleveurs ou encore des betteraviers. Cela risque aussi de créer une concentration supplémentaire dans l’agriculture et donc la disparition d’un grand nombre de petites structures au profit de grandes structures susceptibles de rester compétitives et cela mettrait sans doute fin aux espoirs de créer une filière courte entre producteurs et consommateurs ».
LVdlR. Mais reste-t-il alors un sens à la démocratie si après l’adoption de ce Traité nous ne pourrons plus voter des lois ou des normes qui relèveraient de nos préférences nationales ? Ne vous semble-t-il pas étrange de privilégier l’exception culturelle partielle en faisant fi en parallèle de la préférence agricole ou industrielle ?
Eric Dor. « En effet, le débat se cristallise sur ces questions parce qu’il est explicitement signalé dans le mandat des négociations que l’UE a donné à la Commission les barrières non-tarifaires, c’est-à-dire que toutes les barrières au commerce international qui ne sont pas des droits de douane et qui sont souvent des normes réglementaires imposées par les pays sont appelés à être grandement amoindris dans le Traité. C’est donc présenté comme la suppression de toute une série de barrières non-tarifaires qui actuellement font obstacle au commerce international. Je pense que tout le monde a en tête des exemples, mettons, le fromage au lait cru, une spécialité française, est banni aux USA. A l’inverse, les Européens ne veulent pas entendre parler du poulet nettoyé au chlore qu’on importerait des USA. Ces questions de barrières non-tarifaires sont extrêmement sensibles parce qu’elles touchent souvent aux préférences nationales. A plus forte raison, quand ça a un rapport avec l’éducation et toute une série de services mais également avec certaines préférences alimentaires. En Europe on est par exemple très attachés aux appellations contrôlées, aux certifications de production locale qui identifient très précisément des produits en liaison avec une localisation géographique. Les Américains préfèrent que l’on se contente d’une liste d’appellations non-contraignantes. Effectivement, au-delà des aspects économiques, on touche à la souveraineté nationale et aux préférences des peuples. Certains politiciens ou citoyens estiment que cette notion est dépassée – Barroso en fait partie – (…) d’autres la soutiennent se montrant automatiquement critiquesdu Traité ». T