Harmoniser les actions des 28 pays membres de l’union sur n’importe quelle question semble vain aujourd’hui, faute d’un gouvernement européen commun efficace et crédible. Du coup, ces derniers temps l’Europe unie, traversant non seulement une grave crise économique mais politique (de plus en plus de partis eurosceptiques entrent dans l’arène politique européenne) et identitaire, est majoritairement critiquée par ses citoyens. Dans ce contexte, des questions sur l’avenir de l’Europe resurgissent de nouveau… Et si on créait une Europe fédérale ? - s’interroge Daniel Cohn-Bendit en s’exprimant devant le Parlement européen. « L’Union européenne doit renoncer à la prétention de tout réglementer et de tout régenter… », tout en renforçant l’intégration de la zone euro, proteste N. Sarkozy lors de sa dernière rencontre avec Angela Merkel. Ce n’est que deux opinions parmi tant d’autres mais le fait est là – l’UE est actuellement à un carrefour. Où aller et accompagnée de qui ? – c’est la principale question à laquelle l’Europe doit trouver la réponse. Plus vite elle se détermine, plus vite elle sortira de l’impasse. Et l’expérience montre que plus on est dépendant des Etats-Unis, moins on va dans la bonne direction. La crise économique a éclaté « par la faute » des Américains. La crise ukrainienne est provoquée par ces mêmes Américains. Ce n’est que deux exemples… Mais l’UE, pourrait-elle abandonner les USA avec toute leur politique délétère ? C’est là toute la question. Par contre, l’Europe tournée vers la Russie est un scénario bien plus prometteur. L’UE et la Russie ont beaucoup en commun, à commencer par une proximité territoriale et à terminer par les valeurs européennes que les deux partagent. Une politique indépendante de l’UE vis-à-vis de la Russie ne pourrait qu’améliorer le climat économique ainsi que politique de l’union. En revanche, les sanctions contre la Russie ne feront que replonger certaines zones de l’Europe unie dans une profonde crise. Le Chypre, par exemple, tire déjà la sonnette d'alarme : les sanctions contre la Russie pourraient anéantir l’économie de l’Etat insulaire qui est déjà très faible.
Dimitri de Kochko, politologue et journaliste français, nous parle du problème d’euro et de l’intégration européenne vus de France et fait part de sa vision sur les relations russo-européennes comme garant d’un avenir radieux de l’Union européenne.
Dimitri de Kochko: L’euro est une des raisons pour lesquelles la France n’arrive pas à être concurrentielle sur le marché mondial, la France est désindustrialisée. La surcote de l’euro est un vrai souci pour les économies méditerranéennes, et la France est à moitié une économie méditerranéenne, puisque l’euro est une monnaie qui est adaptée à l’économie exportatrice de l’Allemagne et qui est sous l’influence de l’obsession anti-inflationniste de l’Allemagne. En plus, l’euro existe en tant que monnaie unique. N’oubliez pas qu’avant il existait le système monétaire européen qui était en fait une référence commune. C’est une proposition qui existe, qui est faite par J.-P. Chevènement et N. Dupont-Aignan. C’est repris dans une certaine mesure par Marine Le Pen qui n’hésite pas à copier Chevènement et Dupont-Aignan, les deux les plus conséquents sur les questions européennes, en disant qu’il faudrait remplacer la monnaie unique par une monnaie commune. Cela permettrait pour les pays, pour lesquels l’euro est surévalué, de se servir de leurs monnaies nationales avec une référence vers un euro commun, ce qui permettrait de jouer pour les banques centrales de ces pays-là avec une émission monétaire et avec une possibilité d’inflation. Cela pourrait rendre un peu plus compétitives soit une nouvelle industrie, soit une activité touristique comme c’est, par exemple, le cas pour la Grèce, pour l’Espagne ou pour le Portugal. C’est évident que cela pourrait être une façon de se sortir de la situation créée aujourd’hui par l’euro.
On s’attend à des élections européennes qui, malgré un découpage en circonscription totalement aberrant en France, va quand même donner, vraisemblablement, une majorité au Front national et va donner dans beaucoup de pays de l’UE une majorité populiste anti-UE, anti-appareil qui est un appareil cher, avec des tas de technocrates, de fonctionnaires et de planqués qui ont quand même des postes en or et qui tiennent beaucoup à leur privilège, tout en n’hésitant pas à imposer des politiques d’austérité aux masses et à imposer un recul social considérable dans les pays de l’UE, qui ont quand même des acquis auxquels les citoyens tiennent beaucoup. Au nom de son croissant déficit, des principes allemands de non-inflation notamment, on est obligé de reculer, de faire éclater nos systèmes de santé, de protection sociale, de retraites… De ce point de vue-là, l’Union européenne en tant que telle est insupportable.
Je ne pense pas qu’il y ait tant de divergences politiques que ça entre la Russie et l’Union européenne. Le tout le problème est que l’UE est en train d’agir en fonction d’intérêts qui ne sont pas les siens. A dire, qu’elle est totalement dans un cours d’une vision du monde des USA qui ont toujours leur vision d’être le gendarme du monde et de décider de tout sans que personne ne puisse se permettre de s’opposer à quoi que ce soit. Il y a plusieurs raisons à cela. Premièrement, ils sont très fiers d’eux en considérant qu’ils sont les meilleurs. Deuxièmement, ils ont le dollar qu’il faut absolument maintenir comme monnaie mondiale parce que cela leur permet de faire marcher la planche à billets quand ils ont un petit problème. Donc il faut que la confiance dans le dollar continue à se maintenir et qu’on soit dans le système « je te tiens- tu me tiens par la barbichette » avec les Chinois, avec les Saoudiens et avec les Russes, d’ailleurs, de façon à ce que les gens continuent à garder le dollar comme monnaie de réserve alors que ça ne vaut plus rien. Il faut donc garder la confiance au dollar et, de ce point de vue-là, il ne faut absolument pas permettre à qui que ce soit d’avoir les moyens de dire non. Or, la Russie, non pas par sa politique, même pas par son PIB mais par sa taille et par le fait qu’elle a quelques bombes atomiques et des vecteurs pour aller les placer éventuellement là où il faut, eh bien, peut se permettre de dire non de temps en temps. Par exemple, quand elle abrite Snowden ou bien quand elle dit non à l’Irak ou quand elle se permet de discuter les règles de l’OMC qu’on veut lui imposer. Et puis aujourd’hui, quand elle se permet de défendre les Russes et se défendre elle-même, quand les USA décident de remettre l’Otan, vieux projet, et de démanteler la Russie, ça c’est leur obsession, l’idée qui a été bien expliquée par Zbigniew Brzeziński, de façon à ce que ça devienne des confettis qui ne pourront plus dire quoi que ce soit. Mais ce n’est pas dans les intérêts européens et c’est là le problème. L’Europe suit cette politique-là contre ses propres intérêts. Pourquoi l’UE a-t-elle refusé les offres de la Russie pour parler de la zone de libre échange ? Pourquoi refuse-t-elle la fédéralisation ? Maintenant il faut aussi prendre l’Europe dans toute sa dimension. C’est une Europe qui comprend l’Est et la Russie. On est dans un ensemble culturel et de valeurs, qu’on veuille ou non, communs. On ne peut pas imaginer la culture européenne dans le monde sans Dostoïevski, sans Gogol, sans Rimski-Korsakov… C’est inimaginable. Et c’est reconnu comme ça dans le monde.