Y a-t-il une vie sans le gaz russe ?

Y a-t-il une vie sans le gaz russe ?
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La Voix de la Russie. L’Allemagne a fait le premier pas dans ce que les pays européens ont appelé « le soutien de l’économie de l’Ukraine ». Angela Merkel a déjà annoncé que son pays ne dépendait pas de l’exportation du gaz russe, puisqu’il ne représente que 33 % du lot total. L’Agence France Presse a annoncé que le fournisseur allemand d’électricité RWE a annoncé le début de la redistribution au profit de l’Ukraine du gaz naturel déjà livré en Allemagne. Ainsi, l’Allemagne s’affirme en tant que puissance qui peut non seulement se passer des ressources russes, mais continuer à jouer le rôle de leader dans les relations avec l’Ukraine.

Nous avons demandé à Arnaud Leclercq, Docteur en sciences politiques français et auteur du livre « La Russie, puissance d’Eurasie »,de commenter la situation.

Arnaud Leclercq. « Je crois qu’il faut être optimiste dans ce contexte. D’abord, parce que tout le monde y a intérêt : les russes, les européens, et, bien entendu les ukrainiens. Concernant la situation économique… Vu que la Russie a proposé son aide, même plus : elle a déjà accordé un prêt de 3 milliards de dollars il y a quelques mois. Le FMI, les Etats-Unis et l’Europe sont prêts à « aligner » entre 15 et 18 milliards de dollars. Ça se fera (si cela se fait) en échange de contraintes budgétaires très strictes, d’une restructuration de l’économie ukrainienne. Cette question avait été déjà évoquée en 2013 et avant, parce que les conditions ont été posées par l’Union Européenne pour signer cet accord, celui qui finalement n’a pas été pas signé par Ianoukovitch. Il ne l’a pas fait peut-être pour préserver ses intérêts personnels ou ceux de son clan. Ou, probablement, parce que la barre était trop haut placée pour le pays, pour son administration, pour sa population.

De l’autre côté, on est dans une situation paradoxale. Vous avez l’engagement occidental de soutenir financièrement l’Ukraine accompagné d’exigences raisonnables. Raisonnables et nécessaires, parce qu’il ne s’agit pas de faire un chèque en blanc à n’importe quel pays… pas plus à l’Ukraine qu’au Venezuela… ou à n’importe quel pays. « Nous voulons bien vous prêter de l’argent, mais il faut vous réformer »

Paradoxalement, l’Ukraine est dans une situation que je trouve un peu étonnante. Parce que, de l’autre côté, quand la Russie lui a proposé son aide, le nouveau gouvernement non élu a refusé cette aide, en arguant de son indépendance et du désir de ne plus dépendre de la Russie. On ne peut pas leur en vouloir, c’est un choix. Qu’on le partage ou pas, c’est leur choix politique.

De l’autre côté, quand la Russie demande aux Ukrainiens de payer le prix « normal » du gaz, les Ukrainiens disent « non, on veut continuer à payer avec la remise » Il faut assurer ses responsabilités quand on est libre et indépendant, il faut régler la facture comme elle se présente. Là, on plaisante un peu, mais c’est un sujet dramatique, parce que l’Ukraine n’a pas de moyens. Elle n’a pas les moyens de payer cette facture avec le discount accordé par la Russie, encore moins au prix normal.

Si la situation ne se résout pas très prochainement – je pense à l’Est de l’Ukraine, avec une solution fédérale ou une autre, qu’elle que soit la solution trouvée – le peuple ukrainien sera plongé dans des difficultés extrêmement graves, quand l’hiver sera venu l’année prochaine. D’ici-là il peut se passer beaucoup de choses. On s’inquiète surtout des risques d’embrasement de la région, de la « balkanisation » de la région de l’Est ukrainien ou de toute l’Ukraine.

Aux termes économiques, le pays est dans une impasse. Il faudrait une solution conjointe entre la Russie et l’Union Européenne, pour que ces deux grands voisins s’entendent pour trouver une solution pour que l’Ukraine soit indépendante et neutre, qui rassure tout le monde, mais qui garantisse mêmes droits à la population des deux rives du Dniepr. »

LVdlR. Il y a dans cet aspect purement ukrainien une part d’incertitude sur le sort de l’approvisionnement en gaz de l’Union Européenne. Même l’observateur du journal Le Monde admet que l’Europe « n'a pas les moyens de décréter un embargo sur les exportations énergétiques russes, puisqu'elle importe 225 millions de tonnes de pétrole par an de Russie et une bonne partie de son gaz. »

Dans ce cas-là, comment va faire l’Europe ?

Arnaud Leclercq. « Si les Européens ne veulent plus se fournir auprès de la Russie, où vont-ils se fournir ? Evidemment, il y a Norvège, un pays clean et enthousiaste. Mais il a d’autres fournisseurs, tels qu’Algérie, le Qatar, et d’autres. Mais qui, d’après toutes les informations officielles, ne sont pas particulièrement les modèles de démocratie, ou des modèles dans le domaine de la corruption.

On sent qu’il y a la géopolitique à géométrie variable : ce qui vient de la Russie – « attention, c’est mal, parce que – corruption… » En revanche, on se réapprovisionnerait dans d’autres pays qui ont une réputation bien pire. C’est étonnant.

Si on regarde à plus long terme, sachant qu’à court terme il est difficile de voir clair, j’ai trouvé intéressant que le Président Obama dès le 26 mars ait annoncé à Bruxelles que les Etats-Unis possèdent de très grosses réserves et étaient prêt à livrer leur gaz à l’UE et à l’Ukraine. Jusqu’à maintenant, les Etats-Unis n’étaient pas un exportateur de gaz. Tout cela est en train de changer. Les Etats-Unis ont pris la décision il y a peu de temps de devenir un acteur majeur dans ce domaine. C’est ça qui est un véritable enjeu géopolitique pour la Russie et pour Gazprom.

Il y a une révolution énergétique aux Etats-Unis avec le fameux gaz de schiste. L’étude de l’Union Européenne qui est sortie en février 2014 montre que cette révolution énergétique américaine, d’une part, n’a pas eu de conséquences sur la facture du consommateur, qui a continué d’augmenter. C’est un point intéressant qui est une contre-idée de l’idée qu’on se fait. D’autre part, l’industrie américaine n’a que peu profité de ces prix du gaz de schiste extrêmement faibles. On n’en a profité que dans un secteur bien identifié de l’industrie comme la pétrochimie et autres, ceux qui sont des grands consommateurs.

La coïncidence est assez intéressante : les Etats-Unis qui produisent maintenant des quantités considérables de gaz, qui ont jusqu’à maintenant refusé de délivrer toutes les licences d’exportation, viennent d’en accorder six. En plus, au même moment de la crise ukrainienne, Obama propose généreusement à Bruxelles de livrer du gaz américain à l’Ukraine et a l’UE. C’est peut-être en remplacement progressif du gaz russe consommé et vendu en Union Européenne par un autre fournisseur, peut-être les Etats-Unis eux-mêmes. »

Commentaire de l’auteur. Cette idée d’Arnaud Leclercq, frôlant quelque peu la théorie conspirologique, est, de toute façon le reflet des grands mouvements géopolitiques actuels. Lors de sa ligne directe, Vladimir Poutine a annoncé que dans le domaine de la livraison du gaz et du pétrole, seule l’Arabie Saoudite peut porter ombrage à la Russie, mais ce n’est pas dans son intérêt. De la même manière, la diplomatie du gaz n'a guère de chance de peser dans l'immédiat sur la crise ukrainienne. T

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