Selon l'écrivain serbe Slobodan Despot, « cette stratégie du chaos » a été testée par l'OTAN en Yougoslavie et est destinée, en premier lieu, à détruire un État multinational. Selon lui, c’est cette même partialité qui a incendié la Yougoslavie et l'a émiettée « en une poussière de baronnies ethno-ridicules rappelant l'Allemagne du temps des frères Grimm ». Dans une interview accordée à La Voix de la Russie l’écrivain serbe analyse la situation en Ukraine, en relevant des parallèles frappants avec les événements qui ont provoqué l'éclatement de la Yougoslavie dans les années 90, ainsi qu’avec la Révolution des bulldozersen Serbie en automne 2000, quand Slobodan Milosevic a été renversé.
La Voix de la Russie. Tandis que l'OTAN projette des centaines de soldats à l'ouest de l'Ukraine, on parle de plus en plus souvent de la menace de répétition en Ukraine du scénario yougoslave. Partagez-vous ce point de vue ?
Slobodan Despot. « Oui, tout à fait. Evidemment c’est un scénario qui n’est pas nouveau et qui n’a rien d’original. C’est un peu le scénario de toutes les opérations d’intervention coloniale qui consiste en gros à graver ou à créer un problème dans une région pour ensuite venir au secours de ceux que l’on a désignés au préalable comme étant les bons ou les gentils par opposition aux méchants. Et c’est de la même manière que les Etats-Unis ont pris position dans ce qui était autrefois la Yougoslavie et ont pu créer leur plus grande base hors des frontières des Etats-Unis au cœur du Kosovo. Après avoir participé au démantèlement de la Fédération yougoslave, après avoir soutenu en Croatie et en Bosnie les éléments les plus extrêmes et agressifs, évidemment en connaissance de cause puisque ils savaient que si en Croatie ils donnaient leur appui aux successeurs du régime nazi de 1941 d’Ante Pavelić, les Serbes allaient se défendre. De la même manière, les Américains ont soutenu sans aucune réserve l’accession au pouvoir à Sarajevo de la fraction islamiste qui n’était pas du tout populaire et naturelle pour les musulmans de Yougoslavie. Avec le soutien massif des Etats-Unis et de l’Arabie Saoudite, le candidat islamiste Alija Izetbegović a pu accéder au pouvoir. Et puis je vous rappellerai encore un événement qui a été largement oublié depuis. C’est que, en 1992, l’Union Européenne a tenté d’empêcher la guerre civile et le partage violent de la Bosnie lors d’une conférence qui s’est tenue à Lisbonne sous le patronage de l’UE et de l’ambassadeur portugais de l’époque
(qui s’appelait Cutilheiro). Les trois parties en Bosnie avaient réussi à signer un accord de divorce à l’amiable, donc pacifique. Immédiatement après la fin des négociations, alors que l’encre des signatures n’était pas encore sèche, l’ambassadeur des Etats-Unis à Belgrade Warren Zimmermann a téléphoné à Alija Izetbegović, le président fondamentaliste de Sarajevo, pour lui dire qu’il aurait pu ne pas signer un tel papier parce qu’on lui offrait en cadeau toute la Bosnie. Techniquement c’est le retrait de la signature d’Izetbegović qui a déclenché la guerre en Bosnie. Donc le scénario qu’on observe en Ukraine n’est pas nouveau du tout. Le fait qu’en Ukraine les Etats-Unis s’appuient sur les éléments qui sont compromis, soit sur les oligarques, c’est-à dire les gens qui ont pillé ce pays, montre que ces alliés qu’ils se choisissent dans cette région sont à la fois redoutables pour créer la stabilité et inutilisables pour redresser le pays. Ce sont vraiment des pions. »
LVdlR. Croyez-vous que la politique de l’OTAN en Ukraine soit une sorte de revanche pour la Syrie ?
Slobodan Despot. « С’est possible mais c’est une des interprétations. Ce qui est évident d’un point de vue général c’est l’existence d’un besoin et d’un plan de l’OTAN et des Etats-Unis pour progresser de plus en plus loin vers l’Est, vers les frontières de la Russie, afin de confiner la Russie et la menacer dans ses frontières. L’OTAN s’était engagée à ne plus avancer vers l’Est après le démantèlement du bloc soviétique. Evidement, ils l’ont fait en intégrant les pays de l’ancien pacte de Varsovie à l’OTAN malgré leur engagement à ne pas le faire. Même l’adhésion de ces pays à l’UE témoigne de la hâte et de la précipitation des Américains à occuper le plus vite possible les territoires situés aux frontières de la Russie, la mettre devant le fait accompli et contrôler les voies de circulation des hydrocarbures alors que la Russie n’était pas capable de réagir à cette avancée. La diplomatie russe était si ferme en Syrie, parce que cette opération de renversement du régime existant en Syrie faisait partie de la même entreprise de conquête de territoires. »
Donc, selon Slobodan Despot, l’organisation des tensions en Ukraine obéissent aujourd’hui au « scénario yougoslave ». Cependant, la Russie adopte une position fondamentalement différente par rapport aux années 90, quand notre pays a été incapable d'empêcher la désintégration de la Yougoslavie. Le poids et la cohérence de cette politique pourront sauver l'Ukraine du chaos de la guerre civile et de la menace du néo-colonialisme de la part des Etats-Unis et de l'OTAN. T