La Voix de la Russie. Ce processus d’intégration eurasiatique de l’Ukraine a provoqué la rupture des liens économiques avec la Russie. Selon vous, qu’est-ce que l’Ukraine perdra dans cette situation et qu’est-ce qu’elle gagnera?
Bruno Drweski. « Je pense que l’Ukraine n’a pas vraiment intérêt à rompre ses liens avec ses voisins orientaux, non seulement avec la Russie, mais plus largement avec toute L’Eurasie. Je pense que se couper de ses voisins orientaux est pour l’Ukraine tout à fait suicidaire. En revanche les pays occidentaux, les EU et les Etats-Unis, qui sont aujourd’hui touchés par une crise grave, une crise structurelle, ont évidemment l’intérêt à ce que l’Ukraine soit liée économiquement avec l’UE dans la mesure où elle reste un pays à un fort potentiel industriel et agricole. Ainsi l’Ukraine est une arène de jeu entre les économies émergentes et les économies traditionnelles. »
LVdlR. Et quelle est la place du peuple ukrainien dans ce conflit d’intérêts ?
Bruno Drweski. « Quoi qu'on en dise, je pense qu’au cours des trois derniers mois le peuple ukrainien n’a pas vraiment eu le droit à la parole, ce qui paraît évident dans le fait que personne n’a osé accepter la proposition de référendum destiné à permettre au peuple ukrainien de se prononcer sur l’accord d’association avec l’Union européenne. Vous voyez bien que le peuple a été mis à l’écart, et 50 000 manifestants dans une ville de 3,5 millions d’habitants ne représentent pas le peuple ukrainien. Un coup de force a été réalisé en Ukraine, et tôt ou tard j’imagine que ce peuple va reprendre la parole parce que ses intérêts économiques et sociaux vont ressurgir lorsque les conditions économiques internationales pousseront l’Ukraine à prendre des décisions qui ne seront pas forcément favorables à la population. »
LVdlR. Vous avez dit dans une interview que le soutien américain au coup de force en Ukraine est une pression sur la Russie pour la forcer à se retirer de Syrie.
Bruno Drweski. « Dès le début de la crise ukrainienne, la Russie a montré qu’elle n’avait pas l’intention d’abandonner sa ligne politique mondiale sous prétexte que dans l’étranger proche il y avait un incendie. Je pense qu’à partir de ce moment-là la stratégie visant à forcer la Russie à se retirer a échoué. D’ailleurs les événements qui se déroulent en Syrie depuis peu montrent que l’armée syrienne reprend le dessus. L’opération ukrainienne, influencée par Washington, est un échec de plus montrant que le monde n’est plus unipolaire. Si jamais il l’a été dans les années 90, il ne l’est certainement plus. La Russie s’est affirmée comme une grande puissance qui a des alliés importants, les pays du BRIC, et bien d’autres. Nous sommes désormais dans la logique d’un équilibre qui va devoir être négocié d’une façon ou d’une autre. Un monde multipolaire pour l’humanité est quand même une modèle plus positif que celui d’un monde unipolaire.
Préconisant en 1997 l’encerclement de la Russie, le politologue américain éminent Zbigniew Brzezinski a écrit : «Le nouvel Etat important qu’est l’Ukraine, est un centre géopolitique. Son existence même permet à la Russie de changer. Sans l’Ukraine, la Russie n’est plus qu’une grande puissance asiatique. Si la Russie rétablit son contrôle sur l’Ukraine (…) elle redeviendra une grande puissance s’étendant sur l’Europe et l’Asie.» Ce n'est pas un secret que son ouvrage géopolitique " Le Grand Echiquier " a longtemps servi aux analystes politiques et militaires des États-Unis de boussole pour tracer les voies stratégiques de la géopolitique mondiale. Y compris les relations avec la Russie. Entre autres les tentatives géopolitiques des États-Unis pour prendre leur revanche en Ukraine pour l’échec syrien, ne pourront que conduire à l’augmentation du nombre des victimes du conflit. Il semble que dans cette partie la Russie prend le dessus et dispose d’une marge de temps suffisante pour préparer son prochain coup. » T