En Russie c’est la fête de Maslenitsa (« fête du beurre ») qui marque la fin de l’hiver et qui est célébrée une semaine avant le début du Grand Carême. Pendant toute une semaine les Russes font et mangent des crêpes, qui incarnent le soleil, et organisent des festivités dont le point culminant est la mise sur le feu du mannequin d’une paysanne russe qui incarne l’hiver. La tradition canadienne est tout à fait différente mais aussi très originale et joyeuse.
C’est les Québécois qui ont perpétué la tradition des Indiens de recueillir le jus d’érable pour en faire le fameux sirop. Cabane à sucre - c’est comme ça qu’on appelle au Québec la fête du printemps pendant laquelle on produit le sirop d’érable et régale les invités des plats à la base du sirop et surtout de la tire. Avez-vous jamais goûté de la neige au sirop d’érable ? Eh bien, c’est ça la tire, dessert préféré des enfants au Canada ! Sans la tire il n’y a pas de fête et pas de printemps.
En Russie la communauté québécoise vient de célébrer cette fête combien passionnante. Le directeur du bureau du Québec à Moscou Nicolas Fresne, l’un des organisateurs de la Cabane à sucre à Moscou, nous plonge dans le processus de la préparation du sirop d’érable et de la célébration de la fête au Canada.
Nicolas Fresne : La fin de l’hiver au Canada n’est pas aussi symbolique que la Maslenistsa en Russie. Mais c’est un phénomène naturel qui décide de la Cabane à sucre. C’est le moment où l’on produit le sirop d’érable. Et le moment où l’on produit le sirop d’érable c’est pendant trois semaines dans l’année où les températures la nuit sont inférieures à zéro et supérieures à zéro le jour. Là ça déclenche un phénomène naturel qui fait en sorte que l’arbre produit de l’eau. On la fait bouillir dans des cabanes dans les bois. Traditionnellement c’était ça. Et il faut 40 litres d’eau d’érable pour faire un litre de sirop d’érable. Et là, toutes les familles se retrouvent pour faire ensemble le sirop, pour célébrer et partager. C’est la fin de l’hiver, les gens ne se sont pas vus pendant l’hiver. Donc ils se retrouvent. On chante, on mange, on boit. C’est une très grande fête, pas une fête religieuse mais plutôt païenne qui fédère beaucoup les Québécois, qui continue à les fédérer. Les gens continuent à se rencontrer à cette époque de l’année pour manger la nourriture traditionnelle du temps des sucres, comme on l’appelle. Cela peut être la famille, cela peut être les collègues de travail ou les amis qui trouvent ainsi l’occasion de se retrouver et de commencer après l’hiver leur véritable nouvelle année.
LVdlR : La fête donc a-t-elle lieu en mars ?
N.F. : Cela dépend du moment où le phénomène se produit. Traditionnellement c’est à partir de la mi-mars, mi-mars – mi-avril, c’est à peu près la période.
LVdlR: La tire, qu’est-ce que c’est ? Pourriez-vous expliquer?
N.F. : Dans les repas de sirop d’érable la tire d’érable est sans doute le plat ou le moment, parce que c’est aussi cérémonial de préparer la tire d’érable, le plus attendu et le plus couru par les jeunes et les enfants parce que c’est sucré. En fin de compte c’est assez simple. Il s’agit de faire bouillir le sirop d’érable. Il faut que le sirop atteigne à peu près 117 degrés. Une fois qu’il est suffisamment concentré, on le répand sur un lit de neige. Le sirop fige et on peut le manipuler à l’aide d’un bâton. On roule le sirop en boule sur le bout de ce bâton et on mange. C’est vraiment très bon. Il y a un goût de froid de neige, de sirop d’érable... Et c’est vraiment très apprécié. Vous avez vu, aujourd’hui il y a eu une longue queue pour apprécier la tire. Et c’est marrant de voir qu’ici aussi, cela a le même effet que chez nous.
On a eu énormément de chance parce que cette année on n’a pas beaucoup de neige à Moscou mais il y a 15 jours il a neigé. J’ai demandé à ma femme de mettre de la neige au congélateur. On a donc mis la neige au congélateur et on l’a ressorti aujourd’hui pour l’événement. Quand on fait cela sur de la glace, ce n’est pas pareil.
C’est les enfants qui demandent de faire la tire, c’est une très grande tradition familiale. Il ne peut pas y avoir de Cabane à sucre, s’il n’y a pas de tire. Ce n’est pas possible.
LVdlR : En Russie, au début du printemps, parfois on recueille le jus de bouleau, pas pour faire du sirop mais pour boire parce qu’il est riche en vitamines. Les Canadiens, le font-ils ? Et pourquoi préférez-vous l’érable ?
N.F. : On a moins de bouleaux chez nous. Mais on peut faire la même chose avec le jus de bouleau, on peut faire du sirop de bouleau. Mais le problème est ce que le sucre dans l’eau de bouleau est moins concentré. Pour un litre de sirop d’érable, il faut 40 litres d’eau d’érable. Et pour faire un litre de sirop de bouleau, il faut 90 litres d’eau de bouleau. Et il faut brûler ça et ça devient très cher. Ce n’est pas rentable de faire du sirop de bouleau. Par contre, pour le sirop d’érable c’est rentable. A l’époque c’était l’unique source de sucre. Ce sont les autochtones, les Indiens, qui habitaient avant les Français, qui le faisaient. Et les Français ont récupéré cette tradition indienne.
LVdlR : C’est à partir du sirop d’érable que vous faites beaucoup de plats au Canada ?
N.F. : Ah oui. On essaye de le mettre un peu partout. On a même fait de la vodka au sirop d’érable. On peut faire du jambon et des saucisses au sirop d’érable. Les cuisiniers canadiens essayent d’élargir le champ d’utilisation du sirop d’érable dans la cuisine. Mais il est essentiellement utilisé dans la pâtisserie. Les gâteaux, les glaces, les crèmes glacées – c’est là que le sirop d’érable est plus communément utilisé.
LVdlR : Est-ce que c’est la première fois que vous organisez cette fête en Russie ?
N.F. : L’année dernière nous avons organisé une Cabane à sucre mais c’était plus intime, c’était dédié aux familles québécoises. On s’est dit, cette année ce serait intéressant de l’ouvrir et surtout de montrer comment les Québécois et les Russes partageaient des choses. Evidemment, ce n’est pas les mêmes traditions mais c’est le même esprit. La Maslenitsaet la Cabane à sucre... On est proche malgré la langue, on est même parfois plus proche que les Français et les Russes. Nous les Canadiens, on est un peu plus d’hiver comme les Russes. On a à peu près les mêmes traditions, on sait ce que c’est. Et cela nous rapproche beaucoup. Bien sûr, c’est l’occasion de promouvoir nos produits et le sirop d’érable ici. Mais c’est aussi l’occasion de nous rapprocher du peuple russe et de montrer que nous avons beaucoup en commun, les Québécois et les Russes.