Entre scepticisme et vague Bleu Marine. Analyse de Damien Rieu

Entre scepticisme et vague Bleu Marine. Analyse de Damien Rieu
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Le slogan lancé par Yvan Benedetti et Alexandre Gabri, deux exclus du FN qui ont quand même tenté de faire campagne à Vénissieux en appelant les Français à « glisser une quenelle dans les urnes », ce qui sans être très spirituel, a néanmoins auguré l’abstentionnisme massif qui a marqué le second tour des municipales. La France, est-elle donc si fatiguée que cela ? Le rejet des urnes serait-il l’expression silencieuse de cette franche quenelle qui est celle d’une société exaspérée par l’alternance UMP-PS et déboussolée dans le choix de ses affinités ?

D’une manière très générale et cette fois sans surprise, la France se re-droitise. D’ailleurs, si l’on comptabilise les scores FN et UMP, on s’aperçoit que notre pays a toujours été de droite. Le problème réside moins dans les vecteurs idéologiques d’une gauche socialiste sensiblement décrédibilisée depuis 2013 que dans les relations fort complexes de l’UMP avec le FN, notamment suite au mandat assez peu glorieux de Sarkozy.

La vision selon laquelle l’UMP et le PS ont plus de points communs que de divergences, loin d’être marginale, se confirme au contraire par la longévité d’un front républicain tellement agressif ces dernières années que le bipartisme français semblait indéracinable. Bien plus, empiriquement parlant, il n’y avait jusqu’ici aucun antagonisme réel entre le PS et la droite dite modérée, à tel point qu’on les aurait cru complémentaires. En effet, le budget de la Défense avait déjà considérablement diminué entre 2007 et 2012, la politique internationale de l’ancien président était un copier-coller de la stratégie néoconservatrice américaine, la question migratoire autant que les sujets sociétaux étaient traités sous un angle plus que superficiel. L’accord conclu entre la France et les monarchies pétro-wahhabites remonte aux années Sarkozy et non pas à celles de Hollande, ce dernier n’ayant fait que continuer dans le sillon de son prédécesseur. Enfin, il n’aura pas échappé à l’électorat catholique que la dévalorisation progressive du patrimoine religieux est un processus démarré entre 2007 et 2012 même s’il est vrai que le laïcisme sélectif socialiste a renforcé cette tendance suicidaire faisant plus de dégâts en moins de deux ans qu’il n’en a été fait lors du quinquennat précédent. Conclusion : il y a en effet une continuité assez embarrassante dans l’alternance droite-gauche de ces dernières années si l’on fait abstraction des dernières réformes sociétales ou juridiques, celles de Taubira ou Peillon. Bien entendu, ces

« similitudes » inquiétantes ont motivé, un, l’abstentionnisme d’un nombre important de Français, deux, le vote Bleu Marine. Faut-il encore se pencher sur la courbe ascendante du chômage ou sur celle du pouvoir d’achat plus ou moins rassurante uniquement si l’on ne tient pas compte des mutations démographiques du pays entre 2007 et 2014 ?

Rien d’étonnant à ce que le FN commence à attirer pas mal de Français. Curieusement, sa diabolisation durant quatre décennies lui rend enfin service car elle fait de lui un parti réellement oppositionnaire. Lorsque le FN mettait en relief le volet identitaire de son programme, on le taxait de parti xénophobe. Lorsque MLP mit l’accent sur le volet social en nuançant ses propos sur l’euro et la sortie de l’UE, on lui reprocha de pomper les thèses du PS au point de diluer l’image de marque du FN. En somme, quelle que soit la tactique adoptée, « ceux de l’extrême-droite » sont peu fréquentables. Cette approche aussi réductrice que malhonnête révèle une fois de plus le non-alignement du FN sur le système, ce que Jean-Marie le Pen appelait à l’époque l’« établissement ». La réaction du Grand -Orient de France qui a envoyé un communiqué aux autres loges de France en vue de faire barrage au FN, sans être une réalité particulièrement discutée dans les médias, n’en demeure pas moins une preuve a contrario de la dimension concurrentielle de ce parti dont la stratégie du moment consiste à conquérir ces petites communes qui ne sont pas moins françaises que Paris ou Nantes, toujours acquises au PS.

Je soumets à présent à votre attention l’intervention de Damien Rieu, porte-parole de l’organisation politique « Génération Identitaire ».

La Voix de la Russie. « La vague Bleu Marine s’amplifie atteignant un score tout à fait honorable d’environ 30,6 % des voix. Comment expliquer les succès d’un parti systématiquement diabolisé pendant des décennies ? Est-ce que, selon vous, le FN aurait changé ?

Damien Rieu. « Je fais le même constat que vous : il s’agit d’une réussite parce qu’il n’y avait que trois villes acquises au FN en 1995 et voilà qu’on en est à 16 depuis ce matin. Il est donc clair qu’on assiste à un jamais-vu historique. La réussite vient quant à elle d’un changement de stratégie, c’est-à-dire la prise de conscience du fait que l’implantation locale était nécessaire ainsi que de l’importance des élections locales. Le FN, ayant évolué sur cette question, récolte aujourd’hui les fruits de ce positionnement tout à fait judicieux. Mais il faut aussi tenir compte en parallèle de certaines réalités qui frappent aujourd’hui la France, entre autres, la déception des Français vis-à-vis du PS et le taux d’abstention qui en a découlé. Bien entendu, l’UMP s’arroge maintenant les lauriers de sa victoire tout en passant sous silence l’abstention d’un électorat jusqu’ici massivement socialiste et les succès du FN. »

LVdlR. Que manque-t-il à votre avis au FN pour conquérir les grandes villes ?

Damien Rieu. « La bonne nouvelle, c’est que Marseille n’est pas perdue. En tout cas, il est question d’un arrondissement de cette ville puisqu’il faut noter au passage que Marseille est très catégorisée. Après, je pense que les grandes villes ne sont pas vraiment accessibles au F N, notamment à court terme. Il s’agit de territoires composés de populations hostiles, que ce soit le territoire des bobos ou plutôt des immigrés. Tous ces territoires sont concentrés dans les grandes villes ce qui fait que je vois mal le FN y réussir. Mais par contre ce n’est pas l’essentiel, la France ne se limitant pas aux grandes villes et le reste du territoire étant gagnable. »

LVdlR. Croyez-vous que la montée en puissance du tandem FN-RBM ait à terme une incidence sur le paysage politique français et que notamment un dialogue un peu plus productif avec l’UMP soit à prévoir ?

Damien Rieu. « Il est évident pour moi que la balle est plutôt dans le camp de l’UMP qui fait semblant de croire que son succès tient à son programme. On sait qu’il n’en est rien. Ceci dit, c’est effectivement de son côté qu’il va y avoir des tensions donnant lieu à des décisions à prendre dans les années qui viennent. Je vous avoue sinon qu’il est assez difficile de prévoir ce qui va se passer. Pour le moment, on a vu des alliances entre la droite et le FN dans certaines villes, des alliances qui n’ont certes pas très bien marché mais qui sont cependant un début. Sinon, concernant le déroulement des municipales, je tiens aussi à revenir sur les nombreux incidents qui montrent que la culture démocratique n’est pas partagée par tout le monde en France. Je pense au cas de Fréjus, à Béziers où le commissariat a été attaqué, à Beaucaire … Il y a donc pas mal de tension, les élus FN étant les premiers visés ». T

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