Comment l’Ukraine va vivre sans la Crimée ?

S'abonner
Comment un pays qui vient de perdre une grande partie de son territoire va-t-il continuer de vivre ? Je suis persuadé que peu de gens en Ukraine voudraient aujourd'hui entendre les conseils de Moscou à ce sujet.

Je m'abstiendrai donc de donner des recommandations ou de mettre en garde qui que ce soit. Je veux seulement partager mes espoirs et mes craintes.

Après tout, indépendamment de l'adoption du régime des visas frappant la Russie, l'Ukraine sera toujours considérée comme le pays voisin favori et le plus proche pour des millions de Russes.

Rapidement après la défaite de l'Empire russe dans la guerre de Crimée, le nouveau ministre des Affaires étrangères Alexandre Gortchakov avait écrit en août 1856 à toutes les ambassades de Russie à l'étranger : « On dit que la Russie est en colère. La Russie ne l’est pas. Elle se recueille. »

L'Ukraine d’aujourd’hui devrait probablement s'armer de la même philosophie politique. Evidemment, le plus simple dans la situation actuelle serait d’exploiter l'image d'un « ennemi extérieur ». Et ceux qui estiment représenter le nouveau gouvernement ne se gênent pas pour le faire.

Voici, par exemple, quelques titres que l’on peut lire sur le site internet de l'agence de presse ukrainienne : « La Russie peut attaquer l'Ukraine à tout moment (ministère de la Défense) », « Iatseniouk déclare que prochainement, la Russie tentera de conquérir la région d'Odessa »,

« Timochenko : les renseignements russes organisent des provocations en Ukraine pour inciter les régions à agir ».

Les nouveaux dirigeants de Kiev ont choisi la voie la plus simple. Mais elle est rarement la plus juste et correcte. Il me semble que l'élite politique ukrainienne confond la cause et la conséquence. Ce que Kiev considère comme le résultat d'un « complot étranger malsain » est en réalité le fruit des efforts des politiques ukrainiens eux-mêmes.

Laissons cours à notre imagination : que se serait-il produit si le président impopulaire mais élu légitimement n'avait pas été renversé par la force ? Que se serait-il produit si les opposants de Viktor Ianoukovitch avaient respecté la loi ? Je pense que le pays ne serait pas aujourd'hui dans une situation aussi pénible et surtout, la Crimée ferait encore partie de l'Ukraine.

Le problème de l'élite politique ukrainienne est qu'elle lutte contre le bon sens pour en tirer un profit politique immédiat. Au lieu de soigner la pathologie, les politiques de Kiev cherchent seulement à remédier à ses symptômes, ce qui ne fait qu’aggraver la maladie.

Les nouveaux capitaines du navire ukrainien répètent les erreurs de l’ancien président géorgien Mikhaïl Saakachvili au début et au milieu de sa présidence. Kiev mise aujourd'hui sur le slogan « L'Occident nous aidera ». Mais à quoi ressemble cette aide d'un Etat à un autre ? Est-elle purement désintéressée ?

« Toutes les nations sont guidées uniquement par leurs propres intérêts et n'ont aucun engagement envers d'autres pays si ces engagements ne coïncident pas avec leurs propres intérêts », écrivait en son temps la première ministre indienne Indira Gandhi.

Saakachvili était persuadé que l'Occident allait tirer les marrons du feu à sa place. Mais en réalité, les problèmes que l'ex-président géorgien comptait régler grâce aux USA et à l'UE n'ont pas disparu et sont même devenus plus profonds et insolubles.

Arseni Iatseniouk et Alexandre Tourtchinov ne sont pas, bien sûr, des copies politiques de l'ancien président géorgien. Mikhaïl Saakachvili

« frappait d'estoc et de taille. » Sans avoir conscience de ses actes, il se réjouissait du processus de destruction des liens traditionnels qui unissaient la Russie et la Géorgie.

Mais Iatseniouk et Tourtchinov, en dépit de l'extravagance de leur discours, semblent comprendre l'enjeu actuel. Ils manœuvrent, tentent de retenir les éléments radicaux au sein des nouvelles structures gouvernementales ukrainiennes actuelles et d’empêcher des démarches complètement insensées contre la Russie.

Mais est-ce que cela suffit ? Aujourd’hui le pays a besoin de se consolider, de rétablir la verticale du pouvoir qui vient d’être détruite. Le pays a besoin d'un apaisement entre les régions. Le pays a besoin d'une nouvelle ligne pragmatique et équilibrée aussi bien en politique intérieure qu’étrangère.

Maintenant, une question rhétorique : un Etat peut-il en principe mener une politique pragmatique si des radicaux conservent une influence démesurée ?

Le Secteur droit et l'association ukrainienne Svoboda ont plongé l'Ukraine dans son état actuel -déplorable - en un temps record.

Le Secteur droit et Svoboda doivent être évincés le plus vite possible de la passerelle de commandement du navire gouvernemental de Kiev.

Mais qu'avons-nous vu en réalité ? Les radicaux, certes, n'ont pas pris la barre. Mais ils sont à une proximité dangereuse. Le secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de la défense est l'un des fondateurs de Svoboda. Le ministre de la Défense par intérim en est également membre.

Les radicaux ont la capacité de s'infiltrer dans les structures de force officielles, de les contaminer avec leur idéologie. Sachant qu'un vide dangereux demeure à l'épicentre du gouvernement ukrainien. Iatseniouk et Tourtchinov ont certainement conscience de la temporalité, de la fragilité et de la vulnérabilité de leur position – vulnérabilité avant tout de la part des radicaux.

Si les extrémistes n’ont pas hésité à renverser un président élu par la population, qui est à leurs yeux le président par intérim nommé à ce poste par le parlement ? Personne, ou pratiquement personne. Ne serait-ce pas la raison de la prudence extrême des leaders ukrainiens provisoires ? Ne craignent-ils pas de connaître le même sort que Ianoukovitch ?

Dans ce cas, ils ont raison. La prudence n'est pas de trop. Mais voici ce que je crains : le navire gouvernemental ukrainien se trouve actuellement dans des eaux dangereuses. Un leader intrépide, expérimenté et fort doit reprendre la barre pour ne pas percuter le récif une nouvelle fois.

Au lieu de cela, le gouvernail est tenu par une paire de fonctionnaires prudents et un peu plus loin : un groupe de marins autodidactes qui n'ont peur de rien. T

RIA Novosti

 

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала