Celles-ci sont au nombre de 1 200 plus 6 000 entreprises ayant des relations commerciales avec les partenaires russes. La situation n’est pas facile. Les milieux économiques sont préoccupés et s’interrogent. Le début de la réponse a été donné lors d’un briefing organisé à Moscou par l’Observation franco-russe auprès de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe. Notre commentateur Igor Yazon est convaincu que ce briefing intéressera nos auditeurs à qui les médias occidentaux présentent la vision des événements en Ukraine et du rôle de la Russie dans ceux-ci qui est différente. Le briefing a été ouvert par Arnaud Dubien, directeur de l’Observation franco-russe.
« Je ne suis pas personnage officiel et je ne l’ai jamais été, a dit Fedor Lioukianov en se présentant. C’est pourquoi tout ce qui je dis ne reflète pas, bien évidemment, la position des pouvoirs publics. Il s’agit plutôt de mes tentatives à titre personnel, en tant que personne qui suit depuis longtemps la politique étrangère russe, des tentatives de comprendre la logique qui préside les décisions prises depuis un mois. »
« Il me semble que tout ce qui passe autour de l’Ukraine, a poursuivi Fedor Lioukianov, est probablement la plus grande crise internationale depuis des années 1970. Depuis la chute de l’Union soviétique il n’y a pas eu de changements aussi importants dans un pays européen aussi grand que l’Ukraine mais aussi dans les relations entre la Russie et le monde extérieur. La chute de l’URSS en 1991 se poursuit. C’est-à-dire qu’elle n’a pas mis un point final contrairement à ce que beaucoup de gens ont pensé. Je voudrais rappeler les paroles du président Poutine qui a dit que la chute de l’Union soviétique était la plus grande catastrophe géopolitique du XX siècle. L’ampleur des changements provoqués par cette chute est telle que les événements en Ukraine et dans les autres ex-républiques soviétiques y sont liés même aujourd’hui. Ces événements montrent qu’on n’est toujours pas à la configuration finale de l’espace post-soviétique. »
« Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ? A mon avis l’Ukraine a servi de détonateur, ou au moins de catalyseur, des processus qui ont pendant longtemps resté invisibles. Et ce qui se passe avec ce pays, je le qualifierais de vrai drame historique d’un Etat qui a absolument tout pour réussir son développement. Parce que si l’on regarde l’héritage reçu par les ex-républiques soviétiques, c’est l’Ukraine qui a eu la meilleure part, même plus que celle qu’a eue la Russie. L’Ukraine avait tout ce qu’il fallait pour réussir et c’est un drame qu’on y voit aujourd’hui. On ne sait pas comment mais en plus de vingt ans les élites ukrainiennes, la classe dominante ukrainien n’ont pas pu jeter des fondements du développement du pays. Ils ont en revanche réussi à utiliser et à s’approprier de tout le potentiel qu’ils ont hérité et lorsqu’il n’y a eu plus rien, on a eu ce qu’on y observe aujourd’hui. Pour le malheur du peuple ukrainien tout ce qui s’y est passé et s’y passe aujourd’hui est le fruit de l’action des pouvoirs ukrainiens qui ont fait plonger le pays dans un déficit politique et économique.
Le krach de l’Ukraine, a précisé Fedor Lioukianov, lèse les intérêts de tous les pays voisins. Et la Russie en est la plus grande perdante. Avec cela l’Ukraine a une superficie tellement importante que ni l’Europe de l’Est, ni celle de l’Ouest ne peuvent l’ignorer. On est en fait abouti à la situation où l’Occident a profité de la crise ukrainienne pour attaquer la Russie de front. Mais la seule chose qu’il a obtenue, c’est qu’il a porté un grand coup aux relations russo-européennes qui étaient au beau fixe ces dernières décennies. Et là, c’est un changement essentiel qui s’est opéré à mon avis – les événements à l’extérieur de la Russie ont fait que les dirigeants russes ont vu que la Russie n’était pas obligée de poursuivre ses relations avec l’Occident sur un ton positif. Et si ce n’est pas au goût de nos partenaires européens, ce sont leurs affaires. Et c’est pour la première fois qu’on voit ça. Auparavant, quelque que soit la situation qui aggravait les relations russo-européennes – guerre contre la Géorgie, opérations de l’OTAN contre la Serbie – il y avait toujours une chance pour un dialogue afin d’éviter que ces situations ne soient préjudiciables ni pour la Russie, ni pour l’Occident sur le plan politique et, bien sûr, économique. L’Occident a eu tort d’attendre que la Russie fasse des concessions au nom des bonnes relations avec lui. Le référendum en Crimée lorsque la majorité de Criméens ont exprimé leur volonté de rejoindre la Russie, l’accord de celle-ci de prendre la péninsule sous sa protection, c’était logique et justifié. Surtout dans les conditions où les nouvelles autorités de Kiev appuyées par les « héros » du Maïdan, à savoir les néonazis, les nationalistes d’extrême-droite et d’autres forces, se sont déchaînées contre la Russie. Et malgré le caractère définitif de la décision prise par la Russie en ce qui concerne la Crimée, l’Occident qui a brandit la menace de sanctions, a attendu, comme toujours, des concessions de sa part jusqu’à tout dernier moment, jusqu’au 16 mars, le jour du référendum. La Russie n’a pas fait marche arrière, elle a montré à l’Occident qu’elle n’était plus son associé junior, celui qui fait toujours les concessions. Qu’est-ce que cela donnera dans l’avenir ? »
« La Russie, au moins aujourd’hui et au moins au niveau de ses élites, mais aussi au niveau de la société, ne craint pas les sanctions, répond Fedor Lioukianov. C’est-à-dire sa position est très claire : on ne vous croit pas. Celui qui pense que les sanctions puissent faire peur, se trompe. Ensuite, ce qui se passe aujourd’hui et un éventuel durcissement de la position de l’Occident, un isolement (de la Russie – ndlr) ne feront que contribuer à réaliser l’ordre du jour annoncé par le président Poutine avant tous ces événements, à savoir l’orientation vers l’Est en tant que priorité pour la Russie en XXI siècle. Je crois cependant qu’il n’est pas question d’une confrontation avec les Etats-Unis ou l’Union européenne. C’est pourquoi le conflit engendré par le rattachement de la Crimée à la Russie va se calmer ce qui est assez probable. Je vous rappelle que les Etats-Unis n’ont jamais reconnu le rattachement des pays baltes à l’Union soviétique – or il s’agit d’une période s’étendant du début des années 1940 à la chute de l’Union – mais ils n’ont jamais arrêté à faire commerce avec nous. L’Occident n’envisage donc pas de rompre toutes ses relations avec la Russie. Cette dernière continuera à coopérer avec l’Ukraine et son message pour Kiev consiste à dire que l’Ukraine doit devenir un Etat où les droits de tous les citoyens sont respectés. La Russie n’a pas l’intention, ni la volonté de s’avancer et de repousser ses frontières jusqu’au Dniepr. Malheureusement pour la Russie, et à mon avis pour l’Occident aussi, l’Ukraine est imprévisible. Moi, en tant qu’observateur, j’ai un mauvais pressentiment quant à ce qui s’y passera. Pour le moment je ne vois aucun fondement sur lequel il était possible de créer un pouvoir fiable et les élections du 25 mai risquent d’aboutir au pire au lieu de légitimer les autorités en place. La rupture est tellement profonde qu’elle a toutes les chances de donner un morcellement féodal lorsque les régions vont se battre l’une contre l’autre. Ce qui est extrêmement dangereux pour les voisins de l’Ukraine. Du reste il est possible d’aider l’Ukraine à éviter ce scénario. Ce sera possible grâce à un accord informel entre la Russie et l’Union européenne. Ce scénario arrangera, bien évidemment, les milieux économiques russes et européens. »
Retrouvez lundi le 24 mars la deuxième partie de l’intervention du politologue russe Fedor Lioukianov au briefing organisé par l’Observation franco-russe auprès de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe.