En France, l’information sur l’Ukraine passe par un filtre

En France, l’information sur l’Ukraine passe par un filtre
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On reproche beaucoup aux medias russes de ne pas montrer le tableau complet du conflit en Ukraine et de la crise criméenne. Comment cela est reflété en France ?

A-t-on suffisamment d’information pour se former sa propre opinion ? Dans quelle mesure les noms cités pour illustrer les motifs des actions de tous les groupes parlent aux gens ?

Pour trouver les réponses, je me suis adressé au Sénateur du Gers et Maire de Marsan, village gascon de quelques 450 habitants, exploitant agricole, et descendant du célèbre comte d’Artagnan, Aymeri de Montesquiou.

LVdlR. Est-ce que les gens qui vivent chez vous, s’intéressent aux évènements si lointains qui se déroulent en Russie, en Ukraine ?

Aymeri de Montesquiou. « Je pense que les gens qui regardent la télévision tous les jours, écoutent les reportages, entendent les opinions sur ce qui se passe en Crimée. »

LVdlR. A votre avis, y a-t-il suffisamment d’informations différentes pour porter un jugement cohérent?

Aymeri de Montesquiou. « Je n’en suis pas sûr, non. Je pense qu’ils reçoivent des informations qui passent toutes par le même filtre. »

LVdlR. Qu’elle est la tonalité?

Aymeri de Montesquiou. « D’abord, cela a commencé sur le Maïdan. Dans l’esprit des gens, je pense que c’est apparu comme une manifestation pour la liberté et que le referendum en Ukraine ne traduit pas la réalité sur le terrain... »

LVdlR. Etes-vous également de cet avis?

Aymeri de Montesquiou. « J’ai une opinion qui est un peu différente... Au départ, tout commence par une équivoque. Je pense que les Ukrainiens de l’Ouest, en particulier, ont perçu le traité de rapprochement entre l’Union Européenne et l’Ukraine comme une possibilité d’entrer dans l’UE. Or, cela n’a jamais été le cas. Et c’est une équivoque qui est à la source de beaucoup de malentendus.

Les Européens et les Français, pour la plupart, connaissent mal l’histoire de l’Ukraine. Ils ne savent pas qu’entre la partie occidentale et la partie orientale il y a une différence historique. Que la partie occidentale était, en même temps ou consécutivement, lithuanienne, polonaise, appartenant à l’Empire Autrichien. Que l’Ukraine est un pays plutôt hétérogène. Que tous les Ukrainiens parlent russe, mais je ne suis pas sûr que tous les Ukrainien parlent l’ukrainien. Souvent, ils ne savent pas que Kiev est le berceau de la Russie. Que jusqu’ à il y a trois siècles l’Ukraine était alternativement russe et mongole, ou russe et turque. Ce sont des éléments historiques essentiels dans la mesure où c’est le berceau de l’orthodoxie et de la Russie.

Ils ne connaissent pas non plus l’intégration de l’économie ukrainienne et l’économie russe. Je pense que l’Ukraine aurait beaucoup de mal à couper son économie de l’économie russe. »

LVdlR. C’est dommage qu’on n’en ne parle pas, parce que le côté économique est un volet très important. On a tendance à oublier que tout est parti de ce désir de l’Ukraine de se rapprocher de l’Union Européenne, dont une des raisons était économique…

Aymeri de Montesquiou. « Oui, les Ukrainiens ont rêvé en quelque sorte d’atteindre le niveau de vie de l’Union Européenne, très supérieur. »

LVdlR. Est-ce qu’on parle en France des forces extrémistes qui ont profité de ce virage ?

Aymeri de Montesquiou. « Non. Je pense qu’en France, il y a un Français sur mille, ou plutôt, un sur dix mille qui connaît le nom de Bandera. Je ne suis même pas certain que les journalistes le connaissent. Ils ne sont pas non plus au courant des échanges téléphoniques entre Madame Ashton et Monsieur Paet, le ministre des Affaires Étrangères estonien, faisant état des propos du médecin Olga Bogomoletz sur le fait qu’il a eu des morts de part et d’autre, et, donc des tireurs de part et d’autre. »

LVdlR. Les autorités ukrainiennes ne sont pas pressées d’élucider cette histoire.

Aymeri de Montesquiou. « Non. Mais il y a aussi une toile de fond juridique, sur laquelle il faut s’appuyer. Les accords de Budapest de 1994 qui précisent qu’il y a l’intégrité territoriale. Qui s’oppose, en même temps, au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le droit à l’autodétermination est aussi une réalité. Ces deux éléments sont incompatibles.

Il est évident que la majorité des Criméens aspirent à devenir russes. Ce qui est dommage, je pense, que ça s’est déroulé d’une manière intempestive. Je pense qu’il aurait peut-être fallu deux étapes, comme ça a pu avoir lieu au Kosovo. D’abord, c’est le Parlement qui décide, ensuite – c’est le référendum.

LVdlR. Monsieur Fillon promet des sanctions contre la Fédération de la Russie. Les Etats-Unis appliquent également les mesures très particulières, ce ne sont pas des sanctions contre toute la Fédération, mais contre quelques personnalités. Pensez-vous que ces idées vont être appliquées par la France ?

Aymeri de Montesquiou. « J’ai une totale autonomie de réflexion par rapport à Monsieur Fillon. Je pense qu’avant d’appliquer les sanctions, il faut parler.

Il y a une réalité historique, donc affective, économique, qu’on ne peut pas nier. Mais il y a aussi le droit international, avec des éléments qui s’opposent : l’intégrité territoriale ukrainienne et le droit à l’autodétermination. L’Est et l’Ouest de l’Ukraine sont extrêmement différents. Peu de gens savent que l’Ukraine est un pays qui n’est pas du tout homogène. Je suis certain qu’à Donetsk ou en Crimée, il y a des gens qui ne parlent pas du tout ukrainien. Il y des catholiques, des uniates à l’Ouest, des orthodoxes – à l’Est.

Je pense que la solution passerait par un esprit fédéral de l’Ukraine. Les tensions existent déjà. La première réaction de supprimer la langue russe comme la langue officielle, à mon avis, est une faute grave. C’est plus qu’une maladresse. C’est une faute grave. Je crois qu’il faut parler sereinement, plutôt que d’enclencher une escalade qui ne peut être que négative.

LVdlR. Vous dites que les gens sont mal informés. Mais vous, pourquoi vous vous intéressez a l’Ukraine? Vous êtes parfaitement au courant de la situation historique et actuelle de ce pays…de sa relation avec la Russie…

Aymeri de Montesquiou. « Je pense qu’à notre époque ne pas s’informer sur l’international lorsqu’on fait de la politique est une grande faiblesse. Même – une faute. Aujourd’hui, il y a une telle interconnexion, pénétration des économies qu’il faut absolument s’intéresser à ce qui se passe à l’extérieur. Autrement, on a une opinion extrêmement affaiblie si elle n’est pas étayée par le minimum de culture au niveau international.

Du point de vu de l’esprit, il faut que la Russie ne considère pas l’Ukraine comme un satellite, mais comme un pays particulier d’où sont parties la religion orthodoxe et la Russie elle-même.

L’Union Européenne suit beaucoup trop la position américaine qui considère que l’union soviétique existe toujours. Alors qu’aujourd’hui elle a en face d’elle (ou à côté d’elle) la Russie complètement différente de l’Union soviétique. Ne pas voir que la Russie perçoit comme une agression la volonté de faire entrer la Géorgie ou l’Ukraine dans l’OTAN, ça montre une méconnaissance absolue de la politique internationale. T

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