En hiver 2013-2014, Nicolas Vanier a entrepris un nouveau voyage en Sibérie avec pour objectif de relier l’océan Pacifique au lac Baïkal. L’Odyssée sauvage, la dernière des trois « Odyssées » réalisées par N. Vanier, s’est terminée, après 4 mois de périple, sur l’île d’Olkhon, la plus grande île du légendaire lac Baïkal. 6000 kilomètres et trois pays traversés (Russie, Mongolie et Mandchourie en Chine) - voilà le résultat de la nouvelle expédition de l’aventurier français.
Nicolas Vanier raconte d’où provient sa passion pour l’aventure et pour la nature.
N.V. : « Personne dans ma famille, ni de près, ni de loin n’avait ce « virus » que j’ai attrapé très jeune. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment. Ce qui est sûr, c’est que j’ai eu toujours cette envie. Mais étant enfant, je n’imaginais pas que je puisse réaliser ces rêves qui paraissaient totalement inaccessibles, sans doute justement parce que je ne connaissais personne qui effectuait ce genre de voyages.
Il y a deux buts qui se résument avec cette formule que j’aime bien - un rêve utile. Donc je cherche au travers de ces projets à faire partager mon amour pour la grandeur, pour les chiens, pour la nature. Je le fais au travers de prise de paroles, comme je le fais aujourd’hui, comme je le fais dans des écoles, comme je le ferai auprès des médias. J’essaye de prendre ma petite place dans le changement de cap que l’humanité doit prendre. »
La Voix de la Russie : Comment est-il possible d’effectuer une telle expédition, en passant par les endroits les plus sauvages de la Sibérie, par des températures ultra-basses, avec pour seuls compagnons dix chiens de traîneau ? N. Vanier répond que c’est très possible, en expliquant dans les moindres détails l’organisation de son périple et les conditions dans lesquelles il était obligé de vivre pendant ces 4 mois.
N.V. : « Mon expédition a été organisée de la façon suivante. Au travers d’une mission de reconnaissance, j’avais identifié une vingtaine de villages à partir desquels j’ai organisé l’expédition logistiquement. Dans ces villages il y avait des dépôts de nourriture pour mes chiens. D’un village à l’autre, j’étais autonome avec un traîneau dans lequel il y avait, en moyenne une semaine d’autonomie et de vivant. En fonction de la piste, de la météo, de la forme des chiens et, évidemment, de la mienne, j’ai effectué entre 40-50 km par jour avec des arrêts soit dehors, où je dormais à la belle étoile quelque soit la température, soit dans une cabane si on m’offrait l’hospitalité, ce qui était très souvent le cas, soit dans des villages, où j’ai effectué ces arrêts et où généralement je prenais 24h de repos.
Pour ce qui est des chiens, leur nourriture est une nourriture déshydratée, très riche. La mienne aussi, c’est de la nourriture lyophilisée à laquelle s’ajoute ce que je peux trouver sur place, notamment, beaucoup de poissons. Comme je suivais les rivières et les fleuves, très souvent des pêcheurs me faisaient l’amitié de goûter du poisson ce qui faisait très plaisir aux chiens et à la personne qui conduisait ces chiens.
Les températures idéales pour voyager en traîneau à chiens se situent entre moins 20 et moins 40. C’est un rêve. Au-delà de moins 40,50,60 (c’est des températures auxquelles j’ai été confrontées sur d’autres voyages), c’est un petit peu plus difficile, à la fois pour les chiens et pour soi. Le gros problème n’est pas tant le froid, c’est le vent qui devient très difficile à vivre.
Pendant l’expédition, il n’y a pas grand-chose d’autre qui me manque, à part mes enfants, à part ma famille. Même si parfois j’ai envie d’un verre de vin, par exemple. Mais j’aime ces « manques » parce que je sais qu’ils vont produire de grands moments de bonheur quand je vais retrouver ce qui me manque. Mais je suis tellement bien quand je suis avec mes chiens dans la taïga, que des manques, franchement, il n’y en a pas beaucoup. Même si parfois j’ai envie de prendre une douche bien chaude, même si parfois ma famille me manque, je suis vraiment bien. C’est pour ça que je réponds aux journalistes qui me disent que ce que je réalise est un exploit, je leur réponds que pour moi un exploit c’est d’aller pendant 4 mois dans un bureau mais pas de traverser la Sibérie. C’est ce que j’aime. »
LVdlR : Traverser le lac Baïkal au début du printemps est une démarche très courageuse. Mais cela n’a pas pu empêcher à N. Vanier de risquer : en compagnie de ses vrais amis, les chiens, le globe-trotter français a réussi à traverser le plus profond et le plus pur des lacs.
N.V. : « Ce qu’il faut savoir, la surface glissante du lac était assez dangereuse. On nous avait recommandé de ne pas effectuer la traversée du lac. Il y a de nombreuses failles qui se sont ouvertes ces derniers temps sur le lac Baïkal. De nombreux accidents ont eu lieu la semaine dernière. Des failles font entre un mètre et quatre-cinq mètres de large sur parfois des dizaines de kilomètres de long. Donc il faut slalomer. J’ai parcouru à peu près deux fois le nombre de kilomètres que j’aurais dû effectuer parce qu’il fallait justement slalomer. Il était très important que les chiens soient extrêmement prudents et obéissants.
En ce qui concerne les chiens, il leur arrive de juger, à la résonance, à la texture, de l’épaisseur de la glace. Parfois de même ils évitent des zones fragiles mais ce n’est pas toujours le cas. Il leur arrive de ressentir des variations climatiques par certains signes. On peut savoir qu’une tempête est en train de venir : les chiens changent de comportement. La communication avec les chiens est ce qu’il y a de plus important dans un voyage comme celui-ci. C’est dans cette communication, dans cette amitié que naît notre force commune. Comment parle-t-on aux chiens ? Eh bien, on parle avec un langage approprié. Et au-delà de ça, personnellement, je parle beaucoup à mes chiens. Ils ne comprennent pas évidemment ce que je leur dis, mais ils comprennent très bien l’intonation. C’est assez étonnant de voir combien les chiens sont des éponges à sentiments. Si je vois qu’ils sont fatigués, je leur explique : « Ecoutez, les amis, il reste 10 km, il faut qu’on les fasse. On va aller dans un village où je vais vous donner du poisson ». Et là, les chiens comprennent quelque chose et ils partent heureux. Donc parler avec les chiens, c’est quelque chose qui est très important. »
LVdlR : Qui sont donc les aborigènes de ces petits villages tout au fond de la taïga, à qui N. Vanier rendait visite de temps en temps ?
N.V. : « La plupart des personnes que j’ai rencontré, c’est des personnes qui vivent au fond de la taïga, aux bords des fleuves. C’est vrai qu’il n’y a pas de très grandes différences entre un chasseur qui vit en Sibérie, un chasseur qui vit dans la taïga en Mandchourie ou un chasseur mongol. Même s’il y a, bien évidemment, des différences culturelles, de langage, dans la nourriture... Mais c’est vrai que ces hommes du Nord ont tous en commun quelque chose qui s’appelle l’hospitalité, qui est absolument incroyable. Je n’ai pas un exemple à vous donner de quelqu’un qui ne m’a pas ouvert sa maison. Il est très rare que je m’arrête dans une cabane où on ne propose pas de boire à l’amitié franco-russe avec un petit verre de vodka. » T